
Il y a des jours comme ça où la vie est plutôt cool.
Le 19 octobre dernier était l’un de ceux-là. Non seulement Airbourne passait en concert à la Cigale, mais en plus, Matt “Harri” Harrison, guitariste rythmique de son état, enchaînait les interviews. Avenant comme un Australien, couvert de tatouages très colorés qui surgissent de son ticheurte Motörhead, il offre une bouteille d’eau à quiconque a bravé les épreuves pour le rejoindre. Soit essentiellement les trois étages côté loges de la Cigale, dans une salle accessible via un dédale de couloirs et d’escaliers dans lesquels on ne calerait pas un fauteuil Stannah.
Harri est content, parce qu’il a bien dormi, même s’il avoue qu’il aurait aimé faire un peu de tourisme. Il écoute attentivement, a les yeux qui pétillent quand il sourit, fait parfois des pauses pour réfléchir, donnant l’impression de ne jamais débiter des réponses automatiques, bien qu’elles se répètent probablement d’une interview à l’autre.
Les deux concert sont complets depuis un moment, ce qui a l’air de l’enthousiasmer, bien que le groupe ait dû faire une croix sur sa guest-list histoire de débloquer des places. Après tout, ça promet ; ils vont pouvoir démolir la salle convenablement…
Mais avant ça, faisons connaissance avec le jeune homme assis dans le canapé en face…
“Tu peux m’appeler Harri. Même si, sur mon permis de conduire, c’est écrit Matt, tout le monde m’appelle Harri. Sauf ma maman…”
Alors raconte-nous tout, Harri. Qui es-tu ? Quelle est ton histoire ? Comment est-ce que tu t’es retrouvé là ?
Je suppose que l’histoire commence début 2017 quand Roadsy (David Roads, gratteux rythmique depuis les débuts d’Airbourne, parti reprendre la ferme familiale) a quitté le groupe…
Nan, en fait, si on remonte VRAIMENT aux origines, je suis amis avec les gars d’Airbourne depuis… Plus de 10 ans maintenant. Je viens aussi du Victoria, et c’est une de ces situations où on avait des potes en commun, on aimait les mêmes groupes, etc. Et de fil en aiguille, on se retrouvait, quand les gars rentraient à la maison, dans les mêmes bars, à boire des coups ensemble, écouter de la musique, discuter avec nos amis mutuels… Et réaliser tout ce qu’on a en commun, les groupes qu’on aime, ça crée des liens !
Puis avance-rapide jusqu’au départ de Roadsy…
En fait, Joel m’a appelé un jour, et au ton de sa voix, il avait l’air très sérieux. Nos coups de fils n’étaient jamais sérieux d’habitude ! Mais là, (il mime le téléphone 🙂 “Mec, tu es dispo ? Retrouve moi au pub si tu peux, il faut qu’on parle”.
(il marque une pause et prend un air ahuri)
… Bordel ! Il ne parle JAMAIS comme ça !
En raccrochant, le temps que ça remonte au cerveau, je me suis demandé s’il était malade… “Qu’est-ce qui se passe ? Une mauvaise nouvelle ? Il n’a jamais une voix aussi grave !” Et quand on s’est retrouvés, il m’a expliqué que Roadsy quittait le groupe et m’a demandé si ça me plairait de le remplacer.
A ce stade, j’étais déjà dans un groupe, Palace of the King, depuis 5 ou 6 ans. C’était un projet qui me tenait vraiment à cœur. Je travaillais dur, je me donnais du mal pour le faire décoller. On arrivait au point où on commençait les tournées en Europe, quelques showcases aux États-Unis, de bons plans ici et là en Australie. Je voulais vraiment être musicien.
Note : Palace of the King avec Harri, ça ressemblait à ça. Plutôt différent, ceci dit, le groupe existe toujours !
Tu avais un autre job à côté ?
C’était nécessaire oui, mais pas de quoi appeler ça un plein-temps. Je bossais, je partais deux mois en tournée, je revenais, je repartais… Je travaillais dans le bâtiment, sans m’y impliquer à 100%, 40h/ semaine, j’avais seulement besoin de l’argent. Donc quand Joel m’a fait cette proposition, j’y ai d’abord réfléchi pendant un jour ou deux, purement parce que… Le plus difficile là dedans, c’était de lâcher MON groupe, celui que j’avais créé, pour lequel je bossais si dur…
Et tu as dû avoir l’impression de les trahir aussi, non ?
Tout à fait. MERCI de dire ça ! (Il rigole) C’est vraiment l’impression que ça m’a laissé. Mais ce sont des choses qui arrivent, et c’était la bonne décision à prendre. J’ai de la chance dans le sens où j’ai conservé les avantages. Je suis toujours dans un groupe avec mes meilleurs potes. C’est la même raison pour laquelle n’importe quel gamin monte un groupe dans un garage ; parce qu’il veut jouer de la musique avec ses amis.
Et visiblement, ça se passe bien ! Regarde où ça m’a mené, je suis à Paris !
C’est autre chose qu’avoir 3 taffs différents, galérer avec son groupe et dormir par terre en tournée...
Dormir par terre, ouais, ce genre de chose. On a beaucoup de chance d’être arrivés là, et ça me rend tellement fier. J’avais travaillé dur avant de rejoindre Airbourne, les gars aussi, et les sacrifices ont fini par payer.
Tu as passé une vraie audition ?
Même pas, ils me faisaient confiance. C’est l’un des trucs cool, quand tu connais des gens depuis si longtemps avant de rejoindre leur groupe. Et y’a eu tellement de bœufs, dans mon salon ou chez Joel, où on rentrait tout torchés à 3h du mat’, (il mime) on mettait un disque et on attrapait des guitares pour jouer n’importe quoi ensemble. On s’amusait bien, donc on n’a jamais douté que ça fonctionnerait de ce côté-là… Et au bout d’une semaine, j’avais l’impression de faire partie d’Airbourne depuis 10 ans !
Et tu te dis que tu seras encore là dans 5, 10, 50 ans ?
C’est ça. Et comme Ronnie Wood dans les Rolling Stones, je serai TOUJOURS “le nouveau”. On est une bonne bande, et on est tous “ROCK’N’ROLL FOR LIFE“, on est tous ultra impliqués et aucun d’entre nous n’a prévu de faire autre chose.
Tu as eu le trac au départ ? Il y a eu des concerts énormes depuis ton arrivée, au Hellfest, à Wacken, tous les shows à Paris sont pleins à craquer, c’est plutôt impressionnant, et ça a dû te changer par rapport à Palace of the King.
C’est forcément différent sur plein d’aspects, mais en fait, sur plein d’AUTRES aspects, c’est assez similaire aussi. Que ça ait été avec mon ancien groupe, devant 100, 200 personnes, à Paris ou ailleurs, ou avec Airbourne, comme tu l’as dit, au Hellfest ou Wacken, devant 80 000 personnes, je n’ai jamais vraiment été le genre de personne à avoir le trac, ou à me sentir nerveux avant de monter sur scène.
Y’a foule un peu…
C’est le “facteur australien” ça, les Aussies ne sont JAMAIS nerveux !
Oui, ça doit être ça aussi (il sourit). Ceci dit, mon premier concert avec Airbourne, juste après mon intégration, on avait une paire de warm-up shows, je crois que c’était en Pologne, dans des petits clubs en 2017. Le 3e concert, c’était devant 60 mille personnes au Rock Am Ring en Allemagne… Et j’étais définitivement plus nerveux avant le premier show polonais que pour le festival ! Ce qui me donnait le trac, c’était le côté “premier concert avec le groupe”, plutôt que là où on jouait, ou la taille du public.
Ce qui est pratique aussi, avec les concerts massifs comme celui du Hellfest, c’est qu’il y a des gens aussi loin que porte ton regard, et ça se fond dans un grand flou, tu ne distingues plus les visages. Sur pas mal de points, c’est parfois plus impressionnant de jouer devant 80 personnes.
Comment tu as trouvé ta place dans le groupe ? Sur scène, Joel a forcément tendance à accaparer l’attention, et tu restes plutôt à l’arrière avec Justin (Street, le bassiste)… Est-ce que c’est une position que tu préfères, ou est-ce que ça colle mieux avec ton rôle de gratteux rythmique qui tient la baraque ?
C’est un peu des deux. En fait, je vois ça comme un sport collectif. On est une équipe, et on a chacun un rôle. Et l’essentiel de ce qu’on fait sur scène, tous les trois (Ryan, Justin et moi), c’est de créer une base, un tremplin afin que Joel PUISSE faire son truc, se balader sur les podiums, escalader la scène, aller faire le mariole au milieu du public, et nous aussi on adore ça !
On n’a pas du tout l’impression que le taff de quiconque soit moins important, ça fait partie de notre fonctionnement en équipe, on se complète bien. Et tu sais, c’est un truc qui me suit, depuis tout jeune, j’ai toujours gravité autour des guitaristes, des sections rythmiques. Les fondations sont davantage mon truc que le lead ou les solos flamboyants…
Je suppose que ça crée un bon équilibre sur scène. On sait tous ce qu’on doit faire, et Streety et moi on fonctionne beaucoup en duo aussi…
C’est toujours amusant d’imaginer Airbourne dans des scènes du quotidien, pour le rôti du dimanche chez les beaux-parents par exemple, et on aime bien visualiser le groupe comme sur scène, complètement à donf. Est-ce que c’est le cas, ou est-ce que c’est complètement différent ?
C’est un peu des deux. On a clairement nos “moments”, ou on a l’impression d’être sur scène, sauf qu’on est dans un bar quelque part, à boire des coups et faire les cons… On avait une soirée à Amsterdam il y a 4 jours, et… On appelle ça un “blow out”, ces soirées où on sort et on se vide la tête, on relâche la pression, et généralement ça finit un peu n’importe comment. Mais les jours de concert, on a tendance à tout faire pour conserver le maximum d’énergie pour le show. Tu nous trouverais probablement backstage, deux heures, voire dix minutes avant le début (et je pense que ça surprendrait pas mal de gens) EXTRÊÊÊÊMEMENT calmes et silencieux.
Comment vous tenez le coup ? Comment vous faites pour rester en vie ?
C’est une énorme partie de notre organisation. Le tout, en particulier pour une longue tournée, c’est vraiment de (il prononce un peu comme un mantra en agitant les mains 🙂 “conserver l’énergie pour le show”. Tant qu’on a du jus pour assurer sur scène, c’est bon. C’est TOUT ce qu’il nous faut. On en ressort après 90mn, et on rejoint les loges et généralement, on s’écroule par terre ou sur un canapé, enroulés dans des serviettes, complètement trempés… Parfois, on ne se parle même pas pendant un long moment, tellement on est vidés.
C’est quoi le mieux, le concert ou la douche qui suit ?
Huhuhuh ! RIEN NE BAT LE CONCERT !
C’est un de ces trucs, d’ailleurs, tu en prends vraiment conscience quand tu rentres chez toi, que tu prends un petit break et que tu ne joues pas… Il n’y a rien d’autre dans le reste de ta vie que tu puisses faire pour répliquer cette énergie, cette adrénaline, cette état dans lequel tu te retrouves sur scène…
C’est pas un peu dangereux ça ? Frustrant, voire déprimant ?
Ca peut l’être, oui. C’est très commun d’ailleurs, chez les musiciens, de se battre contre ça entre autres choses, parce que c’est tellement extrême, l’énergie, l’excitation, l’adrénaline sur scène, et soudain, tu te retrouve confronté à l’extrême inverse, et la différence est drastique.
On se serre les coudes, on est là les uns pour les autres, on se soutient, et on est toujours les meilleurs amis du monde, et ça, ça aide. On se surveille, et puis on y est tous confrontés ! Ça nous arrive à chacun et on en est conscients.
Ca me rappelle un peu le nouvel album (parlons-en), qui est très “WOOHOO ! ROCK N ROLL” et qui soudain, laisse place à “Weapon of War”, un morceau beaucoup plus sombre… Est-ce que tu comparerais ce contrecoup à ce qui vous arrive après les tournées ? Est-ce qu’il y a un lien ?
En fait… Pour le morceau lui-même, les paroles, Joel était inspiré pour écrire sur les soldats qui sont envoyés à la guerre pour faire un certain nombre de choses, sur ce qu’on attend d’eux, sur ce qu’on les force à faire, ou à voir, cette expérience-là. Et puis ce choc drastique, quand ils rentrent chez eux et qu’ils ne trouvent pas le soutien dont ils auraient besoin… Donc il y a certainement une corrélation.
Mais nous sommes une bande de gars dans un groupe de rock, et ne serait-ce que clamer qu’on partage cette expérience serait un sacré grand écart ! Disons qu’on ne peut qu’espérer que c’est ce que l’on vivra de plus proche de ce que traversent ces pauvres gens.
Je suppose qu’il y a un lien dans l’idée du passage d’une expérience extrême à une autre, opposée, et tout aussi extrême.
[Va enchaîner après des déclarations pareilles ! On sort un peu les rames, et on revient aux concerts, et à Boneshaker, puisque c’est le sujet du jour]
Entretemps, l’album est sorti, woohoo !
L’album sort le 25, et vous êtes déjà en tournée, est-ce que ça veut dire que vous le trimballez déjà dans les caisses du merch sans pouvoir le vendre ?
Ca ne veut rien dire, non ! On a une super compagnie de merch qui, j’en suis certain, nous livrera d’énormes caisses de disques et de CD le jour J.
Pour l’instant, les concerts qu’on joue avant la sortie de l’album… On a commencé à y inclure des nouveaux morceaux, et la réaction du public est géniale. On vient à Paris, on adore Paris, on joue deux soirs à guichets fermés, on ne peut pas ne pas jouer les nouveaux morceaux et puis les jouer une semaine plus tard une fois Boneshaker sorti !
Parlons-en justement, ça se passe comment, la genèse d’un album d’Airbourne ?
La façon dont c’est écrit et enregistré est assez unique, dans le sens où on a vraiment fait ça à l’ancienne, de la même manière que les disques étaient enregistrés y’a 50 ans ! On s’est installés aux studios RCA à Nashville, un endroit incroyable et super réputé.
Pourquoi être allés si loin ? Vous ne pouviez pas le faire à la maison ?
On voulait bosser avec Dave Cobb. Il bosse là bas, et après une seule conversation, c’est devenu le seul choix, le mec évident pour produire l’album. On a su tout de suite que c’était notre gars. Donc c’est la raison principale, mais c’est vrai que quand on a une occase de travailler dans l’un des meilleurs studios, avec le meilleur producteur, on saute dessus.
Vous n’avez pas essayé de le traîner jusqu’à Melbourne en lui promettant monts et meatpies ?
Je ne suis même pas sûr que c’est ce qu’on aurait voulu ! Et encore une fois, les studios sont fantastiques, ça n’a pas d’importance d’être loin, on serait allés sur Mars s’il avait fallu, pour travailler dans un cadre aussi extraordinaire ! Donc on a débarqué, on s’est installés exactement de la même façon que d’habitude (il mime en pointant du doigt 🙂
“Voilà la batterie, l’ampli, l’ampli, l’autre ampli”, on se retrouve tous au milieu…
Avec deux pédales, “distorsion, et plus de distorsion” ?
Absolum… Nan, en fait, pas de pédale, on n’avait même pas d’accordeur ! Et c’est comme ça qu’on a tout enregistré. Tout en live, et parce que ça s’est passé comme ça, les guitares étaient captées par le micro de la batterie… Presque tout ce qu’on a fait allait contre les “règles” des enregistrements modernes, mais c’est ainsi qu’on s’était installés, et c’est ce qu’on avait en tête.
C’est pas évident de faire du Hard Rock, il n’y a qu’un nombre limité de powerchords, tous épuisés par des décennies de musiciens. Comment on fait pour réussir à faire une musique nouvelle à partir d’éléments simples ?
Le plus facilement du monde. Ce n’est pas calculé, ça vient sincèrement du coeur, ça sort des tripes, ça sort… De nous en fait. On ne veut rien faire d’autre, c’est comme ça qu’on joue, et c’est la seule chose qu’on sait faire. Ca n’a rien à voir avec un son calculé, ou une approche particulière, ou quoi que ce soit du genre. On essaie juste de transmettre les sons et les sensations que nous-même on adore dans la musique.
Au cas où : Harri, c’est le mec tout à gauche… Nan mais ça peut être bien de le préciser hein, on parle d’expérience !
Le créneau horaire arrive à expiration mais personne ne vient nous interrompre. La conversation digresse donc sur Angry Anderson de Rose Tattoo et sa participation à l’émission Bogan Hunters (qu’Harri n’a jamais vue, dommage), puis sur la douce ironie quant au fait d’être clairement un groupe australien qui ne peut pas se produire dans les mêmes conditions à la maison puisque tout leur matériel se trouve dans l’hémisphère nord.
Au moment de partir, un peu frustrée de ne pas avoir eu une journée entière (et des bières) pour discuter avec Harri, je me suis promise de ne plus jamais chambrer “l’autre guitariste d’Airbourne”. Et à la sempiternelle question “Bon, quand-est-ce qu’on revoit Airbourne ?” s’ajoute désormais “Bon, et quand est-ce qu’on réinterviewe Airbourne ?”…
Peu importe la réponse réelle aux deux questions, elle sera toujours synonyme de “Dans trop longtemps”.
Merci à Harri Harrison pour sa gentillesse et son accueil
Merci à Roger chez Replica qui a assuré l’équivalent d’un semi marathon dans les escaliers de la Cigale cet après-midi là.
Propos recueillis par Sarah
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