
[Déso pour le retard, mais il a fallu se remettre des concerts et c’était pas du gâteau]
Des fois, on se dit que le monde est tout pourri.
La meilleure technique pour remédier à ce genre de déprime fulgurante, c’est de contrer le mal par le mal. Par un remède fulgurant. Dans ces cas là, il est toujours efficace de se dire que le monde ne peut pas être TOUT A FAIT pourri, pour une simple et bonne raison.
Abbath existe dans le même monde que nous. Et pour peu qu’on l’apprécie pour tout ce qu’il est, inconditionnellement, c’est quand même une super excuse.
Certes, un nombre supposé de gens en Amérique du Sud (mais pas que) ne partagent pas forcément cet avis mais, clairement, c’était un excellent prétexte pour aller voir Abbath non pas une, mais deux fois, à Paris, et à Nantes le lendemain. Juste pour vérifier.
Résultat ; les récits des deux soirées risquent de se confondre peu. Néanmoins, toutes les photos ont été prises à la Machine du Moulin Rouge.
Nous sommes donc le 28 janvier. Et il pleut sa mère. De quoi donner aux 12 minutes de pédalage à tout rompre en Vélib des allures de punition, façon Ancien Testament. De quoi se demander si on a un si mauvais karma que ça, ou si c’est juste un rééquilibrage pour la soirée à venir. Mais non, en fait, c’est juste de la pluie, violente, mais de la pluie.
La punition, c’est d’avoir loupé Nuclear, qui commence son set bien plus tôt que prévu, et le termine juste avant mon arrivée sous forme de serpillère trempée jusqu’aux os. Heureusement, le lendemain, l’affront sera réparé au Stéréolux. Et Nuclear, c’est vachement cool. Des ptis Chiliens tout choupi ainsi qu’un peu énervés qui aiment bien Slayer, et qui donnent 5000% sur scène. Si c’est d’autant plus triste de se dire qu’ils ont dû sortir le même show la veille devant environ 4 personnes et demi à la Machine, c’est chouette qu’il y ait davantage de monde pour eux à Nantes. En plus de leur dégaine sympathique, et de leur loyauté aux clauses contractuelles (ils ne “pouvaient vraiment pas” nous dire à quelle occasion ils reviendraient jouer dans le coin, mais c’est prévu promis !”), leur musique est bonne. Tu me diras, c’est du thrashou à l’ancienne, ça ne va pas être follement original, et tu n’auras pas tort, mais le plus important dans le thrash, c’est qu’il soit bien fait, et joué avec le cœur, les tripes, les cheveux, la colère, le cou, et les grosses cornes au bout des doigts. Et le contrat est rempli.
Notons aussi que le mercredi soir, à Nantes, on voit bien le backdrop du groupe, où une des têtes en sale état ressemble pas mal à celle du chanteur de Rammstein (au naturel). Il s’agit en fait d’une série de dessins de politiciens chiliens. Juste en dessous, le batteur Punkto Sudy porte un ticheurte Corrosion of Conformity, au lendemain de l’annonce de la mort de Reed Mullin. Révolution et petit cœur de pierre qui fond, c’est aussi ça, le thrashou qu’on aime et qui réjouit.
Mais revenons à Paris, où mes vêtements gouttent encore sur le parquet de la Machine, quand 1349 monte sur scène pour cause de permutation de dernière minute, et ça colle plutôt bien avec le côté plaie d’Egypte de la météo dehors. Jusqu’au moment où mon voisin et ami s’exclame “Oh nooon, ils ont tous loupé leur maquillage de Abbath !” Fou rire dans les alentours, et bonnes conditions, parce que même quand ça devient plus sérieux, ascendant premier degré, c’est toujours plus agréable d’être de bonne humeur.
Et 1349 vont clairement nous réjouir, dans le sens le plus sérieux du terme. Déjà parce que la présence scénique des Norvégiens en impose, mais aussi parce que malgré un son parfois un peu compressé, les musiciens n’ont pas l’intention de nous laisser respirer, réfléchir ou douter. Derrière les fûts, Frost “Jean-Michel Panzer” va parfois tellement vite et fort qu’on se demande si les gratteux ne galèrent pas un peu à suivre. Ravn, quant à lui, reste tout à fait stoïque et trve, amenant lentement mais sûrement la foule à température élevée et à vitesse de croisière des mouvements de tête. A ce moment de la soirée, la Machine s’est un peu remplie, souvent de gens un peu pris de court par le changement de groupe, parfois soulagés de ne pas avoir loupé une partie d’Vltimas, souvent dégoûtés d’avoir loupé une partie de 1349.
Si on comprend bien les deux parties, il est certain que l’ordre de passage “classique” des groupes fait plus de sens le lendemain à Nantes, en alignant les deux groupes de black, mais ce serait cracher dans la soupe que de prétendre qu’on puisse être réellement gênés par le running order de la Machine (à moins de louper les groupes, bien entendu). On a sur scène des musiciens de légende, et le fait qu’ils tournent tous ensemble est déjà un cadeau en soi. Et nous en tous cas, on était bien contents, et on l’a fait savoir dans la bonne humeur.
Côté casting, Vltimas annonce du lourd. Des ptis bouts de groupes aux styles variés mais bons dans leurs domaines, pour un groupe au son étrange, mélangeant le dark et le pêchu, le tout avec une voix ni vraiment death, ni vraiment black. En tous cas, c’était mon souvenir du Hellfest 2019, en clôture de journée avec pas grand monde à l’Altar, un taux d’alcoolémie collectif à 2 chiffres, et un regain d’énergie venu de la 4e dimension. Le tout avec aucune réminiscence de la dégaine des musiciens. A l’heure où ils commencent à jouer à Paris, 7 mois plus tard, ça donne à peu près :
- Nombre de vannes qui viennent à l’esprit à l’arrivée de David Vincent sur scène : beaucoup. (Et ça allait du “Oh purée il a pris cher le chanteur de Moonspell” à un tas de conneries autour de l’Undertaker et de la WWE. Après tout, le catch, c’est cool et nous sommes des gens de goût.)
- Nombre de vannes APRÈS que David Vincent ait commencé à chanter : zéro.
Wow. ENCORE wow. Comme de découvrir une SECONDE fois la puissance de ces mecs. Comme de découvrir encore que c’est bien le même mec que dans Morbid Angel, en mieux peigné, et sans basse pour l’occasion, mais qui envoie autant de pâté dans nos faces éblouies. Au point que même le lendemain à Nantes, j’étais si perturbée qu’en tombant sur David Vincent après les concerts, je crois bien que je lui ai demandé son prénom.
On a eu beau chambrer GENTIMENT les musiciens sur leur look (plutôt speed metal pour les guitaristes, quand le bassiste semble être arrivé direct du pays du metalcore sans avoir le temps de passer chez le coiffeur), ils nous en ont bouché un coin. Impeccables en toutes circonstances, habités, appliqués, carrés, rien à reprocher. Et au milieu de ce déferlement de décibels, mêlant black, death, planant avec de vrais morceaux de thrash dedans, David Vincent se balade lentement, comme s’il glissait sur les vibrations de la batterie, enveloppant toute la salle dans la profondeur de sa voix dès qu’il ouvre la bouche, en donnant l’impression que tout ce qu’il fait est d’une facilité flagrante.
Peu importe si ça pourrait paraître kitsch vu de l’extérieur. Dans la fosse, tout le monde est à donf, on croise parfois un(e) inconnu(e) du regard et on se sourit, parce qu’on partage quelque chose d’unique. Si on voulait filer la métaphore du catch, on parlerait probablement de Tombstone Piledriver : Vltimas nous a enterrés sur place, pour notre plus grand bonheur.
Et ce n’est même pas encore la tête d’affiche.
A peine remis de la claque sidérale, on se rend compte que :
- Les vêtements sont presque secs
- On n’a pas mangé grand chose aujourd’hui et ça se fait ressentir un peu
- ON VA VOIR ABBATH !
Au risque de répéter des évidences, l’amour porté à notre Norvégien géométrique préféré n’a pas grand chose d’objectif ou de rationnel.
Le groupe revient de loin, l’annulation de la tournée en Amérique Latine au soir de la première date a laissé des traces, en particulier sur la billetterie. Jusqu’au matin du concert, les fans se demandent s’ils joueront. A Nantes, les inquiétudes se crispent sur l’horaire tardif de passage, et tout le monde se demande si la manière forte a fonctionné, si la cure de désintox aura porté ses fruits.
Selon les gars de Nuclear croisés plus tôt dans la soirée, “Abbath est sobre, et très en forme”, et il n’y a aucune raison de ne pas les croire. Les roadies installent un décor de scène sacrément classe, et nous sommes sérénité, impatience, et perplexité à l’idée que d’autres gens aient pu préférer aller voir Megadeth & Five Finger Death Punch ou Gloryhammer le même soir.
Première surprise : la bassiste Mia W. Wallace n’est pas sur scène avec le groupe. Étant une musicienne plutôt demandée, on se dit qu’il doit y avoir une raison, et on n’apprendra que le lendemain qu’elle a manifestement été remerciée par le manager dans des circonstances ni très claires, ni très classes.
Nan mais regardez-moi cette petite bouille !
Deuxième surprise, même si moindre : Abbath restera sérieux pendant tout le concert. Pas vraiment de danse du crabe, pas de pose parodique, pas de blague non plus. Il s’applique manifestement à donner le meilleur concert possible. Heureusement, ça ne l’empêche pas de débarquer en armure de cuir, et d’headbanguer comme si sa vie en dépendait (avec les cheveux les plus propres, soyeux et visiblement doux du monde) en haranguant la foule totalement acquise à sa cause avant même la fin de “Hecate”. Et ce n’est qu’un tout petit regret y compris pour les fans du Abbath version marrant que nous sommes, puisque le rouleau compresseur constitué sur le coup par ce concert nous broie sans laisser une seconde pour les arrières pensées.
Côté technique, c’est le grand chelem. Depuis les jeux de lumières magnifiques jusqu’à la qualité du son, les conditions semblent idéales et les musiciens donnent le meilleur d’eux même. Ce que l’on perd en jeu de scène ou en blagues, on le gagne dans la maîtrise musicale elle-même, mieux résumé ainsi (par le même ami sus-cité) :
“Nan mais là, ils rajoutent des trucs et des notes qui sont pas dans les albums !”
Parce que bon, on rigole, on rigole, mais on n’oublie pas non plus que si Abbath a parcouru tout ce chemin, et qu’on le connaît à l’origine, c’est parce qu’il est excellent dans ce qu’il fait. Lui non plus n’a pas oublié. Ni ses compagnons. Il est temps de rétablir cette réputation, et s’il faut cesser un peu de faire le mariole, zapper un classique comme “Tyrants” (encore trop lié au camouflet de Buenos Aires ?), soit. L’Ex-Immortal a d’autres titres à jouer. Essentiellement des extraits d’Outsrider, son second (et ambitieux) album solo, d’ailleurs, un “Mountains of Might” entre autres reliques avant de clôturer sur “To War !” et “Winterbane”. Monstrueux. Dans la fosse, tout le monde hurle, mais c’est fini, il n’y aura pas de rappel, ce qui est à la fois frustrant (tellement on était bien), et rassurant (tellement on est épuisés).
Dehors, il ne pleut plus, Abbath a chassé les nuages et les doutes sur ses capacités à donner un concert correct. On a beau l’aimer dans les moments plus compliqués aussi, c’est bon d’assister à une telle démonstration de force. A Nantes, il ne pleut pas non plus, mais le temps de reprendre forme humaine (à défaut de prendre forme d’Abbath), se faire catapulter hors de la salle qui ferme et retrouver le chemin du centre, tous les kebabs sont fermés.
Seul regret des deux soirées : personne n’a craché de feu.
(Watain l’aurait fait)
Merci à Abbath & compères naturellement, à Garmonbozia bordel, vous êtes vraiment trop forts, à Fred Chouesne à qui il faudra vraiment payer une bière un jour, à Yamoy et Oscar, à la Machine du Moulin Rouge, aux roadies qui ont assuré 4 changements de plateau, batteries incluses, aux trains Ouigo, à l’Absence (meilleur troquet de Nantes), et au merveilleux staff du Stéréolux.
Pas merci au connard agressif de Nantes qui (heureusement) n’aura pas réussi à saper notre bonne humeur.
Toutes les photos sont de Sébastien Gallon qui capture ces musiciens aussi magnifiquement qu’ils sont représentés dans le cœur de Sarah dont le texte est là seulement pour illustrer, hein.
Laisser un commentaire