Rencontre avec Martin Glover aka Youth (Killing Joke)

A l’occasion du concert des quarante ans de Killing Joke au Cabaret Sauvage, je me suis entretenu avec le bassiste du groupe Martin Glover (aka Youth), également producteur, écrivain et éditeur. Le personnage a tellement roulé sa bosse en tant que producteur qu’il travaille même avec une pointure comme Paul Mc Cartney ! Une interview passionnante mêlant musique, politique et spiritualité.

Bonjour, cela fait maintenant quarante ans que le groupe a été créé. Comment expliquez-vous une telle longévité ?

Youth : Les choses devaient sans doute se passer comme ça. Tout cela défie toute explication rationnelle. C’est incroyable que nous ayons survécu jusqu’à maintenant, d’autant plus dans le line-up originel. On n’aurait jamais imaginé ça à l’époque. Jaz (Coleman) a l’habitude de dire que le succès, c’est la survie. C’est peut-être à cause du succès qu’on a survécu. La roue continue de tourner.

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A côté de Killing Joke, vous avez travaillé dans la production. Que pouvez-vous me dire concernant votre carrière ?

Youth : C’est hallucinant quand tu te tournes vers le passé. Je n’ai pas eu vraiment l’intention de devenir producteur. J’y suis venu par accident mais aujourd’hui, je suis très heureux de pouvoir produire des disques. J’ai travaillé dur pour ça.

Vous avez quitté le groupe plusieurs fois et vous l’avez rejoint à nouveau il y a dix ans. Pour quelle raison ?

Youth : J’ai rejoint le groupe à nouveau en 2008 suite à la mort de Paul Raven. Nous avons joué à cette occasion un concert mémorable dans une salle dans le coin. De l’autre côté du parc de la Villette, il me semble. Je ne me souviens plus exactement mais c’était peut être bien le Trabendo…

Vous êtes aussi connu comme éditeur et même écrivain. Pouvez-vous m’en dire plus là dessus ?

Youth : Oui, j’ai une nouvelle maison d’édition et j’ai publié surtout de la poésie jusqu’à présent. A ce stade, je pense qu’il est temps pour moi de publier d’autres choses, de nouveaux recueils de poésie, de nouveaux auteurs et de nouveaux livres. Cela fait longtemps que j’écris mais je n’ai pas encore publié mes écrits. Ce qui m’intéresse c’est surtout de publier et d’encourager les auteurs à écrire. Une de mes meilleures réalisations a été le livre « Freak Philosophy » qui est un recueil d’interviews réalisées par moi même sur un laps de temps assez long et qui rassemble des écrivains comme Terence Mc Kenna et Ken Kesey ou un artiste comme Roger Ramone. Je les ai interrogé sur leur philosophie et leur inspiration. Je suis très fier du travail effectué avec ma première maison d’édition Dragonfly. Cela a été très excitant de travailler avec quelqu’un comme David Tibet du groupe Current 93 ainsi qu’avec le DJ italien Gaudi. Concernant ce dernier, il y a d’ailleurs un album à venir en décembre.

Vous êtes également membre d’un groupe d’électro, The Fireman, en compagnie de Paul Mc Cartney. Comment s’est passé cette collaboration ?

Youth : C’est incroyable. Cela a commencé quand je lui ai proposé de remixer ses albums. J’en suis alors venu à lui proposer de créer un nouveau son à partir de ses enregistrements. C’est à ce moment qu’est arrivé le premier album de Fireman. C’est un projet très expérimental. C’est aussi excitant que si j’avais travaillé avec un groupe comme Pink Floyd. C’est une des expériences les plus jouissives de ma vie. J’ai appris beaucoup de cette collaboration. Je suis une des rares personnes à avoir travaillé avec Paul Mc Cartney.

Killing Joke est connu pour être un groupe engagé politiquement. Qu’en est il de vos propres convictions politiques ?

Youth : Je dirais que tout ce que l’on fait est politique, que ce soit conscient ou non. Je ne suis affilié à aucun parti ni à aucune doctrine politique. Nous sommes influencés par divers courants politiques. Nous avons des points de vue divergents au sein du groupe. Je me considère comme un anarchiste à tendance libérale. Jaz a une conception plus à gauche de l’anarchisme. Nous cherchons surtout à vivre en communauté selon nos propres règles afin de trouver le bonheur. On a tous l’impression que ces derniers temps, la politique s’est beaucoup éloignée du réel. Nous avons créé notre propre culture politique. Jaz était contre l’intervention britannique en Irak mais qui ne l’était pas. C’est la raison pour laquelle il a pris la nationalité néo-zélandaise. Nous pointons l’hypocrisie de nos politiciens. Le monde est devenu tel que nous le décrivions il y a 30 ans. Notre politique est de créer un nouvel « été de l’amour » comme au temps des hippies. Même si notre musique est violente et puissante, nous prônons la paix et le bonheur. La musique est le remède aux problèmes. Le virus peut contenir une partie du virus. Killing Joke est pour nous une thérapie dans un monde de violence et d’agressivité. Notre musique reflète cela. Jaz dit que Killing Joke est un moyen pour nous d’exprimer la violence qui est en nous. Personnellement, je ne partage pas ce point de vue. Pour moi, la musique est plutôt un moyen de se reconnecter avec le cosmos et les éléments naturels. Le côté magique de notre musique est plus important à mes yeux que la violence.

Tu as mentionné la dimension spirituelle de Killing Joke. Qu’en est il de tes convictions religieuses ?

Youth : Je ne suis pas dans le côté religieux. Mes influences vont du bouddhisme au christianisme. Ce qui m’intéresse c’est le mysticisme. Je suis intéressé par la pensée d’Héléna Blavatsky (1). Je vois le groupe comme un élément mystique. Pour ma part, je me situe plutôt dans un état d’esprit païen. Je m’intéresse au druidisme, au chamanisme. Jaz et Paul ont fait partie dans le passé de l’Ordre Hermétique de l’Aube dorée (2). Geordie est un expert en gématrie (exégèse de la Bible hébraïque dans laquelle on additionne la valeur numérique des lettres et des phrases afin de les interpréter). Au sein du groupe, on a tous différents centres d’intérêt dans la spiritualité. Concernant Aleister Crowley (3), je lui reconnais des qualités. Je le trouve intéressant mais je n’aime pas beaucoup sa philosophie pour autant. Des occultistes comme Gurdjieff (4) ont dit des choses avec lesquelles je suis complètement d’accord. Je ne sais pas si j’ai envie de vivre constamment dans ce monde de spiritualité…

Parlez moi de votre projet avec David Tibet…

Youth : Le projet s’appelle Hypnopazuzu et on a sorti un album l’an dernier. C’est un projet très ésotérique et magique. Un deuxième album est en préparation.

Quels sont les projets à court terme pour Killing Joke ?

Youth : On est justement en train d’en parler au sein du groupe. On a le projet de sortir un nouvel album ainsi que plein d’autres projets mais rien de concret à ce stade. On a plein d’idées mais on n’arrive pas à s’entendre là dessus (rires).

Quelque chose à dire sur l’ambiance au sein de Killing Joke ?

On s’entend assez bien avec Jaz car on a le même âge, le même signe astrologique. Les relations que l’on entretient individuellement les uns avec les autres dont différentes de celles que l’on entretient sur un plan collectif. Parfois, c’est Geordie qui prend le dessus dans le groupe. Mais ça peut être aussi moi ou Paul ou encore Jaz qui domine. On est assez brutaux les uns avec les autres. Geordie et Jaz habitent dans la même rue à Prague et pour autant, ils ne se voient jamais en dehors des tournées. Quand Paul Raven était encore vivant, c’était pareil. Comme on passe beaucoup de temps ensemble en tournée, on a pas forcément envie de traîner ensemble le reste du temps. Cependant, j’ai pas mal de projets avec Jaz en dehors du groupe. J’ai aussi un projet parallèle avec Paul , Transmission. Un nouvel album doit d’ailleurs sortir. On fait tous des choses à côté de Killing Joke à l’exception de Geordie qui ne fait que Killing Joke. C’est fantastique de jouer ensemble !

Notes :

1 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Helena_Blavatsky

2 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ordre_herm%C3%A9tique_de_l%27Aube_dor%C3%A9e

3 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Aleister_Crowley

4 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Gurdjieff

Propos receuillis et traduits par Mathieu

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