
Ah Rammstein ! C’est une vieille histoire entre nous. En plus de vingt ans, avec de nombreux concerts, j’ai assisté à cette montée vertigineuse du groupe sur la route du succès (mérité), j’ai vu ces salles doubler en volume à chaque fois, attirant un public plus nombreux et toujours plus hétérogène. En 2009, “Liebe Ist Fur Alle Da” sortait dans les bacs et l’effet est à moitié réussi. Le groupe nous offrait encore quelques titres digne de son ADN d’origine mais le reste tournait assez vite en rond, laissant supposer un manque flagrant d’envie ou d’inspiration. Entre temps chacun est parti vaquer à ses occupations, ses projets solos et autres. Un best of, du remix, des concerts par ci, par là… Sortir un nouvel opus est pour Rammstein le signe d’un grand retour. Un retour quelque peu éprouvant, surtout lorsque l’on sait avec quelles difficultés le groupe doit composer pour se réunir.
Comment accueillir cet album tant attendu (et c’est peu dire) et qu’ils n’ont même pas pris la peine de nommer ? Rammstein nous sous-entend encore et toujours que nous ne sommes à l’abri de rien ; couverture d’album énigmatique, et opus sans titre, que nous réserve ce nouvel album ?
1er titre, 1er extrait et 1ere polémique inutile, surtout quand on ne va pas plus loin qu’un simple teaser et deux trois images… “Deutschland”, un hymne à l’amour et à la colère pour la mère patrie Germania qui réveillera les mauvaises langues et la « bienséance ». En tout cas, comme ils l’avait déjà démontré avec “Rammlied” en 2009, ils savent y faire avec l’ouverture, à coup sur ce titre sera en intro de leur prochaine tournée et l’effet sera réussi. Ils insèrent dans “Deutschland” une certaine force grandiloquente, avec une emphase très wagnérienne, appuyée par un clip baroque et riche en iconographie. Un voyage made in Rammstein à travers l’histoire l’Allemagne. C’est tout Rammstein condensé dans un titre ; une image, des idées et une musique qui dépassent la lecture de premier niveau.
Cette touche, on la retrouve aussi dans l’électro et entrainant “Radio” qui, lui aussi, se rapporte à la riche histoire du pays, ainsi qu’à l’histoire la musique allemande elle-même, avec un clin d’œil à Kraftwerk, connus pour être les papes de l’électro d’outre-Rhin. Une mélodie hypnotique et redondante qui accroche les cerveaux depuis sa sortie. “Radio” est une carte blanche laissée au claviériste et souffre douleur scénique du groupe ; Mister Flake Lorenz.
« Zeig Dich », qui n’est pas sans rappeler le titre Zwitter (issu de Mutter) est la composition la plus riche et plus proche de l’ADN du groupe (avec « Tattoo »), grosses guitares à gros riffs martiaux insuffleront l’énergie nécessaire en live et réveilleront la flamme des fans. On reste dans une variation old school de ce qu’ils savent faire de mieux ; du Rammstein.
Mais le frémissement est de courte durée car l’album va vite retomber comme un soufflet pour ceux qui s’attendaient à trouver dans cet album une identité metal prépondérante. Le riffing de Paul et Richard prend du recul et rentrent dans le rang, les titres partent par moments dans une variation plus électro… Le sextet teuton se libère, expérimente avec un champ des possibles plus large, il semble qu’on ait notamment accordé à l’ami Flake une marge de manœuvre bien supérieure à elle qui lui était réservée dans les précédents albums, et ce dernier en profite ! On fera l’impasse sur l’eurodance très 90 qu’est « Auslander », qui a de forte chance d’être une composition ironique compte tenu du décalage qu’elle présente avec le reste de l’opus. Un titre plutôt ovni qui éveille ma curiosité quant à un éventuel clip, connaissant le sens de la dérision de Till Lindemann. Un titre parfait pour aller s’ambiancer en boîte berlinoise ( Flake, DJ des nuits teutonnes ?).
Mais on s’arrêtera surtout sur « Sexe », on connait bien l’attachement du groupe quant au sujet, et à la provocation qui s’y rapporte. Ce que l’on associe moins facilement à l’image que l’on s’est fait de Rammstein depuis des années, c’est cette surprenante construction musicale, plus rock ondulant que metal ondulant; quand nous avions intégré ces structures robotiques et très industrielles. Proche de Rob Zombie moderne, Marilyn Manson ou bien Volbeat. Les mauvaises langues parleront de Pussy, ne pouvant s’empêcher de pointer la récurrence du sujet, mais cette inhabituelle construction musicale apporte du sang neuf aux lubricités du groupe. Et puis, quoi qu’il en soit, on peut parler de cul autant de fois qu’on le souhaite. Surtout quand on s’appelle Rammstein.
Certains titres se font plus tièdes et moins remarquables. Ils tirent leur épingle grâce à une belle grosse production qui sonne, ce qui gonflera chaque titre de l’album si on a le système son adéquat. Un effet qui devra certes se vérifier en live, mais “Was Ich Liebe”, le très l’électro “Weit Weg” et la conclusion sur “Halloman” calmeront rapidement les ardeurs. C’est certes travaillé, l’impact reste efficace, mais ne laissera pas de souvenir impérissable, on passera vite à autre chose.
L’intérêt de cet album réside surtout dans le chant de Till et les détails de composition. Une composition qui laisse plus de place aux nuances, qui insiste sur le chant, que l’on sent plus travaillé, plus subtilement détaillé. Le chant ne constitue plus uniquement le support des textes et produit une vraie différence au sein de cet album. Un chant beaucoup plus nuancé, sieur Lindemann va chercher encore plus de profondeur et d’émotions sur d’étonnantes prises de risque comme “Puppe” (qui rappellera la sauvagerie aveugle de “Wiener Blut” dans LIFAD, en plus viscéral encore), ou bien “Zeig Dich”. Comme « Diamant », qui se présente comme une simple ballade à la première écoute, mais qui fait montre d’une profondeur d’abord insoupçonnée, due à la poésie sombre de ses paroles. On n’était pas habitués à ce genre de titres à combustion lente chez un Rammstein plus dans l’efficacité direct. Une belle surprise qui donnera le frisson en live, à coup sûr.
Est-ce que ces 10 ans d’attente en valaient la peine ? En regard des capacités de créations de Rammstein, on pouvait s’attendre à une véritable surprise, un fracassement qui n’a manifestement pas eu lieu. Un album en demie-teinte. Il semblerait que ce soit le lot du groupe pour tous les albums qui ont succéder à Mutter : rien d’innovant mais une identité très forte et très reconnaissable, suffisamment bien gérée pour que les fans y trouvent encore et toujours leur compte. Le crédit que l’on peut reconnaître à cet opus, c’est justement une tentative de variation. Rammstein sort ainsi timidement de sa zone de confort. J’étais le premier à m’emporter, peu convaincu par cette nouvelle proposition mais après plusieurs écoutes,j’ai du nuancé mon propos.
Cet éponyme qui était prêt à allumer la mèche (dans tout les sens du terme) est plutôt un pont entre l’ADN du groupe et ses nouvelles envies. Un résumé du Rammstein aujourd’hui ? Tout n’est pas à prendre mais tout n’est pas à jeter non plus. Rammstein a fait ses preuves et peut prendre sans trop de danger réel le risque de l’expérimentation… Un disque étonnant sur plusieurs points, proposant un nouveau chemin et des nouvelles idées, toujours dans ce ton qui est le leur. A suivre ou pas, chacun est libre de prendre sa décision, en ce qui me concerne, elle est déjà prise.
Rammstein, Rammstein, Universal, Mercury sortie 17/05/2019
Texte: Anthony Tucci
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