
Ce film est une révélation. Sur une époque, un cinéma, un duo, une équipe artistique… Trash, désinvolte, fier, libertaire, pionnier et fer de lance d’une génération et d’un genre. Les premiers films de John Waters explosent à la gueule. Soit tu détournes le visage de dégoût et tu passes ton chemin, soit tu apprécies la liberté de ton et tu en redemandes. Pink Flamingos est un film qui expérimente et devient culte dès sa sortie en 1972.
Cette chronique est dédiée aux curieux.
S’attaquer à un article sur Pink Flamingos, c’est quitte ou double, mais l’idée est de faire découvrir et non de discourir sur le genre. Ceux qui connaissent… connaissent, mais les autres se doivent de connaître. Obscénité, travers divers et variés, le mot d’ordre est clairement le Mauvais Goût. Rien que le pitch du film l’annonce : bataille pour le titre de la personne la plus immonde de la Terre. Vous voilà prévenus !
En fait, je ne vais pas parler du film, car je pense que le visionner avec un regard vierge et loin des spoils de tout poil apporterait davantage en dimension WTF. Par contre, je vais parler du réalisateur et de sa troupe pour vous donner envie de le voir.
Pink Flamingos a été réalisé par John Waters, homme tout frêle, avec de petits yeux noirs pétillants et une moustache très fine. Punk à chemisette propre. 12 longs métrages à son actif. Je le trouve honnête envers lui-même dans sa carrière, tout en se bonifiant cinéastiquement. Avec Female Trouble (1974) et Desperate Living (1977) dans la même veine que Pink Flamingos, on a LA trilogie trash. Avec ce côté semi-amateur, complètement surjoué, image tremblotante et dégueulasse, on en redemande ! C’est expérimental et voyeur, avec un rythme de scénar à l’engrenage parfait et hypnotique. Give me more please, mister Eggman !
Avec Polyester (1981) et Hairspray (1988 – remake avec John Travolta en 2007 – adapté en comédie musicale à Broadway and co), John Waters s’assagit et connait une reconnaissance plus internationale. [Parenthèse nostalgique : j’ai connu ce cinéaste grâce à ma mère, et à Canal + qui, en 1994, distribua à ses abonnés une planchette de pastilles à gratter pendant le visionnage de Polyester (film en « Odorama » et premier film grand public du réalisateur). C’était juste magique, ces relents olfactifs de pizza, de déo chimique et de vieille chaussette. Rhaaaaa ! Les odeurs qui finissent mélangées dans le salon = un putain de bon souvenir ! Merci Maman de m’avoir confrontée au cinéma de genre et du bon goût si tôt ! 😉 ]
1988, disparition de l’acteur-muse Divine à l’âge de 42 ans. Divine, de son vrai nom Glenn Milstead, est un copain d’adolescence de John Waters. Ils ont commencé à sortir et à faire du cinéma ensemble, John prenant sous son aile Glenn, à l’époque, introverti, sensible et souffre-douleur et le poussant à se révéler. Et c’est chose faite via le personnage de Divine : maquillage outrancier, tenue moulante, propos over than hell et provocants au possible. Une star unique est née. Autant répulsive qu’adulée, elle fut sans conteste un personnage emblématique, et toujours dans l’excès. Parallèlement, quand on interviewe Glenn, il est calme, posé, sensible et parle doucement. Je vous conseille le très bon documentaire I am Divine (2013) pour lorgner l’envers du décor de cette actrice et chanteuse hors-norme. J’y ai d’ailleurs appris que c’est Van Smith, maquilleur et styliste de la troupe des Dreamlanders, qui donna son style à Divine (haut du front rasé, dessin de sourcils démesuré…). Maintenant, ce style peut sembler commun quand on regarde les Drag Races de RuPaul*, mais à l’époque, l’extravagance du transformisme n’était pas autant de mise.
Tous les films de John Waters ont été tournés à Baltimore (Maryland). Toutes les catégories de rejetons sont là. Travesti, transgenre, gay, lesbien, les oubliés, les drogués, les alcoolos, les déviants sexuels, ceux qui font de la ventriloquie par l’anus, tout le monde a sa place dans les films de John Waters. La représentation est sans moquerie. Je prends ça autant comme de la provoc’ que comme une grande ouverture d’esprit. Des morceaux de hippie à tendance punk destroy. Les Dreamlanders portent bien leur nom et sont ceux qui gravitent autour de ses films, autant les techniciens que les comédiens (Mink Stole, Mary Vivian Pearce, David Lochary jusqu’à sa mort d’une overdose en 1977). Une famille à l’instar de celle du film Cecil B. Demented (2000), avec cette idée de jusqu’au-boutisme, d’anti-conformisme, de vivre dans le vrai et le mauvais goût.
Pink Flamingos fut une bombe dans le monde du midnight movie, la reconnaissance via le scandale également (amende pour obscénité, etc). Le trio John Waters / Divine / Dreamlanders fut monstrueux de 1968 à 1978. La suite filmo est plus consensuelle, mais son apport à la marge est bienvenu dans le paysage. Il devait y avoir une suite à Pink Flamingos 15 ans plus tard, nommée Flamingos forever, mais Divine est décédée avant. Le script est quand même dispo dans le bouquin Trash Trio, regroupant aussi les scénarios de Pink Flamingos et de Desperate Living.
Enfin bref, voici un article qui ne parle pas du film, plutôt de son contour. Mais je vous le recommande chaudement. Si vous êtes prêts, attention toutefois à vos yeux qui vont sûrement saigner !
* RuPaul’s Drag Race : célèbre émission américaine de concours de drag-queens animée par RuPaul depuis 2009.
Sortie le 17 mars 1972 aux US
Réalisation et scénario : John Waters
Avec :
Divine : Divine / Babs Johnson
Edith Massey : Edie, la mère de Divine
Danny Mills : Crackers, le fils de Divine
Paul Swift : Eggman
Mink Stole : Connie Marble
Texte : Anna B. Void
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