LORDS OF CHAOS – Jonas Åkerlund

Lords of Chaos, réalisé par Jonas Åkerlund, est probablement l’un des films les plus attendus par le confrère metalleux. Non seulement parce qu’il est assez rare de voir la culture metal portée à l’écran, mais aussi parce que ce film fait état de l’un des événements les plus (tristement) célèbres de l’histoire du black metal. Une histoire que nous connaissons tous, ou presque, coincée entre la réalité et l’énorme mystification que les protagonistes eux-mêmes et les médias ont laissé planer autour de cette suite d’événements extraordinaires. Une histoire dont on se souvient encore aujourd’hui, tant pour pour son aspect dramatique que pour son impact sur le black metal, que nous relatons entre railleries et admiration ; l’émergence du fameux et parfois gentiment moqué true norvegian black metal.

Lords of Chaos retrace les débuts de l’inratable Mayhem, le suicide de leur premier chanteur, la rencontre d’Euronymous et de Varg Vikernes, et leurs chatoyantes tribulations (naissance de Burzum, incendies d’églises, meurtres…). Ces quelques années ont participé au mythe général, voire au cliché, que l’opinion publique s’est fait du metal.

Le traitement de la culture metal au cinéma a en effet énormément de mal à se départir des lieux communs et des raccourcis, loin d’être toujours vérifiés, qui gravitent autour de cette énigmatique petite communauté. L’approche est bien souvent caricaturale et le choix d’Åkerlund me paraissait donc aussi prometteur que dangereux. Dans le meilleur des cas, le réalisateur traitait intelligemment le sujet mais la réception ne serait pas à la hauteur, comme ç’a été le cas de la réception réelle desdits événements à la fin des années 1990, soit on tombait encore une fois dans le travers exagéré de la pseudo-subversion. Parfaite recette pour exciter l’ado rebelle et plonger le parent déjà inquiet dans une forme de paranoïa pathologique, criant à qui voudrait bien l’entendre que le corpse paint de sa chère tête blonde était un signe avant-coureur de risibles rituels sataniques.

Lueur d’espoir et lumière au bout du tunnel, Åkerlund est tout de même l’ancien batteur de Bathory (rien que ça), ce qui laisse présager une connaissance un peu moins publicitaire de la sulfureuse thématique. Qui plus est, Jonas Åkerlund est un vidéaste incontournable depuis plusieurs années. Un menu détail qui, au-delà de pouvoir espérer autre chose qu’une approche à scandale, me laissait le doux rêve de pouvoir compter sur un véritable travail cinématographique, une esthétique pensée, loin du pseudo-documentaire ou de l’apologie bancale d’une suite d’événements épineux.

Chroniquer un tel film pour un lectorat qui est très certainement aussi renseigné que je le suis (si ce n’est plus), sans même avoir encore eu la chance de voir le film, pourrait me permettre de m’adonner au spoiler le plus éhonté sans prendre le risque de vous ôter l’envie d’aller voir Lords of Chaos. Seulement, il y a bien d’autres choses à passer au crible que la seule narration de l’escalade qui s’est produite entre Euronymous et Varg Vikernes.

Jonas Åkerlund a probablement rendu un service d’utilité publique au metal avec Lords of Chaos. Aussi fidèlement qu’il ait pu relater les débordement de la troupe true norvegian black metal, sans rien exagérer ni euphémiser quoi que ce soit dans ses dérives, il a aussi su contrebalancer complètement ce pseudo-système de pensée en mettant en lumière l’aporie d’un tel discours. Les « valeurs » originellement portées par le black norvégien (à savoir une sorte de reprise de pouvoir symbolique sur le christianisme grâce à un revival de la culture païenne scandinave) se sont retrouvées mêlées de façon absurde au nazisme et au satanisme, dans une incohérence qui, finalement, n’a plus rien de dangereux et qui au contraire retire à ce mouvement musical et à l’univers qui gravite autour toute forme de crédibilité et de sérieux. Le true norvegian black metal s’aseptise de lui même. Lords of Chaos ne cache rien du scandale, de l’excès et de la violence qui ont pu germer à cette époque, sans commettre l’erreur de croire, ni de faire croire, qu’il s’agissait d’individus profondément mauvais et déséquilibrés dont le seul but était de voir le monde brûler. Euronymous, Varg Vikernes et leur troupe sont dépeints comme de jeunes adultes en rébellion, comme ont pu l’être tous les musiciens de metal, en mal de reconnaissance aigu et qui, par ego, se sont retrouvé engloutis dans rien de plus… qu’un concours de bites, (pardon my french). Prisonniers d’un jeu tordu d’images à prendre au second puis au trente-sixième degré, des images qui leur ont tout bonnement échappé, qui s’avèrent avoir un impact bien réel, contre la volonté des principaux intéressés et qui, dans une perspective d’arroseur arrosé, n’en sont plus seulement ironiques ou satyriques.  Une dynamique que nous avons finalement bien saisi sans parfois même nous en rendre compte, mais c’est bien en ces termes que nous raillons avec sympathie le black metal encore en 2019 ; qui sera le plus true black metal ?

Pour ce qui est du travail du réalisateur en lui même, je ne bouderai pas mon plaisir ; le rythme du film est irréprochable. Åkerlund n’en fait jamais trop, ni pas assez. Remarquablement bien écrit, juste, oscillant sans transition et pourtant sans dissonance entre humour et drame (si bien dans le récit lui même que dans le montage, sans oublier la bande son, en grand écart entre black metal et post rock islandais), Lords of Chaos ne m’a pas laissé ce goût amer de caricature de bas étage. Je n’oserai pas parler de chef d’œuvre, premièrement parce que je suis sûrement bien trop enculeuse de mouche pour le faire (pardon my french again), et parce que finalement il n’y a que très peu d’éléments de comparaison puisque les productions cinématographiques concernant le metal sont plus généralement des documentaires ou des ratés lamentables (est-ce qu’une œuvre d’art a besoin de comparaison pour s’affirmer comme telle ? C’est une question tout à fait pertinente que nous examinerons au prochain épisode). Ce film ouvre peut-être la voie à une forme de prise au sérieux de la culture metal, à la prise de conscience que l’on peut analyser et détricoter ces codes a priori obscurs et néfastes, mais aussi et surtout montrer à un public, profane ou non, la richesse, les tiraillements et les nuances qu’abritent une telle contre-culture.

Lords Of Chaos, un film à voir absolument, qui ne plaira sûrement pas à Varg.

Claire L.

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