Nos batailles – Guillaume Senez

Je croyais le cinéma français débarrassé de ce conformisme de classe qui fut tant décrié dans les années 80 et à l’aune des années 90 avec l’émergence de la nouvelle “Nouvelle Vague” – les Desplechin, Rochant, Lvovsky, etc, frais émoulu.e.s de l’IDHEC et pleins de ces tics de cinéma bourgeois raffiné et érudit mais complètement à côté de la plaque sur les problèmes sociétaux qui sortaient du microcosme germanopratin. Avec l’arrivée du matériel de prise de vue numérique, des nouvelles technologies et des réseaux sociaux, et puis aussi grâce à une indéniable dose de talent pour la plupart (Desplechin en tête, je sais, je le dis dès que j’en ai l’occasion), ce désagréable état de fait d’une nouvelle génération de cinéastes avec une vision erronée voire fantasmée de la société a fait place dès les années 2000 à un cinéma résolument moderne et totalement en phase aussi bien avec les bouleversements profonds que les fulgurances en surface. Je m’étais trompé. Manifestement, il y’a même pire. Des cinéastes tels que Guillaume Senez qui vient de réaliser Nos batailles font même montre d’un point de vue qui relève de la méconnaissance ou pire, du mythe mélodramatique du bon ouvrier qui affronte les pires avanies avec la plus parfaite abnégation.


Tout partait bien sur le papier. Bon casting : Romain Duris, Lætitia Dosch, Laure Calamy en têtes d’affiche, soutenu.e.s par une équipe de beaux seconds couteaux. A l’écriture, Raphaëlle Desplechin, la sœur de. Et pour couronner le tout, une co-production franco-belge, ce qui, vous en conviendrez tous, est souvent gage de bonne qualité. Las. Même s’il n’est pas lieu de comparer les deux, on est à des milliers de kilomètres d’En guerre de Stéphane Brizé. Évidemment, je force l’écart de la comparaison car, bien que l’enjeu scénaristique de l’un soit presque dérisoire par rapport à l’autre, les deux metteurs en scène prennent comme point de départ le rapport de force humain dans le monde du travail, et plus particulièrement dans le secteur d’usine. Olivier (Romain Duris qui arrive à ne pas être tête à claques), chef d’équipe au sein d’une plateforme de livraison type Amazon, est confronté chaque jour au combat perdu d’avance des cadences infernales. Suite à un ensemble de circonstances au cours duquel un de ses équipiers met fin à ses jours, il va réaliser qu’il va devoir redoubler de vigilance face à une direction de plus en plus dédaigneuse des conditions de travail de ses employés à l’approche des fêtes de fin d’année.

NB4

Vous voyez comme on s’approche pas à pas des romans de Zola ou, au mieux, du cinéma d’entre-deux-guerres où les prolos étaient forcément des bons bougres à la Jean Gabin et les patrons des salauds à la Erich von Stroheim ? Vous voyez hein ? Et vous n’avez encore rien vu. Ça, c’était juste la mise en bouche, histoire de bien planter le décor. Alors, certes, le père se tue à la tâche – on finit par comprendre à demi-mot quasi refoulé que le grand-paternel aussi (ah, cet atavisme des prolos à l’usine de père en fils) se tuait à la tâche – mais surtout, cela se fait au détriment de son couple, de ses enfants, et surtout de sa femme Laura qui, du coup, se fait un beau burn-out de charge mentale et disparaît du jour au lendemain, abandonnant ainsi mari et gosses dans une galère noire. Du coup, vous l’aurez bien compris, cette histoire d’usine, en fait, on s’en contrefiche. C’était juste pour pousser le curseur un peu plus loin dans le rouge, dès fois que les spectateurs des salles du Carrefour de l’Odéon, pas très au fait des conditions de vie des classes ouvrières, ne comprennent pas avec suffisamment de clairvoyance, le bordel monstrueux que pourrait être la brusque et indéterminable disparition d’une compagne et d’une mère au sein d’une famille qui tire le diable par la queue. Il fallait juste formaliser cette situation dans un cadre plus sociétal qu’intime, vu que, bon, les états d’âme intimes des ouvriers, c’est tout juste bon à faire une campagne de Restos du Cœur pendant les fêtes de Noël, pas un long-métrage de fiction.

NB2

À partir de là, s’ensuit une escalade dans la galère : de l’engueulade entre Olivier et sa sœur Betty (Lætitia Dosch, heureusement toujours impeccable en jeune intermittente du spectacle rigolote) à la fugue des deux gosses partis à la recherche de leur mère, en passant par le remboursement du prêt de la maison impossible à recouvrir à tel point qu’on achète plus que des vêtements de seconde main, etc. Toutes ces petites luttes du quotidien auraient pu apporter un matériau noble et exploitable en termes de scénario, mais non, et c’est là le plus gros défaut du récit : tout reste à l’état de saynètes qui se succèdent comme un long jour sans pain, sans que rien ne soit solutionné. Les personnages se débattent contre le vent de la précarité, restent droits dans leurs bottes, sans pour autant tenter de déconstruire l’enchaînement des événements pour trouver la cause du départ de Laura. À tel point que cet étalage de problèmes finit par lasser, d’autant plus que la mise en scène n’accorde aucun répit à l’observation passive des déboires de cette famille.

NB3

Bref, si Guillaume Senez avait été un jeune réalisateur américain sorti de nulle part, qu’il avait endossé le lourd parti pris de faire osciller son récit entre nonsense et naturalisme, qu’il avait fait appel à un casting absolument époustouflant à commencer par lui-même, s’attribuant le rôle d’un père maniaco-dépressif qui, coup sur coup, subit le deuil de sa mère, perd la garde de sa fille et finit par pêter un gros câble, il se serait appelé Jim Cummings et aurait réalisé Thunder Road. Et là, c’aurait été un pur bijou d’americana, mélange de white trash un peu barge et de conscience sociale d’une tendresse infinie. Quelque chose avec de vrais enjeux et un vrai questionnement sur la vie de famille et sur ce qu’en tant que parent, on doit (ou pas) laisser à nos enfants.

Dans ce cas-là, je vous aurais plus que très vivement conseillé d’aller voir ce film.

Là, non.

Sortie le 3 octobre 2018

Réalisation  : Guillaume Senez
Scénario : Guillaume Senez et Raphaëlle Valbrune-Desplechin

Avec :
Romain Duris : Olivier
Lucie Debay : Laura
Lætitia Dosch : Betty
Laure Calamy : Claire
Basile Grunberger : Elliot
Lena Girard Voss : Rose
Dominique Valadié : Joëlle
Sarah Le Picard : Agathe
Cédric Vieira : Paul
Kris Cuppens : Jan

Texte : Jimmy Kowalski

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