
17e arrondissement de Paris. Entre Malesherbes et Courcelles, soient les cases rouges ou bleues qui coûtent bonbon au Monopoly.
Dans un environnement qui semble fait uniquement d’ambassades et d’hôtels particuliers, rendez-vous est donné avec Tyler Bryant & the Shakedown.
Après avoir vérifié trente-huit fois l’adresse (tout de même, c’est pas commun), la porte s’ouvre sur un lieu improbable.
Un hôtel particulier, donc, avec pièce de réception et petit patio tout à fait bucolique.
Et.
Des.
Guitares.
PARTOUT !
On se trouve dans un magasin de guitares d’exception, environ toutes d’occase, environ toutes avec une histoire, ainsi que Tyler Bryant lui-même, un plateau de petit déjeuner à la mesure du quartier, et Caleb Crosby, batteur de son état. Tous deux sont arrivés la veille pour enchaîner deux journées de promo pour Truth and Lies, leur troisième album, sorti le 28 juin dernier. Le voyage a été long, près de 24h non-stop pour rallier Paris depuis Nashville, via Londres et l’Eurostar. Le décalage horaire se sent encore un peu, mais Caleb porte une sorte de sourire permanent, immense, et contagieux. Il passe rapidement sur la journée de la veille où tous deux ont enchaîné interviews, mini sessions acoustiques, et… Le concert de Gov’t Mule. Et ce n’est pas tout…
Caleb Crosby – C’était une chance, ce concert… Nous on savait même pas qu’on y allait ! Quand ça s’est décidé, on était hyper excités, et puis Tyler a joué avec Warren (Haynes), donc c’était cool. On a vraiment passé une super journée.
The Unchained – Est-ce que vous avez fini par aller jouer dehors, dans les rues ?
On l’a fait oui ! On est allés à Montmartre, comment ça s’appelle déjà ? Le Sacré-Cœur ? On s’est bien amusés, on avait invité les fans à nous rejoindre, et les gens se sont pointés, tout le monde essayait à peu près de comprendre où on était… Alors on prenait des photos, on demandait aux passants d’écrire où on était, en français, histoire de mieux faire comprendre, parce que se contenter de dire “On est en bas des marches”, vu que la colline ENTIÈRE est bardée d’escaliers, ça marche moyen !
Vous aviez déjà joué un peu à l’improviste dans la rue lors de votre dernier passage en France. Est-ce que c’est quelque chose que vous aimez faire un peu partout, ou est-ce que c’est plutôt réservé à Paris ?
Je crois que c’est l’un de ces trucs qu’on fait à Paris ! On l’a déjà fait ailleurs, à Londres par exemple, mais ce n’est pas régulier, donc quand ça nous prend, j’ai le sentiment que c’est spécial… Il me semble que la dernière fois à Paris, c’était Tyler et Noah (Denney, bassiste), je n’étais pas avec eux, mais à un autre passage promo à Paris, on l’avait fait aussi, tous ensemble. Donc clairement, à chaque fois qu’on passe ici, on va jouer dans la rue !
Tu penses que c’est parce que vous venez pour des tournées promo, plutôt que pour des concerts, et vous tenez à rester musiciens avant tout ?
Complètement, c’est tout à fait ça. Je veux dire, je suis ravi d’être là et de parler du nouvel album, mais ça me fait plaisir de jouer, et ça me rebooste aussi !
Puisque tu en es ravi, parlons un peu du nouvel album ! Peux-tu le présenter, et peut-être expliquer son titre ?
Simplement, ce nouvel album, Truth & Lies, on en a choisi le titre en se basant sur la couverture. C’est plutôt inédit, ça n’a rien à voir avec notre façon habituelle de procéder. On ADORE cette illustration. Elle est vraiment chouette ! On s’est un peu battus pour l’avoir, notre équipe n’était pas hyper emballée, parce que c’est un visuel tellement différent de ce qu’on propose habituellement. Donc notre entourage n’était pas convaincu, mais quand chacun a saisi l’œuvre, et le contexte, la signification de notre choix, ils ont été conquis.
Pour moi, Truth & Lies, ça renvoie à notre époque, et au fait qu’il est compliqué de savoir ce qui est réel ou non, pas seulement les médias et la politique, mais tout. On ne sait pas instinctivement ce qui est vrai. Tout est tellement chaotique… Ce que j’aime à propos de l’album, c’est que même si l’homme à gauche (sur la pochette) représente le mensonge, et la femme, à droite, représente la vérité, il y a quand même la musique au milieu. Il y a une radio au centre, et ça nous représente nous et notre album. Et j’adore cette imagerie ! Certains des morceaux semblent basés sur le mensonge, d’autres sur la vérité, peut-être que ce sera différent pour toi, et encore différent pour quelqu’un d’autre qui entendrait ces titres, et c’est un peu le but… Et l’équilibre, c’est la musique. Ce qui est central, c’est ce que tu écoutes, et c’est ce qui lie le tout.
L’autre indication que j’aime bien, parce qu’en plus, ce n’est pas volontaire, c’est qu’il est écrit “Truth” au dessus de l’homme en noir, et “Lies” au dessus de la femme en blanc, l’opposé de ce qu’ils représentent. Et encore une fois, ça va dans le sens du chaos, on ne sait plus trop ce qui est quoi.
Après, même dans les textes, il y a pas mal de “nuggets”, de petites références, “Blinded but I gotta see clear, I couldn’t see the fire“, des références qui se raccrochent à cette thématique du doute, et de l’aveuglement. Il y a pas mal de raisons, et nous-même on en découvre encore maintenant, comme à quel point l’illustration de la pochette s’entremêle avec les chansons.
Parce que ça s’est juste “fait comme ça” ? Vous étiez à quel stade de la conception de l’album quand vous avez trouvé la couverture ?
On avait fini l’album. Il n’était pas encore mixé, mais on connaissait l’album et les morceaux, et on a trouvé cette artiste, Mrs White, elle est basée en Allemagne.
On a vu ses œuvres, et… Wow, c’est épatant ! C’est abstrait et original, on pourrait dire gothique aussi… On avait déjà des pistes, des idées sur la vérité et le mensonge, on se contentait d’y réfléchir et d’en parler. Et puis on est tombés sur cette photo, et (il claque des doigts) “OK, c’est ça qu’il nous faut”.
Vous avez enregistré à New York City, et d’après ce que j’ai compris, vous aviez à peu près 55 démos de chansons ?
Oui c’est vrai. Ce qui est drôle c’est qu’on en a parlé hier, et j’avais complètement oublié ! Ce n’est pas quelque chose d’anormal chez nous
Vous aviez 30 morceaux pour le précédent…
On n’y pense pas vraiment. Le dernier album est sorti en novembre 2017. On était sur la route, on a fait toute cette tournée, on est rentrés pour les fêtes de fin d’année, et dès qu’on est chez nous, on écrit. Tyler compose tout le temps…
Vous attendez systématiquement d’être à la maison pour composer ?
On écrit un peu sur la route aussi. Parfois, ça arrive naturellement au cours des balances, et on enregistre pour y revenir plus tard, mais on ne fait pas ça consciemment, en se posant à cette fin. On compose tout le temps, les chansons arrivent d’elles-mêmes, tout le temps. Alors pour celui-ci, on a mis en place un système de dropbox pour s’envoyer nos idées les uns aux autres. Et quand on a tout compilé, on était impressionnés par la quantité de morceaux ! Ce n’est pas tout ; si tu prends “Out There”, c’est une chanson que Tyler a écrite il y a peut-être 7 ans ! Certains des morceaux existent depuis une éternité, mais ils ne collaient à aucun projet jusqu’ici, mais semblaient trouver leur place ici. C’est donc un mélange d’idées plus anciennes qu’on a revisitées, et d’autres, toutes neuves, qui sont arrivées instantanément. On est passés de 55 à 27 (du moins d’après Tyler, mais ça doit être à peu près ça), donc on a d’abord écrémé la moitié.
Comment vous faites un choix définitif ?
On a tout envoyé à notre équipe, mais la décision finale nous revient à tous les quatre. On s’est assis, et on a taillé dans la liste. On a fait des colonnes ! Je classe généralement entre “Définitivement / Peut-être / Définitivement pas”, et j’arrive avec ma liste, chacun a un peu sa manière de qualifier les morceaux. La différence cette fois, chose qu’on n’avait jamais fait jusqu’ici, c’est qu’on s’est réunis, et qu’on a joué les morceaux. En fait, on a répété. Et normalement, on se pointe au studio, et on enregistre, pour garder la fraîcheur. Là, on voulait voir comment la musique fonctionnait sur le groupe.
C’est une chose d’écrire une chanson, faire une démo, l’envoyer aux gars en leur disant “Ok, celle-ci sera sur l’album”, après quoi on entre en studio, on l’enregistre et on n’y repense plus avant de partir en tournée… Jusqu’au moment où on se regarde et on se dit “Mouais, on va peut être pas la jouer sur scène finalement” (il rigole)
Il arrive simplement que certains morceaux ne se transposent pas en live comme tu l’avais imaginé. C’est pour cette raison que ce projet est différent. Parce qu’on n’a gardé que des morceaux qui rendaient la même chose en concert que dans nos têtes.
Donc c’est à 100% un album que vous voulez jouer en concert ?
Absolument. D’ailleurs, pour la release party de l’album à Nashville (NDLR : l’interview a été réalisée avant cet évènement), on continue dans la nouveauté, et on va l’interpréter en entier, et dans l’ordre. C’est plutôt cool ! Notre set de 13 chansons est prêt, on en rajoutera quelques unes après, on ne l’a jamais fait, et c’est excitant.
Quelle marge de manœuvre avez-vous laissé à Joel Hamilton, le producteur de l’album ? Est-ce qu’il a son mot à dire quand vous débarquez avec une telle quantité de compos ?
Il est venu au concert de New York où on jouait avec Clutch, et ça a été l’élément déclencheur. Il a observé et saisi l’essence de notre groupe sur scène. Et il nous a dit qu’il voulait capturer ce résultat. Qu’il voulait sentir quand Tyler grimpe sur la grosse caisse pour sauter en l’air, quand je me prends les pieds dans les câbles des grattes, tous ces éléments qui constituent nos personnalités, et l’identité du groupe. Il fallait pouvoir visualiser tout ça, à l’intérieur d’un album studio. C’était l’objectif dès le départ.
Est-ce que c’est aussi une raison pour laquelle vous avez autant répété avant ?
En général, on enregistre beaucoup dans les conditions du direct, mais cet album a clairement cette intention de ressentir le live. Joel nous a aidés à trouver un son et une atmosphère créatifs. Quand tu écoutes les bandes au casque et que le son est excellent, ça t’inspire, clairement, et c’est un des gros boulots du producteur. Mais je pense que ce que Joel a fait de plus important, c’est de nous sortir de nos habitudes. On a tendance à se focaliser sur un détail et à ne plus voir ce qu’il se passe autour. Joel nous a forcés à élargir ce niveau d’attention. En plus, Tyler et moi sommes de gros perfectionnistes, du genre à psychoter sur un kick un peu en retard ou un bend un peu faux. Mais Joel nous a dit “Non, c’est le feeling ! Le groove est là aussi.
Il a fallu un mec comme ça, avec qui on se fait confiance, pour avancer. C’est marrant, parce que ça t’apprend aussi à aimer ces petites imperfections. Honnêtement, c’est ce qui te rend réel.
Dave Grohl parle souvent de l’élément humain en musique, tu sais, tous ces albums qu’on a écouté en grandissant, ils en sont remplis. Tu entends des gens qui parlent dans la salle, tous ces défauts que tu ne retrouves plus dans la musique moderne. Non pas que ça me pose un problème, hein ! Mais nous, c’est là où on s’épanouit, parce qu’on est un groupe live.
Qu’est-ce que vous allez faire de tous les titres en trop ?
Bonne question, je suppose qu’il va falloir qu’on se décide ! Peut-être qu’ils seront intégrés à de nouveaux projets, et peut-être que personne ne les entendra jamais !
Je ne m’inquiète pas trop, parce que je me dis que si une piste qu’on n’a pas retenue doit se retrouver sur un autre album, qu’on doit la revisiter, ce sera une évidence.
Vous pouvez les jouer en tournée…
Certainement ! Et on peut toujours se retrouver pour le prochain album à repêcher 5 titres et voir ce qu’on en fait, les retravailler et voir ce que ça donne. Je t’ai déjà dit qu’on avait beaucoup répété. Mais on a aussi laissé pas mal de choses ouvertes, indéfinies.
Est-ce que tu as un morceau favori ?
Je crois que tu peux me demander aujourd’hui, et demain la réponse sera différente. Là, tout de suite, ma préférée c’est une chanson qui s’appelle “Without You”. Je n’avais pas écouté l’album depuis un moment, histoire de prendre un peu de recul. Et la semaine dernière, on a décidé de répéter un peu en acoustique pour ces journées promo…. (Il ajoute, en prenant un air de conspirateur : ) Sachant que bon, ce qui se passe habituellement ; on répète, on se pointe, et on fait quelque chose de complètement différent ! (Il rit, fort et joyeusement)
Bref, j’écoutais l’album, on était chez Tyler, et ça m’a frappé. Ce n’est pas que j’avais oublié cette piste, mais ça faisait un moment et j’avais l’impression de la redécouvrir. Et j’adore “Couldn’t See the Fire”.
Et est-ce que tu dirais que ce sont tes préférées parce que ce sont des chansons que tu voulais écouter, ou parce que ce sont tes favorites à jouer ?
(Il réfléchit) Mmmh… Plutôt en tant que chansons tout court. Préférée à jouer, la réponse serait différente, j’adore jouer “On To The Next” en concert. Côté batterie, c’est un morceau vraiment fun à jouer, et en plus, on a été surpris par la réponse du public qui la chante en masse ! Le refrain est facile à retenir, et les audiences réagissent super bien. Bien entendu, pour l’instant, on n’a pas vraiment joué les nouveaux morceaux en concert, mais on joue “Without You” aux soundchecks, et elle est vraiment chouette à faire sur scène aussi. Donc peut être que c’est une seule réponse pour tes deux questions !
Le groupe a fêté ses 10 ans d’existence, c’est ça ? (Il acquiesce) Alors joyeux anniversaire !
Le groupe en l’état actuel est là depuis environ 7 ans. Ce qui est un peu dingue à mon avis ! Mais oui, Tyler et moi on est là depuis 10 ans… On en parlait hier soir, et il m’a dit “On dirait qu’on forme un couple”. Et on s’est fait un beau dîner. Pas de champagne ou de chandelles, mais on avait notre responsable de promo !
Quand vous avez commencé, vous pensiez en arriver là ?
Non… (Il dit ça très fermement, il hésite, puis 🙂 En fait… Si. Mais je n’y pensais pas vraiment. C’est une vie dans laquelle on s’est lancés parce qu’on adorait ça. On ne réfléchissait pas aux détails, mais bien sûr qu’on imaginait qu’on allait devenir des rockstars et jouer dans des stades… Le chemin a été long, et on y travaille encore !
Est-ce que la musique est ton seul gagne-pain, ou tu as, ou as eu, d’autres boulots “adultes”, alimentaires ?
C’est mon unique carrière. Et une chance incroyable, j’y pense très souvent, parce que j’ai beaucoup d’amis qui aimeraient vivre comme ça. Parfois, tu peux te sentir un peu blasé, avoir des envies différentes, mais rien que le fait que tu en parles, je me sens tellement chanceux d’avoir eu et pu saisir ces opportunités. Tyler et moi, on a toujours eu ce but commun de faire de la musique honnête dans laquelle les gens peuvent se retrouver, et le reste en découle, je pense. Si tu es honnête, et vrai, et que le public le ressent, et reste à tes côtés.
C’est vrai que quand on trouve un groupe en lequel on croit, on veut VRAIMENT qu’il trouve le succès, et on devient un peu relou à force de ne parler que de ça autour de nous.
J’adore ça. J’adore quand les fans s’impliquent à ce point. On en croise aux concerts parfois (il imite 🙂 “Je rend mes amis fous / Ca fait 3 ans qu’il/elle m’en parle et ENFIN je vous vois en vrai !”, tu vois le plan ? Et nous on se dit “YES ! Il/elle a accroché, on a réussi !”
Parfois, la frontière est bien fine entre les fans très très enthousiastes et ceux qui sont un peu flippant, non ?
C’est vrai, clairement, on en a aussi des comme ça. Mais je vais te dire. Peu importe, tant que ces gens aiment notre musique, et qu’ils nous soutiennent, on le vit bien, c’est cool !
Vous prenez ce qui se donne ?
(Il sourit jusqu’aux oreilles) Totalement ! On va pas faire les difficiles !
Est-ce que tu peux définir votre musique avec un seul mot ?
(Il réfléchit longuement) Le premier mot qui arrive dans ma tête, c’est “Bruyant” (“Loud”). J’aime bien celui-ci parce que c’est vrai ; on joue fort ! Je pourrais probablement ajouter des adjectifs. Sinon, “énergique” est un autre mot qui fonctionne… Mais “Bruyant”, c’est le meilleur.
Ce sera le mot de la fin dans ce cas ! Godspeed (Bonne route) !
Tyler Bryant & the Shakedown viendront balancer leurs nouveaux titres en France, du 2 au 6 décembre prochain. Ils passent par Marseille, Lyon, Belfort, Lille et Paris (le 5, au Nouveau Casino).
Truth & Lies est disponible dans toutes les bonnes crèmeries.
Merci à Caleb Crosby et Tyler Bryant, pour leur incroyable gentillesse et leur enthousiasme.
Merci à Olivier de Replica, ainsi qu’à Matt’s Guitar Shop pour une interview menée dans des conditions de rêve.
Propos, joie communicative et amour de la musique recueillis par Sarah.
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