Interview – Einar Selvik

Pour bien commencer l’année 2019 (ou pour bien finir l’année 2018 ?) et en attendant son passage à Paris à la fin du mois, Einar Selvik, le chanteur de Wardruna qu’on ne présente plus, nous a accordé une interview. Il y est question du dernier album, Skakd, du groupe, des projets à venir, mais pas que.

 Skald est-il une forme de pause après la trilogie Runaljod ?

Einar Selvik : Je continue toujours de travailler sur le prochain album de Wardruna, on ne peut pas vraiment dire que je fasse une pause. Au cours des six dernières années, j’ai donné de nombreux concerts et récitations seul. Beaucoup de personnes m’ont demandé d’enregistrer mes performances scaldiques ; cela faisait longtemps que ce moment était prévu. Il peut sembler simple d’enregistrer ce genre de prestation mais capturer l’évanescence de cette musique a compliqué les choses. Je voulais qu’elles soient bien faites. C’est pour cela que j’ai choisi de le faire cette année, sans pour autant arrêter de préparer le prochain album de Wardruna.

 La difficulté technique venait-il des enregistrements en plein ou en studio ?

ES : Je souhaitais tout enregistrer tel quel. Normalement les pistes sont enregistrées séparément en studio mais je trouve cela ennuyeux, sans énergie, trop parfait. J’ai décidé d’enregistrer en live, de capturer la performance live. Ce point de vue permet d’être plus critique envers son travail et c’est pourquoi j’ai choisi de travailler avec un producteur alors que j’avais l’habitude de tout enregistrer moi-même.

Si certains morceaux de Skald sont des reprises de Wardruna, les autres sont inédits. Quand ont-ils été écrits et d’où viennent-ils ?

ES : La plupart ont été écrits pour la série Vikings et les autres ont été spécialement enregistrés pour l’album bien que je les jouais en live depuis longtemps. C’est un mélange des deux je dirais. Tous les morceaux live n’ont pas été enregistrés : il a fallu faire un choix et décider quelle histoire je voulais raconter.

“Voluspa” est tirée de l’Edda poétique : y a-t-il d’autres morceaux issus de la poésie scandinave ?

ES : Oui, quelques uns viennent de la poésie eddique ou scaldique. La chanson “Ein sat hon uti” est aussi un extrait de la Voluspa ; “Skald” est un poème d’un des scaldes les plus connus, Bragi l’Ancien ; le poème a cappella, “Sonatorrek”, est issu d’une très célèbre saga, celle d’Egill Skalagrimsson, guerrier et scalde. La plupart des morceaux viennent en fait de la poésie norroise.

 Quelles sources historiques avez-vous utilisées pour créer vos instruments ?

ES : Désormais, grâce à Wardruna je pense, il y a plus d’intérêt manifeste pour cette question mais quand j’ai commencé dans les années 2000 à faire des recherches, il n’y avait que peu d’informations disponibles. J’ai pioché dans les textes archéologiques, visité des musées, discuté avec leur personnel. Il existe encore quelques personnes sachant fabriquer ces vieux instruments. J’ai eu le choix de les fabriquer moi-même ou de faire appel à eux. Il y a peu d’instruments pour ces époques. Il m’a fallu sept années pour réaliser le premier album de Wardruna, notamment à cause du temps pour rechercher et fabriquer ces instruments.

 Les lures en bronze utilisés sont bien plus vieux que l’époque viking. Les anachronismes de ce genre ont-ils posés des problèmes dans le processus de création ?

ES : Wardruna n’est pas un groupe de musique viking et ne l’a jamais été. Beaucoup de gens le pensent mais je n’ai jamais utilisé ce mot au sujet du groupe. Notre but n’a jamais été de faire de la musique viking et personnellement je ne trouve pas l’époque viking très intéressante. Il y a des choses intéressantes bien sûr mais elle marque le début de la fin pour la société scandinave. De nombreux changements se produisent dans les domaines culturels, économiques, religieux. Je me suis toujours tourné vers les époques plus anciennes : les premières migrations, l’âge du Bronze et au-delà. C’est aussi pour cela que j’ai choisi les runes proto-scandinaves pour ma musique. Quant à nos instruments, je dis souvent que Wardruna ne cherche pas à recréer le passé ou à être totalement authentique mais plutôt à faire du neuf avec du vieux. C’est pourquoi j’utilise des instruments de toutes époques confondues, de l’âge de Pierre à nos jours, pour notre fresque musicale. C’est une musique universelle mais ce n’est pas pour autant que je ne fais pas de recherche et que notre musique ne s’appuie pas sur des connaissances historiques. Certains instruments ont une longue existence et la tradition s’est maintenue. Il y a beaucoup d’indices autour de nous, notamment dans la poésie qui donne des mélodies, des rythmes à suivre, la métrique des vers. C’était la réponse longue…ou plutôt sa version courte [rires].

 La poésie scaldique est complexe : avez-vous fait des études de littérature avant ?

ES : Je n’ai jamais fait d’étude académique mais c’est ma passion, depuis mon adolescence. Je l’ai étudié longtemps et j’ai la chance d’avoir des amis universitaires qui m’ont beaucoup aidé et montré où tourner mon regard.

 Y a-t-il des sagas que vous aimez particulièrement et que le public français devrait lire ?

ES : Je dirais que la meilleure saga pour débuter, au format très moderne bien qu’elle ait été écrite au IXe siècle, est celle d’Egill. Ce serait un très bon point de départ. L’Edda poétique est très importante pour comprendre les règles de la poésie. La poésie runique est aussi très utile pour retenir les runes. Je recommande plutôt de ne pas commencer avec le vieux futhark mais plutôt par le futhark de l’époque viking que l’on connaît bien mieux.

Il y a beaucoup de sagas traduites en français ?

ES : Oui ! Et je dirais même que la plupart d’entre elles sont disponibles en français.

Pensez-vous que l’archéologie joue un rôle important dans la culture norvégienne comme c’est le cas au Danemark ou en Suède ?

ES : Oui et non… Le sujet a longtemps été négligé. Ces dernières années les choses ont beaucoup changé et de plus en plus de gens s’y intéressent. Après la Seconde Guerre Mondiale, l’histoire norvégienne et les traditions ont été délaissées par la création artistique pour plusieurs raisons. Les choses changent et ce n’est plus l’apanage exclusive des sous-cultures d’extrême-droite. Les reconstitutions historiques sont très populaires et l’enseignement s’y intéresse davantage. C’est une démarche très positive.

 Pensez-vous que ce regain d’intérêt pour les anciennes cultures soit lié au manque de spiritualité générale comme vous l’avez déjà expliqué dans un précédent interview ?

ES : Les sociétés occidentales ne se considèrent plus comme une espèce au sein de la Nature. Nous avons perdu notre vision animiste sur le monde. On se considère comme au-dessus de la Nature. Cela laisse forcément un vide que tout le monde ressent, consciemment ou pas. La direction que prend une société finit par entraîner une réaction. Je pense que dans le monde musical, et je ne pense pas qu’à nous, il y a un vrai besoin de connexion avec le monde par la musique. Un besoin d’appartenir à quelque chose de plus grand que nous que ce soit la Nature, un concept philosophique ou spirituel.

Merci Einar, d’avoir répondu à mes questions.
 

Propos recueillis et traduits par Thomas 

Illustration : Aurélie “Fable”

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