
Quand il s’agit de HEY !, je suis toujours à un cheveu du péché mondain, de cette attitude entre l’admiration et la condescendance qui voudrait me faire dire «on ne présente plus HEY ! », mais je vais descendre de mes grands chevaux et me faire le plaisir de vous faire une petite introduction quant à cette figure désormais incontournable de la scène contemporaine.
HEY ! C’est avant tout une publication trimestrielle (papier, bien sûr, mais aussi web depuis 2017, disponible sur le site heyheyhey.fr) centrée sur les productions d’art contemporain et à mille lieux du ArtPress ou du Beaux Arts Magazine que vous avez sûrement déjà croisé sans vous retourner. Parce que trop élitiste, trop académique, presque volontairement inaccessible. HEY ! ne pourrait pas être plus d’accord avec vos réticences, et c’est d’ailleurs le moteur de ce projet. Cette publication n’a eu de cesse de pousser sur le devant de la scène les artistes, les formats, les mediums boudés par les sphères hermétiques de l’art contemporain. HEY ! témoigne de cette volonté manifeste d’un décloisonnement de genre, sans jamais aborder cette question – par ailleurs d’un vide abyssal et stérile – de la culture noble et de la culture profane. Une publication qui pourrait paraître un peu onéreuse, mais les 320 pages de chaque numéros sont de vrais bijoux, la maquette est superbe et la sélection d’artistes présentés est toujours incroyablement pertinente et accrocheuse. La rédaction de HEY ! a très justement choisi l’appellation d’art outsider, l’art que l’académisme refuse bien volontiers, l’art qui parle aux prolos, aux gamers, aux punks, aux tatoueurs, mais aussi à ta grand tante passive-agressive qui ne jure que par les peintures préraphaélites, au galeriste qui spécule, au collectionneur zélé, à celui qui a ingurgité l’équivalent de son poids en encyclopédies d’histoire de l’art et à celui qui n’y connaît rien.
Street art, sculpture, tatouage, peinture, sérigraphie, posters… aucun de ces formats n’est rejeté par HEY !, tant dans la publication que dans l’exposition chez Arts Factory, sous prétexte qu’il ne serait pas digne d’être estampillé du sacro-saint label art contemporain, qui rechigne bien souvent a intégrer dans son circuit des artistes et des productions jugés trop représentatives d’une contre culture.
Tout au contraire, ce sont bien ces imageries issues des cultures populaires et alternatives qui sont le fer de lance de ce projet. L’exposition présentée chez Arts Factory démontre parfaitement ce refus d’une hiérarchisation quelconque. De l’œuf de Fabergé version hardcore aux muses recouvertes de tatouages, tout se mélange dans une harmonie surprenante et dans une complexité salvatrice, cassant les clichés selon lesquels l’imagerie populaire n’a pas de fond et se passe d’interrogation, de questionnement profond et actuel, tout cela sans prendre le dangereux virage de la problématique ampoulée et surfaite, qui n’existe que pour justifier après coup un commissariat d’exposition théoriquement faiblard. Cette « proximité » avec les œuvres est un véritable soulagement, aux antipodes de l’exposition contemporaine aux considérations surannées et aux artistes obscurs, qui entretiennent un mythe pour une scène, pour un marché. A aucun moment vous n’aurez la désagréable impression de ne rien comprendre à ce que vous voyez, la sensation d’être pris de haut par une œuvre, par un artiste et par le système opaque qui se cache derrière, qui regardent d’un œil torve le profane qui oserait se présenter devant une pièce de galerie et qui oserait afficher son incrédulité.
Même si tout est laissé à l’appréciation particulière de chacun, toutes les pièces exposées font montre d’une qualité technique et d’une force esthétique indéniable. Des identités visuelles singulières, puissantes et sans concession. On peut voir une récurrence de certains thèmes, l’imagerie médicale, la mort, l’horreur et plus largement l’étrange ont ainsi une place prépondérante dans cette exposition, certains courant picturaux sont aussi présents simultanément chez plusieurs artistes (tatouage, street art) pourtant, si les correspondances sont manifestes, aucune impression de redondance ne s’impose, preuve d’un commissariat d’exposition soigné et nuancé.
Petit aparté concernant la librairie de l’exposition, tout aussi fascinante que l’exposition en elle même et sur laquelle vous devez absolument prendre le temps de vous attarder (livres d’art de très belle édition autour du tatouage, des curiosités médicales, de la photographie mortuaire, mention spéciale également pour ce superbe jeu de tarot inspiration tatouage old school qui fera sensation lors de vos réunions mensuelles de spiritisme, divination et autres tables tournantes). Vous serez peut-être même tentés par l’acquisition de l’une des pièces présentées, car la démocratisation et la désacralisation chez HEY ! Passent aussi par le collectionneur, et les prix proposés pour certaines œuvres sont tout à fait abordables. Aimer l’art, en acquérir n’est plus réservé qu’à une petite élite financière.
HEY ! est un superbe projet, un projet à mon sens nécessaire dans le devenir de la scène contemporaine. Vous pouvez visiter l’exposition, en entrée libre, jusqu’au 24 Novembre, à la galerie Arts Factory. C’est bien plus que chaleureusement que je vous encourage à vous y rendre.
Texte : Claire L.
Œuvres présentées dans l’article par Ramon Maiden, Bruce Eichelberger et Van Arno.
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