
Si une chose telle qu’un « lectorat régulier » de cette chronique existe, il sera probablement surpris par le choix que j’ai tenu à faire cette semaine. Sans m’écarter de nos préoccupations principales – l’art, les expositions – vous vous rendrez vite compte que je me suis permise d’emprunter un sentier à peine balisé. Cependant, je suis assez sournoise pour vous persuader que je n’ai pas failli à mon devoir, non mon bon ami ! Je me suis bien rendue dans une exposition, comme j’ai l’habitude de le faire, et si c’est la raison pour laquelle vous me lisez, je ne manquerai pas de satisfaire votre exigence… Alors qu’en vérité, je me suis rendue au festival SNAP !, premier festival français dédié au travail du sexe, organisé par des travailleurs du sexe.
Ouais, ce week-end, je suis allée voir des putes. PUTES. Ah ça te choque, ça ? Moi aussi. Peut être pas pour les raisons attendues d’ailleurs. Je ne comprends pas bien la violence qu’on a mis derrière ce mot. A quel moment être travailleur/travailleuse du sexe (TDS dans le jargon) est devenu une insulte ? Parce que finalement, que l’on soit abolitionniste (c’est à dire que l’on souhaite supprimer, abolir, que l’on s’oppose fondamentalement à la prostitution) ou non, à quel moment est-ce devenu une circonstance lourdement aggravante dès qu’il s’agit d’émettre un jugement moral sur les personnes qui exercent ce métier ? Qu’elles l’exercent en y étant forcées ou de leur plein gré (car les deux existent, la prostitution n’est pas un synonyme du trafic d’humains), change-t-il quelque chose dans notre droit (que nous nous octroyons d’ailleurs sans consulter les premiers concernés) de stigmatiser les TDS ? Qu’il s’agisse de notre façon de considérer moralement cette communauté, ou des lois adoptées directement à leur encontre (et bien trop rarement en leur faveur ou pour leur protection…) leur parole n’est jamais entendue, et leur avis, jamais demandé. C’est le projet de SNAP !, restituer la parole à ceux pour qui l’on décide, ceux que l’on réduit au silence. Les TDS, en raison de cette stigmatisation quasi systématique, sont une communauté précarisée, oppressée, que la juridiction n’a pas l’air de considérer comme des êtres humains, qui, au même titre que les autres, méritent la protection et la considération des institutions.
Ayant personnellement un intérêt particulier pour le sujet dans sa facette politique et morale, je serais bien tentée de dérouler ici le long parchemin théorique que j’ai élaboré sur la question, mais je vais m’en tenir au rôle qui m’est attribué ici ; celui de parler d’art. Des articles détaillant la complexité politique de cette situation sont facilement accessibles si le sujet vous intéresse, et j’espère pouvoir compter sur votre libre arbitre, votre esprit critique, et votre capacité à vous nourrir comme des grands sans que quelqu’un ne vous agite votre cuillère de purée à la carotte sous le bec.
Encore une fois, je fais une promesse fallacieuse en prétendant m’écarter totalement de la portée sociale/politique/éthique de ce sujet par le seul détour sur les production artistiques, car tel l’étudiant communiste aux abords de Nanterre, je me permets d’affirmer « tout est politique ». Pour un sujet tel que celui ci, il serait même d’une profonde malhonnêteté intellectuelle de le nier. La politique, c’est un peu le nez au milieu de la figure de la prostitution, l’éléphant dans le magasin de sex-toys en porcelaine de la rue Saint Denis.
Parlons peu, parlons bien, parlons d’art, donc. J’avoue qu’au delà de l’intérêt que je porte déjà au sujet, la présence d’une exposition de photographies de Romy Alizée, titrée Parental Advisory Explicit Females m’a attirée d’autant plus. J’ai découvert son travail cette année, il y a quelque mois à peine, en tombant sur un de ses fanzines, avec une couverture soft paper, rose et douce comme la peau d’une fesse. Ce qui annonce déjà la couleur (rose fessier, donc), Romy Alizée est modèle, photographe et actrice pornographique. Sa pratique photographique mêle aussi bien l’esthétique de la culture punk, que les préoccupations chiadées du vintage, un savant mélange qu’elle utilise pour produire des images érotiques. Exclusivement. Pour des questions de droit des mineurs, je vous laisse une fois de plus la responsabilité de consulter le site de Romy Alizée pour vous faire une idée de son travail.
Comme lors de la découverte de son fanzine, j’ai été convaincue. Je n’ai que trop rarement l’occasion de voir une image érotique dans laquelle la femme n’est pas un accessoire. Elle est ici objet et sujet du fantasme. Productrice en pleine possession de sa puissance. D’une délicatesse et d’une poésie rare dans un univers visuel que l’on dépeint souvent et parfois bien malgré nous comme obscène, glauque, avilissant, sans jamais le départir d’une idée de souillure qui touche presque au blasphème. Abandonne donc YouPorn, ou tout du moins ne t’en contente pas. Romy Alizée prouve par A+B que oui, un cul, c’est poétique. Pas comme dans une peinture de la Renaissance, où les figures féminines sont clairement dé-sexualisées, mais bien qu’un corps sexué et sexuel a sa place dans le royaume savamment calibré du beau. Qu’un femme en pleine possession de son corps et de sa sexualité n’est pas une menace (ou prétexte à l’opprobre sur toute sa lignée, cas de figure d’ailleurs bien plus visible au quotidien).
L’autre temps fort artistique du SNAP ! a été la performance FULL SERVICE de Daniel Hellman. Une superbe femme avec un manteau en fausse fourrure jaune – qui m’a laissé une impression impérissable – m’accueille chaleureusement pour m’inviter à participer à cette performance, qu’elle me décrit brièvement tout en me tendant un tract descriptif. Morceaux choisis : « Je chante un air d’opéra pour toi. Je garde ton enfant. Je fais quelque chose avec toi que tu n’as jamais osé faire seul », « Je te donne des conseils spirituels. Je te laisse écrire des choses sur mon corps. Je te tiens un discours sur le sujet de ton choix. Je te fais un don de sperme. » Au dos du tract six règles qui encadrent la performance : moyennant finance, n’importe qui demande ce qu’il veut au performer. Vous, dans le fond ! Je vous vois déjà couiner et brailler aux « illuminés de l’art contemporain », qui font des choses farfelues, inutiles, et qui n’ont même pas le crédit d’avoir du sens. Un reproche que je n’aurais osé formuler vis-à-vis de cette performance, dont le sens est évident, et qui sans parler nécessairement de sexe pose toutes les questions pratiques, et surtout sociales, relationnelles, liées à la prostitution. Je dois avouer que c’est la première fois que l’idée d’une performance à visée clairement éducative ne m’a pas profondément barbée. Une portée didactique à la fois et, étonnamment, rentre-dedans et subtile, qui pourrait avoir avec certaines personnes bien plus d’effet qu’un discours argumenté et factuel.
Du reste, nombre de projections de films, de débats, de tables rondes ont eu lieu lors de cet événement. Pour donner la parole à ceux dont on parle beaucoup mais que l’on n’entend jamais et qui font indéniablement partie de nos vies. Putes, acteurs porno, cam-girls… Les débats n’ont pas été à la hauteur de mes attentes sans pour autant être dénués d’intérêt. Je m’explique : je m’attendais à plus de certaines interventions. Seulement, ce traitement bien souvent en surface n’est pas à imputer aux intervenants eux-mêmes mais bien au public, qui tâtonne encore, pose beaucoup de questions que les intervenants ont probablement déjà entendu des milliers de fois. Mais ils y ont toujours répondu, sans dédain, avec bienveillance, En effet bien que je n’y aie pas trouvé le niveau d’analyse que j’attendais, j’ai pu me rendre compte de la tendance générale quant à ces divers sujets, une sorte de moyenne d’opinion, et même si de toute évidence les choses évoluent lentement, les gens commencent à y porter de l’intérêt, commencent à se questionner. Raison pour laquelle j’espère voir une seconde édition du tout jeune SNAP !, Sex workers Narratives Arts & Politics. Un événement pertinent et nécessaire.
Claire L.
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