Punk People au Crapo pour Skank My Fest – 16/11/2018

Pour qui met les pieds au Crapo pour la première fois, le lieu paraît féérique et vaporeux. Et paré à te plonger frontalement dans la fête. Grand espace entouré de sapins, de la terre paillée au sol, à ma droite se trouve le bar sous chapitalette du collectif Fer à Coudre, que j’ai croisé quelques mois auparavant au Fusion en Allemagne. Leurs structures métalliques à la fois belles, dangereuses et énigmatiques se disséminent un peu partout dans l’espace, les lights illuminent les lieux, c’est beau.

Il est 19h30, peu de personnes encore… mais les braseros du Fer à Coudre sont enflammés et les visages accueillants (ambiance hivernale, il pèle sa mère). On me laisse entrer, je suis là pour les photos (« ah oui, c’est toi Mo ? oui, c’est moi Moe – ah cool, vas-y et tu peux poser ton vélo là, mets un antivol quand même… – merci, c’est cool, à toute »). Les personnes des collectifs et des squats étrennent une bienveillance intéressante sur Paris. Les trois quart d’heure de vélo qui séparent la Porte des Lilas de Vitry-Sur-Seine ont marqué ma face d’un rouge qui brûle et ma respiration d’une haleine fraîche et vive. Je trouve Chouchou, petit bout de femme qui envoie du lourd – tant via son caractère que dans l’organisation de l’intersquat parisien. Programme de la soirée : six groupes de skapunk qui s’enchainent, du vin, des potes, des inconnus qui deviennent des potes, du son, de la danse, des effets pyrotechniques et du pogo : du rêve en barre… L’éphémère de la fête n’est jamais loin. La question est de savoir si l’éphémère perdure lorsqu’il est si fréquent que la notion même de présent semble absoute.

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            Entrée en matière, The Mercenaries entament leur set dans le « tunnel », scène couverte d’une toile, en forme d’abri pour avion de la seconde guerre mondiale. Jauge conséquente, belle visibilité. Les voix envoient du lourd, c’est bien rock’n roll à la sauce bourrin mais cadré. Punk. Ils finissent leur session en scandant que la musique est la seule voie – en anglais. Ça sonne et le monde commence à affluer. Du côté de la salle, à l’intérieur au bâtiment du Crapo – grande baraque où plusieurs asso et collectifs œuvrent et bossent, les Skacahuètes démarrent et mélangent des influences de hip-hop sur des beats skapunk. Les chants ont le goût d’une insurrection, les mouvements commencent à s’intensifier. Les photos sont de plus en plus aléatoires, tant la lumière vacille et les membres mobiles. J’augmente les ISO, tant pis pour le bruit. Idem pour la vitesse d’obturation. Je me cale dans les marches au-dessus du public et ça devrait passer. Plus tard, en me baladant près du bar, je remarque une petite bande de personnes qui ont l’air de s’amuser comme des adolescents. Ils sont en train de s’éclater les index et les pouces sur un jeu d’arcade bien connu des années 90 : Street Fighter II (il me semble… en même temps, la différence entre le deuxième et le premier ne saute pas aux yeux directement : plus de personnages, plus de décors, plus de pixels par pouce). Les deux personnes qui jouent font n’importe quoi, appuient sur tous les boutons… et parviennent tout de même à faire faire l’hélicoptère à Chun Li et la boule de feu à Ken. Bonne ambiance, on rigole.

                    De retour au bar, tandis que les mecs au micro balancent des paroles militantes qui font plaisir, la bière coule et le vin rouge passe bien. Je m’approche de la scène et remarque qu’un parterre de fraisiers est niché dans un baffle (oui, baffle est du masculin, comme clope, haltère et tentacule). La fosse danse et la salle se réchauffe graduellement. En revanche – allant faire une ballade à l’extérieur – la température saisit la peau telle une gifle. Plusieurs personnes squattent les canapés près du brasero au centre de la cour. Et une belle populace s’est amassée sous la chapitalette du bar du Fer à Coudre. J’y croise des mecs qui attendent avec des étincelles dans les yeux les croque-monsieur gavés de fromages fondus que leur préparent deux loustics investis dans leur mission de bouffe public. J’entends du gros son, j’y vais. Los Tres Puntos viennent de commencer. Bizarrement, la prise de photo est bien plus aisée ici que dans la salle. L’effet tunnel peut-être, la symétrie des courbes, la qualité des lights… Des ombrelles de parapluie recouvrent le plafond concave, inversées. Des filaments de plantes en tombent. Elles changent de couleur selon les teintes que les techniciens lumières balancent sur scène. Les cuivres du groupe de punk rocksteady ont de l’énergie ce soir. Je dirais même qu’ils sont à la hauteur de la renommée de leur nom. Ça fait plaisir, et je pense à ceux qui ne se sont pas chauffés pour venir – ayant pris trop cher la veille et l’avant-veille, à ceux qui sont loin et que je n’ai pas croisé depuis des mois. S’ils avaient été là, nous aurions pogoté ensemble et fini cuités, fatigués et heureux. Mais pour le moment, je m’attelle à la tâche de capter ce qui ressort de cette soirée. On est près de trois cents, moyenne d’âge située entre 30 et 45 balais – grosso modo, visages blancs pour la plupart, corps vêtus de noir, avec quelques pointes de rouges, par-ci, par-là. Peuple de punk et d’anar. Mixité des genres. Des enfants se baladent entre les adultes, les oreilles couvertes par des casques protecteurs de tympans, à l’aise.

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            De cette nuit caractéristique de Paris – claire – le grand bâtiment rouge prend des allures de bunker perdu au milieu d’une forêt de pins, dont le jardin est coloré de feux orangés. Pendant le set des Puntos, Inti fait sa balance indoor. Je croise Gianni qui bosse avec la Ressourcerie du Spectacle, le collectif qui gère le lieu. Il semble fatigué mais satisfait du déroulement de la soirée. La Ressourcerie est une association à visée artistique, socioculturelle et « écologique » – bien que ce terme soit de plus en plus galvaudé… Ils œuvrent à la récupération de matériels, au réemploi d’objets, à l’accompagnement technique afin d’équiper toute intention évènementielle – à l’image de nombreux autres collectifs d’Île-de-France. Tout un pan d’individus issus du milieu du spectacle œuvre à des actions solidaires, activistes et militantes – humaines. Qu’on se le dise, putain.

 

            Sur la scène intérieure, Inti donne des variations latines à son rythme saccadé de ska. Les gens entrent en danse et la foule devient floue. Les cuivres sont particulièrement à l’honneur ce soir, chaque sonorité de sax’, de trombone ou de trompette résonne et tire des profondeurs du corps des frissons gigantesques. La salle est blindée. Le bar est inaccessible. Trois personnes sont scotchés en permanence sur le jeu d’arcade situé sous la mezzanine. Les toilettes pour femme sont prises. Et ça tambourine dès qu’on y passe plus d’une minute. La soirée est déjà bien entamée… Dehors sous la toile en forme de hangar, les Inner Terrestrials venus de Londres placent un set carré et sautillant – dub et punk – avec classe. La session musicale de ce soir à vu s’enchaîner nombre de pointures jouant avec le smile et avec entrain. Les personnes venues danser sont chaudes à point. Pendant ce temps, les Jabul Gorba s’échauffent. En haut de l’escalier, l’artificier de Rock-Fx prépare son tableau et ajuste les détails pyrotechniques de la dernière session punk de la nuit. Tout le monde s’ameute dans le Crapo, et on part pour près de deux heures de punk pogo des Balkans totalement déjantés. La nouvelle formation des Jabul est complète, ça sonne fort. La violoniste s’accorde harmonieusement avec les cuivres et le jeu de scène du chanteur caractéristique. Ils semblent tous péter le feu, à l’image des jets d’étincelles qui enrubannent la scène au cours de leur set (en plus des avalanches de neige et des averses de bulles).

            Plusieurs rappels, une fosse qui pogote encore, puis la lumière blanche se réinstalle pour signifier la fin du son. Quelques personnes restent pour le premier after. Ça papote au bar de sujets aussi divers que le joli sweat violet et jaune porté par un percussionniste ou que la politique sécuritaire dangereuse qui se met en place dans ce pays. Ça tente de danser sur du Chuck Berry mais les pas sont incertains et les prises de main hasardeuses. Mais ça rit beaucoup. Quand je dis « ça » je veux parler de moi et d’autres personnes dont j’ai déjà oublié les noms, et bientôt les visages. Seules les sensations perdurent plusieurs semaines, voire plusieurs années.

            On ne parlera pas ici du second after qui s’est déroulé dans un autre lieu, plus tard dans la nuit – ça a manqué de finir en petite castagne pour une histoire de popper’s. Mais, on ne parlera pas du second after.

Texte et photos : Moe Lesné

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