
Le cinéma, c’est juste de la lumière. Et quelques millions de nuances. Ça va, jusque là, pas de souci. Par contre, quand il s’agit de scénario, parfois, les choses dérapent ou plutôt non, restent beaucoup trop dans les clous. Il y’a des films dont les scénarios rappellent méchamment un sketch très drôle qui prenait pour cible Besson et sa boîte à fric (un taxi, une pute, des tchéchènes, etc., ça y est, vous vous rappelez ?). Visiblement, cela semble être une plaie qu’on trouve encore et toujours dans tous les styles, même chez ceux qu’on pensait revenus des pires tréfonds. Oui, les nanars ont encore de beaux jours devant eux. Sous vos applaudissements : The Villainess de Jeong Byeong-gil.
Certes, c’est un peu dur de commencer comme ça et c’est surtout pas vendeur de lui pêter directement les rotules sans même avoir posé de questions. Disons que ça donne le ton. C’est vrai, tout paraissait bien parti pour ce film coréen, sensation de Cannes en Hors Compétition aux fameuses Séances de Minuit. Les hongkongais Johnnie To, Tsui Hark ? Pfff, la vieille garde. Park Chan-wook le mentor de la nouvelle vague coréenne ? Sans aucun doute, mais la rumeur courait, ce soir de mai 2017 autour du Palais des Festivals, qu’un jeune disciple venait de détrôner le maître. À grands coups de plans-séquences sans fin, de body-cams cascadeuses, d’histoires rocambolesques… Bref, les superlatifs pleuvaient comme les trombes d’eau qui illustrent la scène d’ouverture de la nouvelle merveille coréenne.
Alors, c’est vrai, ne faisons pas la fine bouche. Ça démarre très bien. Certes, on est un peu effrayé de se dire qu’on va endurer ça plus de 2h, mais c’est mis en scène d’une manière tellement spectaculaire qu’on est obligés de prendre la chose avec un minimum de sérieux. ÇA, c’est un plan séquence d’ouverture de plus de 5 mn tourné en FPS jusqu’à ce que le ou la protagoniste, dont on voyait le point de vue jusqu’à cet instant, heurte un miroir et que la caméra reprenne sa place traditionnelle d’acteur à part entière qui observe les faits. Ce principe d’alternance entre les deux points de vue sera répété ad nauseam durant tout le film, je préfère le dire tout de suite pour vous éviter d’être davantage déçu. User d’un tel artifice, à part pour se faire mousser (« Look Ma! No hands! ») n’évoque jamais rien de bon. Si Michael Powell utilisa ce ressort visuel en 1960 pour son chef d’œuvre Peeping Tom, c’était pour servir le scénario et accentuer le malaise de se retrouver dans la tête de son personnage malade. Ici, ça donne juste l’impression atone d’assister à une démo de jeu vidéo. Avec la frustration de ne pas avoir les manettes en main.
Soit le réalisateur a une très mauvaise opinion de sa propre mise en scène (en la reléguant à l’exercice de style boursouflé) et on débouche involontairement (?) sur un encéphalogramme désespérément plat du spectateur, soit c’est le film d’action qui vient de toucher ses limites, à savoir le corps du héros lui-même. Je sais pas vous, mais moi, je suis resté bloqué en 1988 au 25e étage du Nakatomi Plaza Building. Le héros, qu’il s’appelle Edmond Dantès ou bien John McClane, en passant par Riddick ou Tom Joad, traverse des épreuves justement parce qu’il est pourvu d’un corps. Et ce caractère mortel fait toute la différence. Retirer le corps du héros (en l’occurence ici, une héroïne) du cadre revient à gommer l’essence même du transfert dans le récit, du frisson par procuration. Chose qui n’a rien, mais absolument rien à voir avec l’identification du joueur de jeu vidéo. Tout dans l’image du héros est affaire d’imaginaire. Ah, si j’étais !… A contrario, le FPS désamorce tout ce processus fait à la fois d’admiration et de jalousie pour aboutir à une dé-mystification de la figure héroïque. Donc, là, pour la super séquence d’intro qui en jette, c’est un peu raté. Alors, oui, bien sûr, à côté des scènes de combat de The Villainess, les gunfights de John Woo ressemblent à un épisode de l’Homme du Picardie. De ce côté-ci, rien à dire, le deal est parfaitement rempli, à grand renfort de mâchoires pétées, d’os broyés, de gargouillis et de jets d’hémoglobine.
Malheureusement, les déboires du spectateur ne s’arrêtent pas à contempler le réalisateur s’amuser avec son joli jouet visuel. 123 minutes durant, on doit aussi se taper un scénario fait d’un mix indigeste entre Nikita et Kill Bill, revenge movie ultra speedé, teinté de féminisme mal digéré, et mâtiné de scènes mélo un peu gênantes et souvent inutiles. Pour résumer ce que j’ai compris – parce qu’à un moment, je me suis fait un sandwich et j’ai vraisemblablement raté une scène importante – il y’a Sook-hee, une tueuse super-entraînée dont le père a été tué par son meilleur pote quand elle était petite. Elle est sauvée in extremis par un type d’une agence secrète qui devient son mentor pour en faire une super méga tueuse. Ensuite, le mentor se fait dégommer par le méchant qu’on croyait mort, mais en fait là non plus, le mentor n’est pas vraiment mort. Il s’est coupé la moustache (hein?) pour que personne ne le reconnaisse. Du coup, la tueuse super-entraînée, vu qu’entre-temps elle s’est faite doublée par ceux qu’elle croyait être gentils mais qui en fait sont de parfaits salauds (comme ils sont super méchants, ils lui tendent un piège et son petit copain (qui, en fait, avait été embauché pour la surveiller, mais il en tombe amoureux) et sa petite môme trop kawaii sont réduits en sushis, elle décide de tous leur péter leurs grandes gueules de méchants, alors elle conduit une Mercedes super vite en slalomant, assise sur le capot (hein?), elle rattrape le bus braqué par le super méchant et elle les découpe tous, lui et son crew, en petites rondelles à coups de hache. À la fin, il y’a beaucoup de pluie et la police arrive. Mais la super tueuse, elle sourit aux flics, qui sont venus l’arrêter, parce qu’elle s’est vengée.
J’ai beaucoup ri.
C’est fort dommage tout ça. Débarrassé de cette surenchère grotesque de péripéties et d’artifices visuels, le film de Jeong Byeong-gil, pourtant remarqué en 2012 pour le très bon Confession of Murder aurait gagné en concision et en réelle tension. Le moins que l’on puisse attendre d’un film d’action. Moins orgueilleux, tu dois être, petit scarabée.
Sortie uniquement en VOD
Réalisation : Jeong Byeong-gil
Scénario : Jeong Byeong-gil et Jeong Byeong-sik
Avec dans les rôles principaux :
Kim Ok-bin : Sook-hee
Shin Ha-kyun : Joong-sang
Bang Sung Joon : Hyeon-soo
Kim Seo-hyeong : Kwon Sook
Jo Eun-ji : Kim Seon
Lee Seung-joo : Choon-mo
Texte : Jimmy Kowalski
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