Interview d’Ymyrgar – Cernunnos 2020

Leur premier passage en France s’est fait sur la scène du Cernunnos et a transporté les festivaliers ! Les Tunisiens d’Ymyrgar ont accepté de répondre à nos questions. Rencontre avec Belhassen (violon), Habib (chant), Ahmed (basse) et Nader (batterie)…

The Unchained : Bonsoir Ymyrgar, ravi de vous rencontrer après votre première fois en France. Qu’avez-vous pensé du concert de ce soir ?
Belhassen : C’était super ! On ne savait pas comment la scène metal française allait réagir à notre style de musique et à notre show. Notre expérience dans d’autres pays nous a beaucoup appris mais le public français est très différent. Il est dynamique, il répond à nos attentes…C’était la surprise !
Nader : Le premier point c’est le nombre. On s’attendait pas à ce qu’il y ait autant de personne. D’ailleurs on est en rupture de cds, ce qui n’est jamais arrivé ! Les Allemands sont très différents !
Belhassen : Ils ne réagissent pas mais achète tout le merch possible. Ils paraissent plus froids, le visage est en pleine analyse. Après ils nous disent d’un ton très froid mais sincère “c’était super”.

TU : Comment trouvez-vous le festival et son ambiance ?
Habib : Superbe endroit, fantastique. C’était émouvant de se retrouver dans un festival médiéval pour la première fois.
Nader : Les organisateurs sont assez présents, gentils, chaleureux.
Belhassen : C’est une bonne production. Je ne vous cache pas que je connaissais déjà depuis un bout de temps le Cernunnos Pagan Fest et j’en rêvais d’y jouer avec mon groupe et c’est arrivé !
Nader : Et vous, vous avez aimé ?
Belhassen : On inverse l’interview !

TU : On a trouvé que vous étiez des supers musiciens, que votre musique était très entraînante. On sent ce bagage musicale derrière vous ; d’ailleurs comment ce projet a-t-il commencé ?
Belhassen : J’espère qu’on a assez de temps, c’est une très longue histoire. D’abord, tous les membres du groupe n’ont pas le même bagage. Certains avaient déjà eu une formation musicale mais d’autres ont démarré, appris la musique avec le groupe. On a commencé fin 2011-2012 et on a essayé d’apprendre ensemble, de nous améliorer ensemble et de créer une certaine méthodologie pour créer de la musique mais qui puisse être instructive pour nous en restant écoutable. D’ailleurs si vous jetez un oeil sur le premier album qu’on a délivré, vous allez vous rendre compte de la différence de maturité musicale entre les deux. C’est très flagrant, même au niveau de la production, de la musicalité, des choix artistiques.
Nader : Le projet a commencé entre potes. Notre flûtiste, qui n’est plus avec nous, a proposé le projet à notre violoniste, Belhassen qui a tout de suite accepté. Il ne savait pas ce qu’était le folk metal ou le metal en général. Il a fait des recherches puis il est revenu et a accepté. On se connaissait tous réellement.
Belhassen : C’était un délire entre potes au départ. Ça a pris une autre tournure après avoir mis au monde le premier album. Un de nos amis qu’on connaissait depuis la Tunisie vit en Allemagne. Il nous a booké des concerts et ça a démarré.

TU : En vous découvrant, la question tarte à la crème est de se demander pourquoi vous vous êtes tournés vers la mythologie nordique et non vers un thème plus oriental.
Nader : C’est une question de génération je pense. Comme toute personne de notre âge, on a déjà joué à des jeux vidéos, regardé des films de fantasy…
Habib : …des mangas…
Nader : Voilà tout ce côté culturel.. Et le flûtiste dont je parlais aimait ce type de musique, de metal.
Belhassen : On était fan de cette culture, ça nous inspirait. On trouvait de la marge pour créer dans ce cercle culturel.
Nader : Et surtout c’est un regard assez différent…
Belhassen : En tant que groupe en Tunisie, on faisait un truc totalement différent des autres groupes. Les groupes en Tunisie font généralement du black, du thrash, du power metal…
Nader : De l’oriental !
Belhassen : Et nous on a voulu faire quelque chose d’autre carrément. Et comme l’a dit Nader, la culture nordique est très présente dans la pop culture mondiale. Tu la trouves un peu partout dans les produits consommables ouverts au grand public. Ca a été une porte facile à franchir et après l’inspiration c’est facile à trouver.
Nader : Concernant le bagage culturel, c’est facile à trouver.

TU : Pour écrire vos textes, quel genre de recherches faîtes-vous ?
Nader : On essaie de lire : l’Edda poétique par exemple.
Belhassen : La plupart de nos textes se basent sur l’Edda poétique qui est le recueil principal de la mythologie nordique et quelques recherches en plus en parallèle. On se base sur l’écoute d’autres groupes, sur l’aspect musical folklorique de certaines régions et même on y intègre certaines touches qui nous sont propres. Certains titres ont des solos, des mélodies un peu tunisiennes. On veut interpréter la mythologie nordique mais à notre façon parce qu’on voyait la chose comme un film. Donc la musique d’un film peut être faite de tout et de rien.
Nader : Ce qu’on cherche à faire c’est un voyage, vivre quelque chose de différent. Ne pas faire de la musique pour la musique. On nous a même dit qu’une fois “on rapportait l’histoire du Nord par le Sud”.

TU : On sent dans votre jeu de scène une vraie complicité entre vous…
Nader : Déjà quand on passe un mois tous ensemble dans une voiture… [rires]
Belhassen : Comme il l’a dit, on est des potes à la base. On se connaît vraiment très bien ; les défauts des uns des autres.
Nader : On est aussi bien amis sur le plan musical que sur le plan familial, etc.
Belhassen : Notre jeu de scène, on ne le répète pas. Tout vient tout seul. Beaucoup de groupes répètent le moindre geste, le moindre headbang sur scène mais nous on se laisse couler avec le flot.
Nader : On se fait tous confiance et si quelque chose ne nous plaît on le dit simplement.
Belhassen : Beaucoup de gens apprécient ça en disant “on sent que votre show est vivant”. Toutes ces petites désynchronisations sont appréciées par le public.

TU : Et pour vos costumes ?
Ahmed : C’est sa cousine [en désignant Nader ; rires]
Nader : J’ai une cousine qui est styliste-modéliste et elle adore ce genre de thème. Un jour elle a proposé de nous les faire, on a des croquis et ils ont évolué jusqu’au résultat actuel.
Belhassen : La plupart du cuir a été pris à partir de vêtement usé.
Nader : C’était trop cher le cuir donc on fait de la récup’. Ca se traite.
Belhassen : Après elle faisait sa magie !
Nader : Et puis c’est logique : dans le temps, le cuir était pas traité comme maintenant, on portait des petits bouts récupérés d’un peu partout.
Belhassen : C’est aussi inspiré de la fantasy. On ne veut pas récréer le contexte médiéval ou antique de cette région là. Refaire quelque chose de fantastique…

TU : Avez-vous d’autres projets, d’autres dates ?
Ahmed : Non, c’est fini pour maintenant. [rires]
Belhassen : La tournée est finie. On a pris beaucoup de temps pour la préparer, ça nous a drainé beaucoup d’énergie, épuisé sur le plan moral, physique et surtout financier. Sache que venir de la Tunise en Europe, ça coûte très très cher…
Nader : Surtout qu’on n’est couvert par rien, c’est un hobby.
Belhassen : On doit avoir un travail pour amasser des tonnes d’argent pour qu’une fois en Europe il ne reste qu’un petit paquet d’euros. Mais c’est comme ça ! C’est aussi pour ça qu’on prend beaucoup de temps entre les tournées. Notre dernière c’était en 2017. Il nous faut des années pour réorganiser une tournée pareille.
Nader : Et sur un autre plan, on est pas que des musiciens. Les deux dernières tournées on était des étudiants. Maintenant on a une carrière professionnelle en parallèle de ça.

TU : Un 3e album pour bientôt ?
[rires]
Belhassen : Tu sais le 2e album il n’a que 10 jours ! Faut lui laisser le temps de grandir.
Nader : Mais l’idée est déjà là depuis quelques années.
Belhassen : Depuis la sortie du premier album, on a des concepts prêts pour les 4 prochains. C’est une série de 4 albums qui relatent à peu près la même chose mais chacun a son sujet. L’idée est présente dans nos esprits mais il est encore tôt pour la produire.

TU : Le public français n’est pas familier avec la scène metal tunisienne, voire maghrébine au sens large. Myrath est l’un des rares groupes à avoir trouvé un public ici. Pouvez-vous un peu nous parler de la scène metal dans votre pays ?
Belhassen : Il y a eu un label en Tunisie ; ce fut une histoire très courte et dramatique. Des vétérans de la scène metal ont essayé de faire bouger la scène. En Tunisie, cette scène existe ; il y a du public, des groupes actifs mais elle manque de dynamisme. Elle manque de concerts…
Ahmed : …de production..
Belhassen : Y a pas de production au top. Myrath par exemple est un groupe internationale maintenant. Ils n’appartiennent plus vraiment à la scène tunisienne.
Nader : Il ne s’est pas produit en Tunisie en vrai.
Belhassen : Le pic de la production de Myrath c’était en France. Mais certains ont essayé de faire tourner la roue avec un label. D’autres ont essayé d’organiser des one day festival, des concerts mais cette histoire de label est partie en couille.
Nader : C’était au moment de la production, de l’enregistrement de notre album. Tous nos plans sont partis en l’air et on a dû trouver une solution. [Le groupe est produit en indépendant].

TU : Comme dans les pays européens, le metal extrême a-t-il porté en Tunisie cette même revendication anti-religion ?
Nader : Pas vraiment non. Certains ont des propos extrémistes mais surtout pour faire les intéressants. J’ai l’impression que la scène metal est très tolérante…
Ahmed : Il n’y a pas d’extrémisme.
Belhassen : En Tunisie, les gens n’ont pas de problème avec la religion du pays. Tu peux trouver des athéistes, des théistes, des qui ne croient pas à la religion. Mais les gens qui y croient n’ont vraiment pas de problème. Disons que les choses marchent comme ça. Il n’y a pas de rancune comme en Norvège ou en Scandinavie. La seule rancune qu’ont pu avoir les groupes de metal et de musique alternative, c’était contre le gouvernement dictatorial d’avant la révolution. C’était la seule chose… Maintenant tu peux t’exprimer librement en Tunisie, tu peux parler de tout ce que tu veux.
Nader : Les Tunisiens sont généralement contre les extrémistes, quel que soit le domaine.

TU : Une dernière anecdote pour la fin ?
Nader : Et bien notre chanteur, on l’a recruté aux chiottes. Voilà une anecdote !
Belhassen : C’était un jour, au lycée, il sortait des chiottes et j’étais avec notre ancien flûtiste. On l’a interpellé “Habib tu vas devenir notre chanteur !”.
Habib : Je savais pas chanter !
Nader : Tout s’est passé comme ça !
Belhassen : D’ailleurs Nader ne savait pas jouer de batterie. J’étais le seul à avoir une expérience musicale. Par la suite on a recruté des vétérans de la musique comme Ahmed ou Mohamed et Hakim, les guitaristes.
Nader : Sérieusement, tout se passe par hasard !
Belhassen : Ce qui est bien avec le hasard c’est que tu n’es pas déçu à la fin !

Voilà un proverbe qu’on ne saurait démentir ! C’est le hasard des programmations qui nous a fait découvrir Ymyrgar et nous n’avons pas été déçus ! Merci à eux pour leur disponibilité et leur bonne humeur et un grand merci à Sarah sans qui ces interviews ne seraient pas possibles !

Texte : Thomas
Photos : Fable

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