Belzebubs, de la BD au disque

Le trans-média c’est à la mode et quand c’est bien fait c’est encore mieux ! Alors imaginez quand ça concerne du black metal et une bande de Finlandais…

Partie 1 

Tout commence il y a quelques années. Un couple d’amis m’avait offert un bande dessinée indé, traduite par un membre de leur famille. J’abrège l’anecdote mais complète, elle implique des hippies bretons, un marquis dévergondé, des indépendantistes morlaisiens et un cairn néolithique. De toute façon mes amis la racontent mieux que moi.

Perkeros – les Notes fantômes est donc une BD signée JP Ahonen et KP Alare (des Finlandais donc) racontant l’histoire d’Axel, jeune étudiant de Tampere. Il vit pour et par la musique, s’oubliant corps et âme dans ses compositions. Déconnecté de la réalité, il se consacre entièrement à son groupe, Perkeros, formation amateur de metal d’avant-garde composé d’Aydin, le chanteur turc fraîchement immigré, Lily, la claviériste, Kervinen, le bassiste centenaire et de Brun, l’ours batteur – un vrai ours, oui oui. Le groupe piétine, incapable de sortir son EP ou d’obtenir des dates, freiné par la quête absurde de perfection musicale d’Axel. Au fil des pages et de l’intrigue, un univers fantastique se dévoile peu à peu, avant de s’ouvrir brutalement sous nos pieds.

 

En plus d’être un récit touchant aux complexes intérieurs, Perkeros est un hymne à la musique. Il décrit cette manière si puissante que la musique, et pas seulement le metal, a de faire vibrer cette corde en nous, de nous désorienter, de nous fondre en elle… L’imaginaire visuel déployé par JP Ahonen est bluffant et accentue d’autant plus ce pouvoir évocateur qu’a la musique sur nos esprits. Son style doux colle aux scènes plus intimistes et émouvantes.

Aurons-nous droit à un futur album ? Je me jetterais dessus frénétiquement mais rien ne le laisse présager pour le moment.

Les années passent mais je garde le souvenir de cette superbe découverte dans un coin de ma tête. Hiver 2018, période des courses de Noël. Je furette dans les allées d’une librairie parisienne quand une couverture noire et blanche capte mon attention. Plus rapide qu’un morceau de Napalm Death, je m’empare de l’ouvrage et je le feuillette avidement.

Belzebubs rassemble l’ensemble des strips dessinés ces dernières années par JP Ahonen. En quelques cases (et beaucoup d’humour), il dépeint la vie quotidienne d’une famille vénérant le black metal et Satan et du groupe du papa, Belzebubs. Les blagues sont bien trouvées et la BD se lit rapidement. Dans une interview, l’auteur raconte sa dépression et le besoin qui l’a poussé à abandonner ses projets pour se tourner vers quelque chose de simple et de cathartique.

Ne nous éternisons pas : si vous aimez les blagues potaches, l’auto-dérision et le metal, Belzebubs vous fera rire. Dirigeons-nous plutôt vers ce dont je vous parlais quelques paragraphes plus haut : le trans-media…

Les sites dédiés aux deux bandes dessinées sont réalisés sur le modèle des sites de groupe : biographies des membres, dates de tournées, discographie, etc. Ça ne mange pas de pain mais c’est un clin d’œil plutôt bienvenu et qui a le mérite d’annoncer la suite du programme concocté par M. Ahonen.

Ensuite, bien que l’auteur lui même n’en soit pas à l’origine, la maison d’édition Casterman, Spotify et le Hellfest avaient, à l’occasion de la sortie de la version française de Perkeros, créé une playlist accompagnant le livre.

Et enfin, depuis l’année dernière, Belzebubs est officiellement  un groupe de metal. Leur EP Blackened Call est sorti chez Century Media. Adieu quatrième mur… Les clips sont animés dans le style de JP Ahonen, les morceaux crédités au nom des musiciens de la bande dessinée (de folles rumeurs courent donc sur l’identité des musiciens), etc. Si l’humour de la BD se retrouve dans les clips, la musique n’est pas là pour déconner ! D’ailleurs, depuis la sortie des premiers morceaux, la BD est présentée comme un documentaire sur l’histoire du groupe.

Leur premier album, Pantheon of the Nightside Gods sort le 26 avril. Les quelques morceaux déjà disponibles sur Youtube sont très prometteurs. Contrairement à l’esprit de la BD, la musique du groupe sonne plus comme du “blackened death” que comme du trve black metal. Le morceau “Cathedrals Of Mourning” m’a déjà conquis, adorateur de death melodic que je suis… Le growl est très reconnaissable et je me range du côté des théories qui y entendent la voix de Niilo Sevänen, le chanteur d’Insomnium.

 Partie 2

Voilà, une semaine a passé depuis la sortie de l’album (et l’écriture de la première partie de cet article) et le boîtier est enfin entre mes mains ! Et je dis bien “entre mes mains” car il est possible de se procurer en ligne la version physique de Pantheon of the Nightside Gods, éditée en quantité limitée. En plus d’un fort potentiel de frime, on y retrouve les neuf titres (plus deux pistes bonus) ainsi que quelques illustrations très sympathiques.

Dès le lancement de l’album, on appréciera l’intro complète de “Cathedrals of Mourning”, raccourci dans le clip dispo sur Youtube. Un aller simple pour l’univers lugubre des Finlandais ! Tout au long du morceau, les claviers (piano et synthé) sont hypnotisants et donnent toute sa saveur à ce titre d’ouverture. Couplé aux guitares ronflantes du couplet, leur tintement donne des airs d’opéra diabolique à ce morceau phare de l’album. Je l’avais rapidement évoqué plus haut : entre le growl caverneux et les passages murmurés, tout le talent vocal de Sløth est mobilisé ici, accompagné ça et là par une voix féminine plutôt discrète. Ajoutez quelques clins d’œil à l’œuvre du solitaire de Providence et vous obtenez une claque musicale massive (mais printanière).

“The Faustian Alchemist” (titre que ne renierait pas Behemoth – mais peut-être est-ce un clin d’œil ?) débute lui aussi avec une douce intro pianotée. L’atmosphère est un peu plus épique (encore une fois grâce aux lignes de synthé) mais l’écriture du morceau fait mouche avec un sens de la narration porté à la perfection : l’enchaînement break fantomatique/solo/couplets finaux/outro s’écoute en boucle ! On est déjà en sueur et l’album ne fait que commencer…  La tonalité du texte nous renvoie à Poe et aux gothiques anglais : un occultiste tombant amoureux d’un cadavre ; le tout traité dans un registre plus sentimental qu’on retrouve dans d’autres morceaux.

Dévoilé en clip bien avant la sortie de l’album, “Blackened call” est un peu en deçà des deux premiers morceaux. Un peu plus convenu peut-être mais surtout moins riche en circonvolutions et en harmonie.

La première des grosses bouchées de Pantheon of the Nightside Gods est “Acheron” avec ses 7 minutes 30. La tonalité y est plus mélancolique, le rythme plus lent. La narrateur remonte le fleuve des Enfers à la recherche de son fils disparu qu’il vient réclamer au dieu des morts. A travers ce texte très mythologique, difficile ne pas se rappeler l’importance des liens familiaux au sein de Belzebubs.

Le registre de “Nam Gloria Lucifer” nous renvoie à un black metal un peu plus traditionnel tant dans la musique (avec une intro “behemothesque”) que dans les paroles consacrées à l’Apocalypse et au retour de Lucifer !

Sautons quelques titres pour écouter “The Werewolf Bride”. Encore un titre où, malgré un certain cachet blasphématoire, triomphent le règne de la Nature et le romantisme noir ! Et si Harlequin lançait une gamme “Romance et Black Metal” ?

On charcute encore un peu l’ordre des morceaux (mais vous comprendrez après pourquoi) et on s’attaque à “Nuns In the Purgatory”, le premier des morceaux bonus. Un chœur mixte s’élève dans un dénuement total, simplement accompagné d’un orgue très discret. Dommage que les paroles manquent au livret, j’aurai adoré lire le texte écrit par Hubbath pour ces nonnes. Un morceau très simple mais plutôt audacieux et légèrement dérangeant… On apprendra dans les crédits de l’album que la performance a été réalisée par la chorale d’Innsmouth !

Après quelques digressions, il est temps de se pencher sur la tétralogie que constitue “The Veil of The Moon Queen” dont les quatre parties sont dans le désordre ! Elle commence avec la seconde piste bonus “Maleficarum”. Ce morceau orchestral où s’illustrent les cordes fait office de porte d’entrée, de prélude vers l’album entier du groupe : pourquoi l’avoir relégué à cette place ? Second volet, “The Crowned Daughters” ! Les premières notes ne sont que douceur et sérénité, le genre de choses qui ne durent pas dans un album de metal ! Le rythme saccadé de la batterie apporte un peu de nouveauté, tout comme l’ajout d’une guitare folk. Le chant clean est enchanteur et au fil des premiers couplets, le morceau se teinte d’une pellicule 70s avant de replonger dans du Belzebubs pur jus ! “Dark Mother”, la troisième partie, suit immédiatement. La patte black metal est plus présente. Le morceau de neuf minutes se divise entre partie chantée et partie instru comprenant solo et longue outro. Finissons en pour de bon avec le morceau éponyme, “Pantheon of the Nightside Gods”, neuf minutes lui aussi ! Le piano lugubre de “Cathedrals of Mourning” fait son retour pour le grand final, les chœurs aussi. Retour du chant clean également, pour un couplet tourmenté. La prière achevée, le Belzeburgh Symphony Orchestra reprend en main le morceau pour un final orchestral, sombre et mélancolique.

Ainsi s’achève Pantheon of the Nightside Gods, le premier album de Belzebubs. Malgré quelques monotonies dans les arrangements et le chant, les morceaux de bravoure de certains morceaux comme “Cathedrals of Mourning”, “The Faustian Alchemist” ou “The Crowned Daughters” font de cet album une véritable perle musicale. L’univers lugubre et gothique renvoie à des thèmes littéraires et picturales qui me sont chers. L’humour de l’œuvre originale se retrouve par petites touches dans des références bien cachées et le capital sympathie crée par la BD de ces musiciens de papier ne fait que renforcer l’affection qu’on peut avoir pour cet album. L’histoire du groupe et de son créateur est touchante et on ne peut que se féliciter qu’un modeste projet de blog soit devenu une oeuvre si puissante ! Espérons simplement que l’aventure Belzebubs ne fait que commencer.

Texte : Thomas

Le site de Perkeros : http://www.perkeros.com/

Le site de Belzebubs : https://belzebubs.com/

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