
Quand il n’y en a plus, il y en a encore ! Retrouvez la suite de l’interview de Flèche Love.
On va parler un petit peu de tatouage, mais aussi du corps forcément: que représente pour toi l’acte de se faire tatouer ?
FL: Plusieurs choses : il y a de l’ordre du rituel, un passage car ton corps ne sera jamais le même, c’est quelque chose que tu marques. Pour moi il y a l’idée d’une transition d’un passage.
Il y a le dépassement physique: par exemple pour mon dos j’ai fait deux fois six heures et il y a un moment où tu ne sens plus ton corps, donc tu rentres dans certain état. Il y a des fois où j’ai eu des sessions horribles, ça dépend de comment tu te sens ce jour-là. J’ai jamais autant ressenti mon corps qu’au moment de me faire tatouer, donc pour moi c’est fort.
Et enfin c’est le fait de retrouver un pouvoir sur un corps et un visage que je n’ai pas choisi, et pour moi c’est quelque chose de très important. Depuis que je suis tatouée, je me sens beaucoup mieux dans ma peau. Le processus me fait penser au kintsugi chez les japonais, cet art où, quand un objet se brise, plutôt que de le jeter, on le recolle avec de la colle d’or. L’idée est de mettre encore plus en avant la blessure, c’est ce que je dis dans mon morceau” Umusuna”: “scars shining all over my body”. Il y a l’idée que mes tatouages sont comme du kintsugi: on répare les blessures, on ne fait pas comme si elles n’existaient pas, on les rend visibles, pour magnifier ça. Je trouve ça joli comme philosophie, la charge énergétique est moins lourde.
Tu parlais d’état tout à l’heure, est-ce que tu es dans un certain état avant de te faire tatouer?
FL: Pas vraiment. En tout cas plus de stress, maintenant je ne me fais plus tatouer que par Guy LeTatooer depuis trois-quatre ans. Je trouve qu’il sait vraiment comment agencer le tatouage : c’est sa grande qualité. En plus de ça je lui fais confiance je le connais donc je m’enlève déjà le stress de ne pas savoir si tel tatoueur que j’adore n’est pas une ordure ou ce rapport étrange des conventions de tatouages. Là, on est chez lui.
Mais je me suis rendu compte qu’à certains moments du mois, notamment pendant la période des règles, je ne suis pas du tout dans le même état. La dernière fois que j’y suis allée j’avais mes règles et c’était un cauchemar. Je n’arrivais pas à être bien dans ce moment, j’essaie surtout de rentrer dans une respiration et de parler à mon corps pour lui dire qu’on va faire ça ensemble ( rire)
Les pièces que tu as faites avec Guy LeTattooer, la poitrine les mains et le dos sont quelque choses que tu lui as amené ou tu lui proposes l’idée et lui part dans son univers ?
FL: Souvent avec Guy je viens avec quelque chose : par exemple pour la poitrine et le cou, j’avais trouvé une parure dans un livre d’ethnologie mais ça faisait tout le cou et lui m’a dit “non ça va faire beaucoup trop on enlève sur les côtés” etc.. et du coup, il adapte toujours un peu.
L’idée est de continuer le dos, rattraper les jambes parce qu’il y a des trucs que je n’aime pas trop et j’ai décidé de le laisser faire comme il veut en fonction de ce qui existe déjà pour garder une unicité. Ça devient de plus en plus important pour moi.
Il fait un travail incroyable, principalement des grosses pièces c’est un fou.
Tu disais avoir fait deux fois six heures pour ton dos, pas toujours agréable. Personnellement je sais qu’au bout de deux heures de tatouage je n’en peux plus.
FL: Carrément mais lui-même me le dit : l’idéal c’est deux heures. Puis il faut s’écouter et espacer entre les séances. Le problème, notamment avec Guy, c’est qu’il est à Toulouse ; c’est dur d’avoir un rendez-vous donc y aller pour deux heures c’est compliqué. Le pire truc que j’ai fait, c’est vraiment absurde, sur deux jours j’ai fait douze pièces sur les bras. La toute dernière pièces j’en pouvais plus
Est-ce que, avec tous tes tatouages, ton rapport à ton corps a changé?
FL: Complètement. C’est drôle parce souvent j’oublie que je suis tatouée jusqu’à ce que les gens me fixent. Je ne me verrais pas sans tatouage: on me demande comment je vais faire quand je serai vieille… bon on va tous être moche autant être un peu pimp ( rire).
Pour toi le tatouage c’est trouver, créer ou fuir ton identité ?
FL: C’est les trois, mais dans l’Identité il y a quelque chose de fixe qui me dérange: pour moi l’identité elle est mouvante, la personne que je suis là sera différente dans trente secondes, la discussion qu’on a va m’enrichir, l’environnement etc.. donc c’est fuir quelque chose de fixe que je n’ai pas choisi. Comme je le disais tout à l’heure c’est recréer quelque chose qui me correspond mieux et c’est donc me trouver. J’étais obsédée par mon physique, je n’étais pas bien dans ma peau et le fait de me faire tatouer m’a permis de me distancier de ce physique et pouvoir aller plus à l’intérieur de moi. C’est paradoxal parce que j’avais l’impression d’être à l’étroit dans mon corps et il y a des gens qui me disaient “ça te fixe encore plus ta chair, avec tout ce que tu as sur le corps ça marque encore plus”, alors que moi ça me permet d’être plus intérieur.
Je trouve que quand tu es très tatoué tu n’es plus dans ce truc de beau et de moche, tu transcendes un peu ça, tu es, simplement, de l’ordre de la créature, et du coup tu peux dépasser le corps et le physique, tu peux rentrer dans autre chose et la majorité des gens reste focalisé aujourd’hui sur leur apparence et tu passe à côté de plein de choses
Que te renvoie le regard des gens en général?
FL: Il te renvoie que tu as pris une liberté que beaucoup de gens ne s’octroient pas, parce que je pense que ça reste de l’ordre de la transgression.
Dans les religions, c’est interdit de changer son apparence physique parce que c’est ce que Dieu t’aurait donné et Dieu a fait l’homme à son image, donc parfait selon la croyance. Alors, que tu oses remettre en question la “perfection” de ton être en apposant quelque chose que tu as choisi et pas qu’on t’a imposé, c’est tabou, c’est de l’ordre du péché.
Tout comme choisir un métier à part comme musicien, ça renvoie à ce que les gens ne s’autorisent pas, donc tu as des fois des réactions violentes et des fois certains sont admiratifs. Je pense que toutes nos réactions dans nos interactions en disent beaucoup plus sur nous qu’on ne veut bien le laisser croire.
Quand tu es une femme très tatouée, il y a encore d’autres choses parce que la transgression elle est encore plus forte mais je trouve ça intéressant .
Tu penses que c’est une force ou une difficulté pour une femme d’être très tatouée ?
FL: C’est une force pour moi car comme je l’ai dit, ça me donne confiance en moi. Si tu changes ta façon de te voir tu changes ta façon de voir l’environnement, donc mon rapport aux autres est différent. Le côté “créature” dont on parlait donne une certaine stature : les gens interagissent différemment avec toi. Du coup je me sens plus en confiance parce qu’il y a une lecture moins facile de ma personne. Les hommes comme les femmes sont obligés de repenser leur manière d’interagir avec toi.
Avec les gens très tatoués se pose la question de leur rapport à la transgression, de leur rapport à la violence, à la douleur, tu te poses beaucoup de question, et quand tu es une femme qui décide de changer ton apparence physique alors que c’est ce qui est censé nous définir le plus selon certain, et quand tu acceptes de souffrir autant, qu’est-ce que ça dit de toi ?
Au niveau de la séduction c’est assez compliqué mais en fait les gens qui viennent vers toi sont ceux qui sont prêt à rentrer dans un rapport plus égalitaire, “j’accepte d’être avec quelqu’un de puissant”. Parce qu’il y cette idée-là dans le fait de reprendre possession de son corps.
Il y a aussi ce rapport étrange : comme tu as un statut de “créature” les gens oublient qu’ils ont affaire à un individu et ils se permettent de te toucher pour voir les tatouages. C’est un processus très personnel et en fait avec les gens tatoués c’est comme si il n’y avait pas d’introduction, tu te permets de rentrer dans leur intimités très facilement par des questions sur le sens? le pourquoi. On me demande ça des fois dans le métro, c’est étrange je ne leur demande pas comment s’est passé leur divorce, c’est une intrusion direct.
Après il y a des pays comme le japon où les gens me grattaient la peau carrément mais c’est aussi en lien avec leur culture et les tatouages des yakusas,
En tout cas, ça dit beaucoup de la personne et de son rapport aux autres.
Merci Flèche Love pour ce bel échange
Propos recueilli par César Papé
Crédit photo Roberto Greco
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