
Il arrive parfois qu’un groupe sorte un album et qu’on se prenne une bonne claque en pleine figure. Après ça, on vit dans l’angoisse du suivant, tiraillé entre l’excitation à l’idée de revivre l’expérience épiphanique et la crainte d’espoirs déçus.
Le moment tant redouté est arrivée le 5 octobre dernier.
I loved you at your darkest est le 11e album du groupe Behemoth, sorti 4 ans après The Satanist. Mettons les choses au clair tout de suite : je fais partie de ceux qui ont été subjugués par cet album et je l’adule toujours autant aujourd’hui. En bon idolâtre, je m’attendais forcément à un album un peu en-deçà du précédent…
L’artwork est très convaincant. Mea culpa (le latin est de rigueur chez Behemoth), je n’ai pas réussi à trouver l’oeuvre originale mais les tons sombres et le clair-obscur puissant mettent parfaitement en valeur le corps flasque et blanchâtre du vieil homme, écrasé par cette masse encroûtée et blasphématoire qui s’écoule en traînées grises.
La mise en scène très picturale des clips et des photos du livret renvoie tout autant à la peinture religieuse. Une véritable exposition a même accompagnée la sortie de l’album.
Le morceau d’intro, “Solve”, est très prometteur. Un choeur d’enfants, artifice encore peu usité par les Polonais, égraine les noms de Yavhé alors que montent des abysses les premières notes sulfureuses. Le son est très proche de l’album précédent et nous plonge dans une ambiance familière. Quand soudain…”Wolves of Siberia” ! Et le voilà ! Le voilà ce groupe qui m’avait offert ce frisson musical il y a de cela quatre ans ! Cerise sur le gâteau : la fin du morceau est saupoudrée d’instrumentation folk – est-ce une balalaïka que je devine ?
Le clip, quant à lui, est relativement classique mais évite la surcharge visuelle qu’on pourrait reprocher aux autres.
Celui du morceau suivant, “God=Dog”, est un peu plus guignolesque malgré quelques plans fixes particulièrement réussis. Voir Nergal s’agiter torse nu…franchement. Le morceau en lui-même est plutôt classique mais on retrouve les choeurs d’enfants de l’intro du disque. Notez le palindrome caché dans le titre de la chanson ; je trouvais ce dernier vraiment pourri jusqu’à ce que je comprenne l’astuce.
De nouveaux choeurs pour le quatrième titre “Ecclesia Diabolica Catholica”. On y retrouve également les outros si diaboliquement léchées de The Satanist.
Mais c’est avec le titre suivant, “Bartzabel”, que l’on rentre dans une des véritables surprises de l’album. Certes, Behemoth avait déjà entamé sa transition vers le “blackened death metal” (comme disent les jeunes) en 2014. Il n’empêche que ce “Bartzabel”, avec son rythme mid-tempo et son chant clean, nous prend à revers. Et puis ils portent des costumes d’évêques. Mais attention hein, rien à voir avec Ghost.
On retrouve cette formule dans d’autres morceaux de l’album comme “Sabbath mater” et “Rom 5:8”. Globalement, pas mal de morceaux présentent la même structure : une première moitié chant et une seconde moitié solo/instru. Notons que les titres sont assez courts (l’album dure environ 50 minutes).
Si certains regretteront le changement d’univers musical du groupe, on ne peut pas nier la force des paroles, peut-être le véritable fer de lance de Behemoth. A travers de nombreuses références théologiques ou philosophiques, Nergal livre son féroce combat contre la religion. La domination de l’Homme sur le divin, voilà le satanisme prôné par le groupe, s’inspirant entre autres de la pensée nietzschéenne. Ces références pointent le bout de leur nez un peu partout : dans les paroles, les titres des chansons et même celui de l’album. L’importance croissante que reprennent catholiques et orthodoxes en ce moment en Europe n’est pas étrangère à la croisade des Polonais.
“I loved you at your darkest” serait en effet une parole rapportée de Jésus dans l’Epître aux Romains, chapitre 5, verset 8. Voilà une désacralisation dans les règles de l’art si seulement c’était vraiment le cas. Cette maxime est introuvable dans la Bible et n’est qu’une interprétation moderne du verset en question.
Behemoth a trouvé la force de faire évoluer sa musique et I loved you at your darkest est un nouveau chef-d’oeuvre dans la carrière du groupe, sans cesse en quête de dépassement.
I Loved You At Your Darkest, sorti le 5 octobre chez Nuclear Blast
Behemoth en concert au Bataclan (Paris) le 22 janvier 2019
Texte : Thomas
Dessin : Fable
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