Valhalla Rising (Le guerrier silencieux) – Nicolas Winding Refn

« L’art est fait pour diviser, car si l’art ne divise pas, il ne pénètre pas, et s’il ne pénètre pas, vous ne faites que le consommer. » Nicolas Winding Refn

Valhalla Rising est un film qui divise. Très peu de dialogues, mélange de violence et de contemplatif. Chapitrage prophétique, esthétisme posé dans la photo et les cadrages. Nous sommes loiiiin des clichés de guerriers nordiques et pourtant, le film nous fait côtoyer, vers l’an 1000, Vikings et Écossais, Chrétiens et Païens. Ce film envoûte autant qu’il déroute, car il est atypique.


Pour re-situer le réalisateur : Nicolas Winding Refn est né en 1970 au Danemark. Il est connu pour sa trilogie Pusher et son film Drive, avec Ryan Gosling, qui reçut pas mal de prix dont celui du Prix de la mise en scène à Cannes en 2011. Son dernier film The Neon Demon, sorti en 2016, est une fable fantasmagorique sur la dictature de la beauté. Beaucoup de femmes dans ce dernier film, aucune dans Valhalla Rising, mais ce n’était pas prévu. En fait… peu de choses étaient prévues pour ce film. Refn va suivre son instinct, comme le destin de son personnage principal.

valhalla rising 2

Donc, vers l’an 1000, en Écosse, des chefs de clans font combattre à mort leurs esclaves bien battis. One-Eye, notre guerrier silencieux (joué par Mads Mikkelsen), vainc efficacement et mécaniquement. Puis il s’échappe de sa cage et de ses geôliers en les massacrant. Il est suivi par un p’tit blondinet. Ces deux croisent une troupe de vikings chrétiens qui évangélisent par le sang et le nouveau duo décide de les suivre direction Jérusalem, “the Promised Land”. Errance au cœur du brouillard. Noyade dans la folie puis la mort. On tient là une ambiance bien festive et légère comme un chiffon cake japonais, nan j’déconne, la légèreté ressemblant davantage à une grosse masse d’armes dans la gueule qui anesthésie.

the witch affiche

A l’instar du film The Witch (2015), le traitement du thème principal est à contre-pied de ce qui se fait habituellement. Que ce soit le thema sorcellerie pour l’un ou viking pour l’autre, ces deux films, à l’esthétisme et à la mise en scène audacieux, ont surpris lors de leur sortie en salles : ce n’était pas ce qui était attendu. La bande-annonce et même l’affiche étaient trompeuses. Pour Valhalla Rising, il ne faut pas s’attendre à voir une fresque mythologique ou un cours de civilisation nordique. Nein. Ici, c’est plutôt conte poétique sombre sur réalité historique en mode contemplatif. Nicolas Winding Refn ne s’en cache pas : il n’a pas du tout potassé la culture viking, limite page blanche scénar au premier jour de tournage, donc il n’y a rien à attendre à ce niveau. Le réalisateur a quand même voulu aborder la découverte hasardeuse de l’Amérique par les Vikings avant Christophe Colomb, et cette idée d’impérialisme et de religion comme moyen de conquête. On peut lancer le débat sur ces sujets, mais ce n’est ni le front ni le fond.

Retour sur le guerrier ! À la Sergio Leone, Nicolas Winding Refn voulait un héros sans passé ni avenir, pour lui donner un peu de dimension surnaturelle. Et on ne peut qu’applaudir la performance de Mads Mikkelsen ! Un vrai challenge : son perso n’a ni passif, ni texte sur lequel s’appuyer, ni émotion à exprimer. Bim, débrouille-toi avec ça ! Cinquième collaboration entre Refn et Mikkelsen, chacun connaissant l’autre, c’est donc passé crème. N’empêche que les codes sont redéfinis et que le personnage de One-Eye explose à l’écran. L’enfant (interprété par Maarten Stevenson) le complète en créant une sorte de lien humain et terrestre. Ce duo est hypnotique.

valhalla rising 3

One-eye pourrait être le Diable, ou un chien errant, certains parlent d’une représentation humaine d’Odin. Les interprétations sont multiples. Le scénario s’est construit au fil du tournage. Les conditions de tournage ont été très difficiles : 10 semaines de tournage en extérieur avec une météo merdique, transport de matos ultra pénible à travers les terrains escarpés des Highlands écossais… Est-on obligé de donner un sens à tout ? L’aura de ce film réside aussi dans l’instinct de survie et de création de cette production. Refn étant le fils spirituel de Jodorowsky, la consigne inconsciente serait de se laisser porter, mais de manière exigeante.

valhalla rising 1

La musique distordue et noisy renforce vraiment le caractère oppressant et immersif, autant comme réflexion sur les paysages sombres intérieurs que sur ceux stériles de l’Écosse. Pas de cornemuse, plutôt corne de brume, nappes synthétiques, infrabasse et guitare électrique saturée, ambiance pesante et malsaine. N’ayant que peu de dialogues, l’aspect sonore était donc primordial. Peter Kyed et Peter Peter réussissent ce pari. Quand les dialogues deviennent-ils secondaires face à la musique, à l’ambiance et au personnage central ? Ça me rappelle la musique recherchée de Conan le Barbare (de 1982, avec Arnold Schwarzenegger) et l’instant où Conan prend la parole pour la première fois au bout d’une demi-heure de film pour donner son avis sur le bonheur. Sa réponse : « Écraser ses ennemis, les voir mourir devant soi et entendre les lamentations de leur femme. »

Drop the mic !

Certains verront des langueurs, d’autres seront horripilés ; personnellement, Valhalla Rising fait partie de mes films préférés. Il détend comme l’écoute d’un album d’Obituary. Il faut se laisser submerger sans trop se poser de questions, accepter la violence à l’état brut, les silences et les paysages désertiques… et savourer la poésie sauvage un peu inhumaine, comme ce monticule de pierres et les débats dans la boue.

monticule de pierres
Sortie : 10 mars 2010
Réalisation : Nicolas Winding Refn
Scénario : Nicolas Winding Refn et Roy Jacobsen

Avec dans les rôles principaux :
Mads Mikkelsen : One-Eye
Jamie Sives : Gorm
Gary Lewis : Kare
Ewan Stewart : Eirik
Alexander Morton : Barde
Maarten Stevenson : Are
Andrew Flanagan : Duggal
Douglas Russell : Olaf
Gary McCormack : Hauk
Texte : Anna B. Void

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire