
Le format carte blanche est une vieille habitude du Palais de Tokyo, une tradition fort appréciable qui laisse, ô surprise, carte blanche à un artiste sur la totalité des espaces du musée. C’est aujourd’hui l’artiste argentin Tomàs Saraceno qui investit le saint des saints de l’art contemporain français.
Investir l’espace n’est pas une simple formule de rédaction ici ; diplômé d’architecture, l’artiste utilise, transforme, déforme, habite réellement le musée. Loin des objets posés sur un socle bien propre, bombant le torse sous l’admiration des étudiants des Beaux Arts, ce sont ici des environnements qui sont proposés. Des environnements complexes dotés d’une puissance visuelle certaine. D’ailleurs, vous serez certainement complexés et penauds en comparant votre décoration d’Halloween et ces grands tissages arachnéens déployés à travers le Palais de Tokyo.
Mais, (il y a bien souvent, voire toujours, un « mais »), comme toutes les propositions qui se fixent pour objectif, si l’on peut réellement parler d’objet, d’établir un environnement autour du visiteur, qui s’échinent à se faire reconnaître comme œuvre immersive, même comme un œuvre totale dans le cas présent (compte tenu de la diversité des médiums utilisés), on retrouve toujours la même logistique, si je puis dire. Cette volonté chorégraphique qui voudrait voir déambuler librement le spectateur, sans entraves, dans la possibilité – ou, paradoxalement, l’obligation… – de s’intégrer à l’environnement que l’on a créé pour lui. Cette même notion de déambulation ludique qui, personnellement, finit par m’agacer. Non pas qu’il y ait quoi que ce soit de désagréable à se balader au milieu de toiles d’araignées, mais l’intention derrière la production d’une œuvre immersive semble être inlassablement la même : celle du parcours.
En y repensant, ou tout du moins en essayant de jouer le jeu qui nous est imposé, peut-être le parcours en question est-il plus à penser comme un parcours dialectique plutôt que ludique. Saraceno s’est en effet entouré d’architectes, de scientifiques, de philosophes et autres vendeurs de roses aux abord des terrasses de café (non. D’accord. J’exagère) pour fournir une réponse à l’Anthropocène. Ambitieux, très ambitieux, projet. Ces environnement seraient donc des sortes de dialogues structurels entre le visible et l’invisible de ce qui fait notre monde et qui se présente comme sorte de symbiose. Des environnements à saisir comme un idéal de ce que devrait être ledit monde sans nos abus, pillages et excès de tous bords.
Un discours louable, certes, et auquel ma conscience écologique est largement sensibilisée (j’ai essayé de faire du compost dans mon luxueux 19m carrés parisien, ne me teste pas…), mais bien peu pertinent, presque trop innocent et, comme attendu, idéaliste. « On peut rêver quand même ! » me crie-t-on dans l’oreillette. Certes, mais lorsqu’on s’entoure de scientifiques, d’araignées et de vendeurs de roses, je pense que le projet initial va plus loin que la conversation utopiste à trois heure du matin, ou que l’idéalisation salvatrice qu’on se figure pour se rassurer. Ces productions semblaient s’originer dans des propositions de solutions tangibles que je ne retrouve pas ici, on ne laisse à ces propositions que leur aspect contemplatif et au mieux… ludique. Ludique où l’on espérerait du dialectique. J’aurais essayé…
En résumé, une exposition comme toujours remarquablement scénographiée, que je ne déconseillerai pas étant donné ce potentiel ma foi fort amusant de courir les bras en l’air à travers des environnement improbables, mais, pour revenir à notre « mais », j’espérais qu’un discours plus manifeste se dégage de cette carte blanche.
Ceci étant dit, deux journées réunissant séminaires et performances sonores au sein de l’exposition (joliment nommées Jamming with spiders) sont proposées. Ces événements se tiendront le 23 novembre et le 14 décembre. Peut-être que ces bœufs aux araignées me permettront de mieux saisir les enjeux de l’exposition. Cela n’empêchant en aucun cas que le besoin d’un hypertexte pointe la faiblesse d’une œuvre… Vous vous rendez tous bien compte de ma difficulté à avoir un avis tranché quant à cette exposition. Si l’envie vous prend de passer une semaine dans l’indécision avant d’oublier ce que vous avez vu, vous pouvez visiter la carte blanche de Saraceno jusqu’au 6 janvier 2019 !
Texte : Claire
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