
Il y a peu sortait Cell-0 le dernier album de Apocalyptica. Les fans de la première heure ont eu le plaisir de découvrir un album entièrement instrumental. Un renouveau pour le groupe qui est actuellement en tournée avec Sabaton. Rencontre avec Perttu.
- Sur votre site, on peut lire à propos de ce nouvel album que le processus de création a impliqué des “méthodes et émotions peu orthodoxes”. De quoi parle-t-on exactement ?
Perttu : Mais qui a dit ça ?
- Et bien bonne question, aucun nom n’est cité !
Perttu : Je pense que ça veut dire : des solutions atypiques. Cet album, tout d’abord, est probablement une surprise pour beaucoup de monde. Les gens s’attendaient peut-être plus à un album avec des guests comme avant. A l’inverse nous voulions nous retrouver nous quatre et penser à qui nous sommes et ce qu’est Apocalyptica. On a commencé à y songer en jouant la tournée anniversaire de Plays Metallica by four cellos. On s’est dit “pourquoi ne pas revenir un peu en arrière, là où nous avons commencé ?” C’est donc l’idée principale de l’album. Les méthodes peu orthodoxes signifient peut-être qu’on fait quelque chose d’inattendu. Bien sûr on savait que, d’un point de vue commercial, c’était un vrai défi car nous n’avons pas de « tube » à passer à la radio avec un grand nom en featuring. Mais c’est justement ce que nous voulions, s’autoproduire et ne pas écouter les conseils des labels ou autre. Et voilà ce que ça donne! Je pense que ce sont les musiciens que nous sommes actuellement… Peu orthodoxes ! (Rires)
- Et les émotions ?
Perttu: Émotionnellement c’est beaucoup de choses, et j’espère surtout que ça va créer des émotions. Pour nous c’était très fort justement. L’année dernière nous avons beaucoup discuté des drames dans le monde, des incendies, de la pollution de la souffrance. Notre planète crie à l’aide ! Beaucoup de gens à travers le monde le ressentent. Et pourtant cette incapacité à faire quelque chose et ce sentiment de n’être d’aucune aide fait réaliser que, oui, je suis très inquiet mais qu’est-ce que je fais vraiment contre cela? Je continue de prendre l’avion pour faire mes concerts je conduis des voitures… On ne peut stopper ce système car, concrètement, on ne s’attend pas à ce que les gens arrêtent d’aller au travail ou autre. Nous sommes arrivés à un point de l’évolution où nous ne pouvons pas arrêter tout cela même si on le désire vraiment. Cell-0, pour nous, représente de petites particules qu’on pourrait appeler les fragments manquants d’une âme humaine. Même si on ne sait pas ce qu’est notre propre Cell-0, l’origine de tout ça nous rend ignorants ou incapables de changements. On a donc commencé à flirter avec ce genre d’idées qu’il nous faut trouver notre propre cell-0 au fond de nous. On espère que dans cet album on ne met pas trop nos propres idées dans la tête des gens. Mais si tu l’écoutes et que tu fais le lien avec les sujets dont nous sommes en train de parler, notre musique viendra – on espère- créer des questionnements sur nous-mêmes et ce qu’est notre cell-0.Que dois-je faire pour être un meilleur fragment. Bien sûr on aime aussi flirter avec l’aspect dramatique comme avec “Ashes of the Modern World”. Tout brûle il n’y plus d’hommes, les humains sont partis bye bye! J’aime imaginer comment cela pourrait arriver. C’est évident que ça arrivera à un moment ou à un autre.
- En écoutant cet album effectivement c’est bien ce que j’ai pu ressentir. Les trois premières chansons “Ashes of the Modern World”, “Cell-0” et “Rise”, dans cet ordre, semblent être une métaphore de la destruction puis de la renaissance de la nature.
Perttu : C’est la chose la plus folle je crois, car la musique sans paroles c’est toujours un défi. Pourtant avec ces thèmes et émotions là je pense, et j’espère, que les gens sentiront cette histoire derrière. Ce qui est merveilleux quand tu n’as pas de paroles c’est justement d’avoir la liberté d’imaginer ce que tu veux. Nous avons traité ces chansons comme des peintures. Quand tu regardes des tableaux de maîtres tu peux imaginer une histoire et en ce sens, la musique fonctionne de la même façon… Enfin je crois.
- On dirait aussi un peu une métaphore de Apocalyptica. Vous avez évolué, fait plein de choses différentes, beaucoup de collaborations puis d’un coup le Apocalyptica moderne disparaît ! Et vous retournez à vos racines.
Perttu : Je n’avais pas vu les choses comme ça mais en fait ça marche aussi! Créer quelque chose veut aussi dire qu’on détruit autre chose. Les humains détruisent et mettent tout en pièce constamment. D’où l’idée que cet album est fait de particules détruites pour redevenir d’autres particules. Pour Apocalyptica ça pourrait probablement être la même chose. On pourrait y voir une métamorphose. Pour être capable de renaître il faut retourner vers le commencement. C’est pour ça que la couverture de l’album est un violoncelle qui se désagrège, et les pages suivantes se sont nos visages qui se désagrègent. On met tout en pièce. Cette fois c’était très important d’avoir notre propre vision également de l’Artwork. J’ai surement été un emmerdeur pour notre graphiste! J’appelais même en pleine nuit quand j’avais une idée!
On peut dire que cette fois nous étions bien plus impliqués, même concernant l’impact visuel de l’album.
- Tu souhaites que les gens ressentent leurs propres émotions en écoutant l’album, Apocalyptica est, en ce sens, un peu comme un guide mais qui ou qu’est-ce qui va vous guider vous?
Perttu : J’ai eu plusieurs fois la sensation, pendant notre carrière, que nous avions été guidés par une personne extérieure. Cette fois, nous voulions vraiment être sûrs d’être guidés que par nous-mêmes. Par exemple le processus de composition a été incroyable! C’était l’hiver dernier et ça a été incroyable de s’enfermer dans un studio car nous savions à ce moment que notre but était de créer un album issu de la liberté de n’avoir peur de rien. Et ce fait de ne pas se restreindre, ça nous a libérés des contraintes habituelles. On peut entendre que ces titres sont longs avec beaucoup de structures et différents types d’éléments ; ils viennent de cette sensation de liberté totale et du fait qu’on peut faire la musique qu’on aime. Il en ressort que les liens dans le groupe sont les meilleurs qu’on ait pu avoir. On s’est toujours considérés comme frères mais l’amitié ne peut pas toujours être considérée comme acquise lorsqu’on travaille aussi longtemps ensemble. On a eu des mauvais moments avec quelques problèmes entre nous. Le plus gros accomplissement du groupe c’est d’être toujours capables de créer et recréer ce lien exactement comme lorsqu’on a débuté. C’est aussi un aspect de la métamorphose , être capable de renaître . Apprendre à mieux se comprendre et avoir le même but : c’est la ligne directrice d’un groupe. Des amis empruntant la même route, attrapant des instruments et commençant à jouer et faire des choses folles ensemble.Sans ça, il n’y a pas d’émotions ni de raisons.
- C’est un peu comme être en couple….
Perttu : On en rigole parfois, ce groupe c’est comme un mauvais mariage : il y a beaucoup de disputes et trop peu de sexe ! (Rires).
- J’aimerais parler d’une chose que j’ai pu lire et qui m’a touchée particulièrement. Tu as dit à propos de l’ignorance que ça devrait faire partie des péchés capitaux… Et quand on pense à l’état de notre planète actuellement, qu’est-ce qui te met le plus en colère ?
Perttu : J’ai composé l’« Apocalypse-Oratorio » pour orchestre symphonique simultanément à cet album. Pour l’Oratorio je me suis inspiré du dernier chapitre de la Bible, l’Apocalypse, et les idées sont assez proches des chansons de l’album. Au début de l’Oratorio je commence par chanter que l’ignorance devrait faire partie des péchés capitaux car c’est le point de départ. Tu ne peux être cupide que si tu es ignorant. L’ignorance et la jalousie sont probablement les pires aspects de l’être humain qui ne font pas partie des péchés capitaux. J’ai souffert de ça car j’ai réalisé à quel point j’avais pu être une personne ignorante voire une merde dans la vie. J’ai eu beaucoup de problèmes avec la boisson entre autres, et heureusement j’ai pu m’en sortir. C’est un peu cliché de dire ça mais tu te demandes à un certain moment comment devenir une meilleure personne. Ce n’est peut être pas possible mais tu te demandes si tu ne pourrais pas faire les choses d’une meilleure façon et mieux traiter les autres et la planète.
- Avoir un impact positif sur les gens…
Perttu : Oui, il n’y a pas vraiment de réponse absolue et ça me ramène a cette sensation d’inutilité. Pour certaines choses on ne peut rien faire, il faut que ça vienne de grandes entreprises. Mais il reste plein de petits choix que l’on peut faire et c’est déjà une étape. Il restera quand même ce constat dramatique : même si à notre niveau on essaie de faire notre possible, on reste confronté à l’ignorance des grandes compagnies et leur cupidité.
- Beaucoup aussi ne veulent pas changer leurs mauvaises habitudes ni écouter les lanceurs d’alerte. Mais pour moi la connaissance n’est pas tout à fait la réponse non plus, je crois que ce serait plutôt la compassion.
Perttu : Parler n’est pas ce qui fonctionne et peut même se retourner contre toi. Car les gens peuvent être sceptiques. On le voit avec Greta Thunberg, c’est incroyable de voir que les gens sont contre elle! Ils peuvent réagir de façon tellement étrange donc je ne saurais dire ce qu’il faut faire. Ce qu’il serait intéressant de faire ce serait de soulever des questions, que les gens s’arrêtent un instant et se demandent « est-ce que mes actions ont une signification ? » . Mon opinion est que les humains devraient disparaître et laisser ces beaux animaux ici et l’évolution faire son travail. Peut-être que l’air serait de nouveau respirable !
- Pour revenir à un sujet un peu plus joyeux, la chanson “Fire and Ice” serait-elle ,par hasard, liée au Seigneur des Anneaux ou à Game of Thrones ?
Perttu : Le lien avec Game Of Thrones est évident et intentionnel! J’ai composé quand j’étais plongé dans la dernière saison, je suis un grand fan de GOT. Et le Seigneur des Anneaux a été une des périodes les plus importantes pour moi. J’ai besoin de voyager dans ces mondes ; je fais des jeux des rôle, je plonge dans ces univers fantastiques car parfois on s’y sent bien. Alors oui “Fire and Ice” est inspirée de ces récits épiques. Rien que le début avec les tonalités celtiques et médiévales. La meilleure façon de l’introduire était de demander à Troy Donocley de Nightwish de jouer de la cornemuse. C’est un beau featuring et je pense qu’il donne une belle ambiance à la chanson. Et comme dans toutes belles hsitoires, il y a très vite quelque chose d’autre qui amène vers un royaume de folie et de feux incontrôlables. Ces éléments sont très importants dans l’entité de l’univers… C’est un titre compliqué et surement horrible à essayer de jouer en live (rires).
- Votre collaboration avec Sabaton sur la tournée « The Great War « est intéressante, allez-vous en profiter pour visiter Verdun également ?
Perttu : On n’est pas vraiment intéressés nous-même dans le groupe, même si le concept des chansons ( de l’album The Great War par Sabaton, ndlr) est très intéressant. Nous, on est plutôt des pacifistes les gars de Sabaton aussi probablement. Ils utilisent les faits d’Histoire d’une façon intéressante, un peu comme une mise en garde de ces choses qui sont arrivées pour telles ou telles raisons et qui continuent de se produire. Ils sont fabuleux et ont une grande passion pour la musique et un concept formidable. La collaboration est très cool. L’idée est venue du bassiste Pär Sundström. Il s’est dit qu’Apocalyptica fonctionnerait très bien avec leur musique. Il ne voulait pas faire qu’une seule chanson qui serait vite oubliée, mais plusieurs et une tournée ensemble. On joue 5 chansons de leur setlist en plus de notre concert et c’est une expérience très agréable. Ils savent créer une bonne ambiance dans le public, c’est fantastique on s’amuse beaucoup!
- Pour finir, après tout ce qu’Apocalyptica a déjà accompli dans cette belle carrière, y-a-t-il encore des choses à explorer ? Des désirs du groupe ?
Perttu : Non … (Rires !)
C’est sûr qu’il y a beaucoup de choses encore, je crois. La tournée mondiale déjà pour Cell-0 et ne pas attendre 5 ans pour le prochain album! Plus de musique, des approches différentes. J’adorerais qu’on fasse des bandes originales de films ou de jeux vidéo, des nouveaux défis. Personnellement je voudrais composer ma propre musique pour des concerts de violoncelles ou un autre opéra symphonique. C’est une période propice à la création. Je suis heureux que tout se passe aussi bien avec les autres et j’attends avec impatience les différentes tournées!
Propos recueillis et traduits par Cindy
Photos : Fable
Laisser un commentaire