[Déchronique] Demons & Wizards – III

Un jour, j’ai subi une vidéo sur YouTube où un mec rageait contre les chroniqueurs musique qui n’écoutaient pas les albums “comme il faut” avant d’écrire, je cite “de la merde en barre”.

Si ce jeune homme se reconnaît, il peut arrêter ici sa lecture, on n’est pas là pour s’énerver.

Chaque personne est différente, chaque rapport à chaque morceau de musique est subjectif, et c’est cette subjectivité qui est explorée dans les déchroniques (We are the World, we are the Children, tout ça tout ça.) En particulier quand chaque nouvelle écoute du même album semble différente, parce qu’on ne fait pas attention aux mêmes éléments, ou parce qu’on réagit soudain à un détail ou un refrain qui résonnait peu jusqu’ici.

En particulier quand le groupe est profondément lié à ton histoire personnelle, ce qui est le cas ici. Parlons donc un peu de III, le bien-nommé troisième album de Demons & Wizards. Si tu ne savais pas qu’il s’agit du groupe formé par Hansi Kürsch de Blind Guardian et Jon Schaffer d’Iced Earth, c’est que tu n’as pas passé l’essentiel de tes cours de latin en seconde à essayer de dessiner une grande faucheuse qui joue du violon dans un cimetière en marge de tes déclinaisons.

(Je refuse de penser que j’étais la seule, ça va, on a tous un passé compliqué.)

“Bonjour, vous avez déjà votre calendrier des postes ?”

C’est un fait. Un groupe comme Demons & Wizards n’a clairement pas le même succès en France qu’ailleurs, en particulier en Allemagne. C’est difficile de savoir pourquoi, hormis le stéréotype du métalleux allemand qui aime le power metal, d’autant plus quand Powerwolf & Epica bookent un Zénith à Paris, et qu’Iced Earth ou Blind Guardian remplissent vaguement un Bataclan. Au Hellfest 2019, en plein après midi, le public devant la mainstage occupé à chantonner “Fiddler on the Green” n’est pas le plus local de l’étape, alors qu’à Wacken, ça donne un show en tête d’affiche avec choeur sur scène, et 50 000 tarés qui hurlent sur “Blood on my Hands”. Deux salles, deux ambiances.

Si tu veux mon avis, c’est une injustice. Même si c’est cool de les voir dans des dimensions plus humaines, quand on a grandi avec cette musique, et qu’on a envie de les avoir seulement pour soi.

De la même façon, il est compliqué de faire comprendre à un entourage qui écoute souvent la même musique que toi (mais pas ça) à quel point certaines choses sont folles.

Ainsi, quand on savait qu’en 6 mois, il fallait s’attendre à la sortie de l’album orchestral de Blind Guardian (attendu depuis 20 ans) et à un nouvel album de Demons & Wizards (inespéré, 15 ans après Touched by the Crimson King), et que les fans de Tool sortaient leur “OHLALALA SEPT ANS J’EN PEUX PLUS C’EST INHUMAIN”, ça faisait doucement rigoler.

Mais voilà. Ils sont de retour, et c’est tout ce qui importe. L’album dure plus d’une heure sur une douzaine de morceaux, et c’est la première bonne surprise. Honnêtement, j’aurais mal vécu qu’une telle attente débouche sur un album “à la punk” avec 25 titres sur 32 minutes.

Le deuxième élément, c’est le son. A l’instar des groupes dont ils viennent ou même, pour aller chercher ailleurs, de vagues entières comme les groupes de death de Göteborg, Demons & Wizards possède un son reconnaissable entre mille. Et ça fait un bien fou de les retrouver. Tu sais ce que tu écoutes dès l’intro de “Diabolic”, pourtant assez simple.

Déjà. Ca va mieux. Si l’attente était une gueule de bois, tu vivrais ce moment comme le premier verre d’eau au réveil. Et s’il ravive le son, s’il rallume le feu qu’on pensait perdu depuis 15 ans, “Diabolic” est aussi une porte parfaite ouverte sur le nouvel album, en essayant de nouvelles choses, tout en liant le présent et le passé. Par le son, donc, et aussi par les clins d’œils aux paroles de “Heaven Denies”, titre d’ouverture du premier album éponyme de Demons & Wizards.

Oh. Et on ravive le goût discutable d’Hansi et Jon pour les clips kitschissimes. Alors il faut plusieurs écoutes du morceau pour réussir à regarder le clip sans que ça ne gâche la musique, mais une fois l’épreuve passée, on se dit que quand même, pour quel AUTRE groupe ça fonctionnerait, de mettre trois gars en costume trois pièces qui courent au ralenti au milieu d’explosions en CGI ?

Oh ça va hein, c’est pas pire que Powerwolf non plus, hein…

Si je n’adhère pas nécessairement à tout ce que Jon Schaffer peut faire chez Iced Earth, je me sais incapable d’être un jour lassée par la voix, ou plutôt LES voix d’Hansi Kürsch. Il serait capable de me faire pleurer/me battre contre des moulins/devenir folle/sauter de joie (liste non exhaustive) en chantant sa liste de course. Ce n’est pas le seul chanteur à donner l’impression de faire vibrer directement la moelle épinière, mais c’est l’un de ceux qui m’accompagnent depuis le plus longtemps. (J’avais prévenu qu’il n’y aurait rien d’objectif)

Ben là, il dépasse encore les limites. On retrouve forcément sa façon d’accumuler les pistes sonores pour créer un effet choral avec sa seule voix, les accents saturés ascendant furieux, et les accents clairs à la limite de l’opéra, dit “technique Freddie Mercury“. Mais il y a du nouveau. La façon de hurler à la fin de “Midas’ Disease” comme s’il essayait de déchirer du papier avec ses cordes vocales, ou la montée en puissance sur “New Dawn” qui se rapproche des growls du death sont inédits. En tous cas, si les premiers albums de Blind Guardian tendent plutôt vers le thrash, l’évolution de la maîtrise de sa voix donne un résultat incomparable à 30 ans d’écart. Et on reste coi.

Il trouve aussi en Jon Schaffer (outre une bromance qui dure), un formidable compagnon pour les morceaux sombres. Plus simples et plus thrashou, justement, que ce qui se fait chez Blind Guardian, des morceaux comme “Universal Truth” ou “Final Warning” n’auraient pas pu exister ailleurs, avec une telle émotion. C’est curieux parce qu’encore une fois, le regard change selon les moment. Ce sont deux morceaux qui ne m’avaient pas transportée aux premières écoutes, mais dont où on finit par plonger dans une atmosphère triste et soignée quand le moment est le bon. C’est quasiment de la prestidigitation.

Dans la même lignée, “Wolves In Winter” est un titre qui prend par surprise. Faut dire que la barre est haute, et que si on pense “tout ça pour ça” quand un morceau commence, la baffe n’en est que plus claquante. Finalement, les passages plus simples sont surtout là pour mettre les autres en valeur, et si un jour on a la chance de les revoir sur scène, le “YOU’RE NOT ALONE” rendra rudement bien.

Oh, et il y a un clip kitschouille, évidemment. Et rien que d’imaginer le tournage sur un plateau tout vert avec ces deux ptis gugusses en fourrure Ikea qui jouent le combat contre la tempête me remplit de bonheur.

Comme lu dans un des commentaires, “Jon voulait être crucifié à l’envers, Hansi voulait être dans Game of Thrones”. C’est assez bien résumé.

Autant il a fallu plusieurs écoutes pour que “Wolves in Winter” fasse son petit effet, autant un morceau de l’album a provoqué un coup de foudre immédiat, et il s’appelle “Timeless Spirit”. Notation sur l’échelle de 1 à “chouchou” ? Haute.

Un vrai morceau long et dans la lignée de “Down Where I am”, sur le temps qui passe et la perte de l’innocence, reflété par le titre piégeux, qui s’énerve puis redevient calme, et puis ça repart et ça se calme plus jamais sans pour autant tomber dans les clichés de la ballade-qui-tue-en-plein-milieu-des-albums-de-power (les fans d’Hammerfall savent).

Alors est-ce que c’est dû au fait que je lis un bouquin sur l’histoire de Led Zeppelin ces jours-ci, et que j’ai le sentiment de reconnaître des éléments de III dans les descriptions des obsessions de Page & Plant a l’époque ? Possiblement (je suis hautement influençable), mais outre le titre de l’album, et le fait de savoir que les Anglais sont une influence de Demons & Wizards depuis le départ, cette influence se fait ressentir, en particulier sur ce morceau. Pour mon plus grand plaisir.

Notons aussi que pendant les grèves, écouter “Immigrant Song” de Led Zepp ou “Timeless Spirit” donnait systématiquement l’impression que les voitures s’écartaient toutes seules du trajet de mon Vélib. Ça doit forcément peser dans la balance.

Après la première écoute de III, j’ai prévenu mes vieux copains, en leur disant que l’album était exceptionnel, et que “Diabolic” qu’ils connaissaient puisque le clip en était sorti, n’était ni la plus longue, ni la meilleure. Ca me semblait une information importante dans le sens où je ne m’attendais clairement pas à ce que des tartines comme “Timeless Spirit” ou “Children of Cain” avoisinent ou dépassent les 10 minutes. Cette dernière clôture l’album en voyageant à travers tous les éléments propres au groupe, y compris cet amour intarissable pour le rock des années 70, celui des accès de mélancolie-fleuve teintés de mandoline au milieu de sonorités plus agressives.

Tout ça pour dire que ceux qui aimaient déjà le groupe trouveront forcément leur compte à un moment où l’autre dans l’album. Et s’il y en a qui le découvrent avec III, ils pourront se jeter sans hésiter sur ses deux prédécesseurs. Je les envie un peu. Et même si ça n’est pas encore dans les tuyaux, Hansi et Jon étant déjà repartis s’occuper de leurs groupes respectifs, il faut espérer qu’on n’attendra plus QUINZE BORDEL D’ANNEES pour de nouvelles compositions. Ou une tournée, histoire de voir ce que rendent les nouveaux tubes sur scène, de préférence avec des milliers de foufurieux qui hurlent les refrains comme si leur vie en dépendait. C’est aussi pour ça qu’on vient !

Et sur ce, je m’en vais acheter le CD, parce que c’est bien beau d’avoir des MP3, mais si je ne peux pas les jouer sur le poste de ma salle de bain en chantant très fort (et moins en yahourt grâce aux paroles dans le livret), ce n’est PAS une expérience complète.

Rendez-vous la semaine prochaine, on a une surprise.

III – Disponible dès aujourd’hui auprès de votre dealer de musique de préférence.

Cette déchronique a (comme d’hab’) été écrite avec amour, moult larmiches et morve par Sarah, avec un grand merci à Olivier & Replica grâce à qui c’est souvent Noël avant l’heure. Mon anniv’ est en avril les poulets, je dis ça au cas où.

1 Comment

  1. J’ai la version de luxe, magnifique, toujours un bonheur d’entendre ces deux genies nous pondrent ces morceaux alambiqués et la voix d’hansi énorme, et leur son a eux ,le signe des grands

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