
Le groupe SKÁLD, n’a pas fini de faire parler de lui, en même pas un an le groupe semble surfer sur le succès. Un premier album qui est sorti il n’y a même pas un mois, un premier concert à la Cigale dans quelques jours, une programmation au Hellfest, mais quel est donc leur secret? The Unchained s’est entretenu avec Justine, Pierrick et Mathieu, des passionnés fort sympathiques.
-Bonjour à vous trois et merci de m’accorder de votre temps! Pouvez-vous nous raconter comment s’est formé le groupe ?
Justine : Au départ c’est une rencontre entre Christophe Voisin-Boisvinet (producteur et compositeur, ndlr) et Pierrick. A force de parler de leur passion commune pour l’ancienne Scandinavie et les mythes nordiques ils ont décidé de monter un projet musical. Je connaissais Pierrick depuis un petit moment déjà et il m’a fait rencontrer Christophe, c’est comme ça que je suis personnellement rentrée dans le projet. Ensuite Christophe a rencontré Mathieu qui est rentré aussi dans le projet et c’est ainsi que Skáld est né !
Pierrick : Avec Christophe on s’est rencontré à un festival, et tous, nous voulions faire quelque chose qui ressemble à Skáld , mais nous ne nous sommes pas tous rencontrés au bon moment, au bon endroit… Un groupe c’est une histoire de rencontres, alors ça commence avec Christophe Voisin-Boisvinet qui est un réalisateur réputé, puis plein de rencontres qui viennent se greffer. A partir de ce moment-là c’est allé très vite. On s’est tout de suite enfermés pour travailler ensemble, composer, lire, choisir des textes…
-Combien d’années de préparation a-t-il fallu pour en arriver là ?
P : Ça s’est fait très vite, on s’est rencontrés il y a un peu plus d’un an, à partir de là on s’est dits que c’était bon, qu’on avait les gens qu’il fallait.
J : Nous étions déjà des musiciens avant de se rencontrer, donc c’est aussi le travail de toute une vie à côté mais le projet Skáld ça fait un peu plus d’un an qu’il existe.
-Avez-vous chacun une spécialité particulière ?
J : On a nos influences personnelles et on a tous des timbres bien différents qui se complètent.
P : On a des connaissances sur la prononciation des poèmes scaldiques, sur les instruments anciens scandinaves. On a aussi tous, plus ou moins un background metal ce qui ne rentre pas vraiment en compte ici. Skáld n’est pas un projet metal.
Mathieu : Cette mise en commun de nos connaissances respectives , qu’elle dans soit la littérature médiévale scandinave ou la pratique des instruments ou encore l’intérêt pour l’Histoire médiévale de l’Europe du Nord, la reconstitution historique…C’est cette mise en commun qui nous a permis de se rencontrer, et d’avoir ce résultat aujourd’hui avec cet album.
-On entend plusieurs instruments dans l’album, et aussi d’autres voix. Combien de personnes sont impliquées dans ce projet ?
P : Sur l’album on superpose les pistes, il y a plusieurs couches. Il y a pas mal d’instrumentistes qui jouent et ils chantent aussi. Mais le noyau dur c’est Christophe Voisin-Boisvinet et nous trois. Nous travaillons sur l’instrumentation, sur le choix des textes sur les mélodies, sur les compositions… et lorsque nous avons besoin de choses que nous ne pratiquons pas, on fait appel à des musiciens. En fonction des possibilités de tout le monde et des concerts que nous ferons, il y aura un nombre de musicien différent. Si on fait de petites scènes intimistes ou si on fait de gros plateaux sur lesquels il faut du monde, ça évoluera.
-En dehors de ça, tout le magnifique visuel autour de Skáld , les costumes, les clips, c’est beaucoup de travail y a-t-il un lien avec la reconstitution ?
J : Pour les costumes oui, on se base sur les traces écrites et ensuite on ajoute une touche d’onirisme. Il y a un compromis entre modernité et le côté traditionnel.
P : C’est un peu le fil conducteur de Skáld , ce pont entre l’ancien et le moderne. Du coup nous ne sommes pas dans de la reconstitution historique du tout que ce soit dans l’interprétation de notre musique ou les costumes. C’est de l’inspiration, tout le répertoire, à part une reprise , c’est de notre composition, c’est un répertoire nouveau, que nous avons écrit. Le but n’est pas de refaire comme ça aurait pu être à l’époque – on ne saura jamais exactement et ce n’est pas ça qui nous motive – mais bien de s’approprier un univers et de faire quelque chose de nouveau.
-Comment se passe la phase de composition ?
P : Cela part de textes et d’idées, on choisit des extraits qui nous paraissent propices pour une chanson et on va composer à partir du texte et de ce qu’on a envie d’entendre. Ça part souvent de choses assez simples sur lesquelles on va greffer des références, des instruments. Ce sont des tableaux, il y a un côté un peu cinématographique dans notre musique.
M : C’est une véritable invitation au voyage, l’idée c’est de partager ce que cela nous évoque. Tendre la main au public pour partager ce voyage avec nous.
-Revenons sur la production, il faut dire qu’elle est parfaite ! Alors que finalement les instruments anciens ne sont pas les plus faciles à enregistrer, n’avez-vous pas peur de ce fait de perdre un peu le côté authentique ?
P : Pas spécialement, comme le compromis est d’ajouter de la modernité dans notre travail tout en utilisant des instruments traditionnels. Cela dépend où on place le curseur de l’authenticité. Si on se base sur les sources il n’y a pas d’instruments à cordes frottées avant le Xème siècle, il n’y a aucune trace de percussions si ce n’est les tambours chamaniques. Est-ce que les vikings ont tapé sur des percussions? On peut imaginer que oui, mais on en n’est pas sûr. Nous notre côté authentique on le trouve en faisant sonner ce que nous avons en tête, le but étant de laisser libre cours à notre inspiration en studio. On ne s’est pas vraiment posés la question de l’utilisation de tel ou tel instrument…
J : Au-delà des instruments c’est l’atmosphère qu’il y a dans nos chansons qui fait que c’est authentique. Le rendu final transporte la personne dans un autre temps.
P : Quand tu te retrouves en studio avec du super matos, tu l’utilises et tu fais en sorte que ça sonne le mieux possible, ça ne nous pose aucun souci.
-Du coup, quel public est visé ?
P : L’idée c’est de partager notre aventure, du coup avoir une production parfaite comme tu le mentionnes, ça nous permet de toucher le plus grand nombre, les inviter dans notre univers.
M : On connait l’univers vikings à travers le côté guerrier, bateaux ; on arrive on se fout sur la gueule on saccage tout et on repart ! Nous on veut montrer autre chose ! Il y a une sagesse ancestrale qu’on retrouve dans les Eddas – un recueil de l’histoire mythologique qui date du XIII ème siècle – et il existe une forme de poésie appelée poésie scaldique qui est très riche, très positive et qui appelle à une sagesse très ancienne. Le fait que ce soit accessible pour un maximum de gens a pour but d’ouvrir les yeux sur ce qu’étaient vraiment les gens de cette époque-là et quelle sagesse on peut en tirer.
J : Le but c’est de faire rentrer tous ces mythes dans toutes les familles. Peu importe leur milieu, peu importe la musique qu’ils écoutent on ne veut pas seulement viser des niches et je crois qu’on y arrive pour le moment.
– Il y a une sorte de désir de casser un petit peu le cliché à côté du Viking peut-être.
P: Complètement ! Il y a des vérités dans ce que l’on sait mais il y a plein d’autres choses aussi à découvrir. A l’époque il y avait une tradition orale et il y a peu de mythologie européennes du Nord dont on peut avoir des sources aussi fiables. On les a et en plus c’est poétique, c’est dommage de faire l’impasse dessus. Il y a une culture vraiment littéraire et musicale à mettre en avant.
– Cette culture on peut dire que vous baignez dedans, en fait c’est même votre vie, votre passion est-ce que est-ce que ce ne serait pas lié à un rejet de notre société actuelle ?
P : Complètement, en plus en ce moment avec ce qu’il se passe il y a un engouement pour ça. En ce qui concerne Skáld , il y a la musique qu’on fait qui touche les gens mais l’univers qu’on projette c’est ce qui permet d’oublier ce monde qui nous torture et qui nous fait culpabiliser. On est pris dans un flot d’âneries de consommateurs, de réchauffement climatique, du coup, on développe un fantasme de ces temps anciens où on était connectés à autre chose, à la nature, et ce n’était pas un mal. Il y a un désir aussi pour les gens qui nous soutiennent et qui nous écoutent de s’évader. Et si ça peut aider les gens à moins subir ce monde moderne et les connecter à autre chose …. On a besoin de s’accrocher à quelque chose ; c’est ça qu’on veut faire, plus que se soucier d’une authenticité quelconque. C’est un état d’esprit et en effet au quotidien ça nous habite. C’est pour ça aussi qu’on se costume lorsqu’on est sur scène ou dans les clips. Ça aide à nous connecter à autre chose que ce quotidien moderne.
M : Après ça reste poétique et onirique, tout n’était pas beau et pacifique à l’époque des vikings.Nous, ce qu’on apporte, c’est le beau côté !
-J’aimerais qu’on se penche maintenant sur Justine et donc sur la place de la femme, à l’époque il y avait aussi des femmes Scaldes, quelles sources nous le confirment ?
P: Il y a des traces écrites, on a des noms qui ressortent assez régulièrement dans les sagas et il y a des noms féminins. Il y a même un bouquin qui concentre toute la poésie scaldique composée par des femmes dans la société norroise des anciens scandinaves. C’est devenu quelque chose qui d’ étonnant qu’une femme puisse avoir un rôle, c’était une Völva un peu l’équivalent d’une magicienne. La place de la femme était vraiment importante de ce côté-là ce côté magique. Les femmes à l’époque pouvaient divorcer elles pouvaient être chef de clan, aller au combat. La conception de l’égalité est différente de celle qu’on a aujourd’hui. En terme de divination et de magie c’était principalement réservé aux femmes. Le scalde c’est un poète et c’est aussi celui qui va garder les savoirs, les transmettre. Mais la femme scalde peut aussi avoir un statut de prêtresse , elles ont plusieurs rôles.
-La chanson que Justine chante seule, “Ec Man Iötna” est décrit comme “traditionnel Varègue, pouvez-vous expliquer ce que c’est?
P- Ce sont des Vikings de l’Est, des Suédois à la base ce sont ceux qui ont fondé Kiev et qui ont fini par devenir des membres de la garde personnelle de l’empereur byzantin. Ils sont mêlés à la culture des peuples slaves. Ce morceau a une autre couleur, ce sont des sonorités de l’Est. Les vikings voyagent et s’installent loin de chez eux, ils échangent découvrent des cultures et des mélodies nouvelles.
M : D’ailleurs le mot Viking, faire le Viking, c’est partir en expédition, faire des fouille mais aussi commercer pas seulement piller ou faire le mercenaire. C’est ça qui est génial et très riche dans l’univers viking du Moyen-Âge c’est que ce sont des hommes et des femmes qui ont voyagé à travers tout le monde connu qui se sont implantés à divers. Tu as ressenti cette différence dans cette chanson….
J : J‘ai un timbre de voix effectivement différent qui est teinté un peu dans ce style de musique là. On a voulu faire le lien justement entre les vikings et ce type de voix. On s’est dits que c’était un bon compromis de faire un titre qui sonne varègue mais aussi de sortir de cette image figée des vikings : ils ne sont pas seulement Danois, Suédois ou Norvégiens. Ce sont des hommes et des femmes qui ont intégré à leur quotidien des éléments d’autres peuples, ils étaient très ouverts.
– Où avez-vous appris à chanter en vieux norrois? Il n’y a pas beaucoup de sources…
J : On a eu des coachs et on lu pas mal d’ouvrages, il y a internet, c’est un mélange de plein de choses.
P : On s’est aidés des langues scandinaves actuelles, l’Islandais bien sûr mais pas que. Il y a des bouquins qui te disent comment prononcer. Tu t’inspires du norvégien du suédois.
M : Bien sûr on pourrait toujours dire :” moi j’aurais prononcé comme ci ou comme ça” mais dans les langues germaniques et scandinaves il y a plein de dialectes. Des voyelles qui vont se prononcer différemment. On a été très sérieux dans notre démarche.
P : On a essayé d’être, pour le coup, assez érudits et le résultat est plus que satisfaisant.
Merci beaucoup pour votre temps et à bientôt pour le concert!
Skáld : Avec plaisir! A bientôt!
Propos recueillis par Cindy.
Crédits photos : Die Frau
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