Rencontre avec MATT TUCK de BULLET FOR MY VALENTINE

Tout d’abord,  une question très basique : pourrais-tu nous dire ce que le mot « gravité », titre de ce nouvel album, t’inspire ?

Matt Tuck : Ça me fait penser en tout premier à ce sur quoi nous avons travaillé ces douze derniers mois, évidemment, à l’album. Mais en lui-même, pour moi le mot n’a aucun sens particulier, si ce n’est celui de la chanson qui s’y attache, qui traite de la chute plutôt.

Oui, et justement, cette chanson dans l’album permet de s’interroger sur la réalité du terme : on ne sait pas si le personnage qui parle est éveillé, ou en train de rêver…

Matt Tuck : C’est ça, et on peut tous saisir le concept de gravité, ce n’est pas pour autant que le sens littéral serait simple à expliquer. Il y a une sorte de concept « d’entre deux » sous-jacent.

Je me souviens d’avoir lu quelque chose où tu disais, à l’époque de la sortie de Temper Temper, que le style du groupe était profondément divisé entre le hard rock et le metal, et que tes parties de guitare notamment tendaient plutôt vers le premier genre. Est-ce que cette affirmation est plutôt confirmée ou réfutée par le nouvel album ?

Matt Tuck : Il faut dire que je ne réfléchis pas outre mesure là-dessus, et que cette fois, on avait envie de quelque chose d’un peu différent. Il me semble que les titres, musicalement parlant j’entends, sont cette fois beaucoup plus simples comparé à un tas de choses que nous avons pu faire. Le défi était de porter l’accent sur les parties vocales tout en incorporant des couches et des couches d’instrumental, et c’est un procédé assez dingue dans sa complexité. Mais il est vrai qu’on tente toujours de rendre l’album suivant bien distinct du précédent, Temper Temper se définissant comme un album de hard rock classique, Venom rejoignant plutôt le côté metal. Celui-ci porte une visée plus contemporaine, un aspect plus moderne.

D’ailleurs, quand on écoute ce nouvel album, à mon sens quelque chose retient particulièrement l’attention : les chœurs.  On a presque l’impression d’entendre un public chanter. Est-ce que la portée éventuelle d’un titre sur scène entre en compte lors de l’écriture de celui-ci ?

Matt Tuck : Pas quand on l’écrit, mais lorsqu’il se développe. On confère aux titres un sentiment familier, et qui plus est en ce qui concerne cet album, grâce à la simplicité dont je te parlais. Il est ainsi plus aisé de gonfler les titres, et de les rendre faits pour les arènes ou les festivals, d’où cette unité de voix qui chantent avec. C’est une référence à ce sentiment primaire qui apparaît lorsque les gens se réunissent et convergent grâce à un même titre pendant l’expérience à la fois personnelle et collective qu’est un concert.

Sur ton compte Instagram, tu as relayé quelques chiffres : soixante-et-un pays, huit millions de fans, neuf millions d’heures d’écoute. On parle ici de Spotify. Certains groupes rechignent encore à partager leur musique sur de telles plateformes, et s’appuient encore sur des supports plus old school. Quelle est ton opinion à ce sujet ?

Matt Tuck : Maintenant que ça a pris les proportions dont on est témoins, que c’est devenu ce qu’on en connaît aujourd’hui, j’en apprécie pleinement les avantages. Il est vrai que je n’étais pas forcément à fond là-dedans il y a quelques années. Après tout, il y a encore des gens qui achètent des disques s’ils en veulent, mais les plateformes d’écoute de musique en ligne sont devenues un outil de découverte avant tout. Et ces outils sont perfectionnés, il ne s’agit pas juste de trouver l’artiste qu’on souhaite entendre au moyen d’une barre de recherche, mais on peut retrouver des titres dans des playlists, et la musique s’incorpore à une grande variété de supports au sein même de l’application. J’étais presque anti avant, mais finalement, la diversité qui en émane permet de ne jamais s’ennuyer ou se lasser quand on écoute de la musique, pas vrai ? Et en prime, ça a un aspect positif sur les groupes, d’une certaine façon. Bien sûr, il y a des côtés moins cool pour nous, on ne va pas se mentir. Au final, on n’a plus qu’à se concentrer sur le travail préparatoire de la tournée, aller aussi à la rencontre de ces auditeurs, et les convaincre également.

En parlant de convaincre, on constate que tu es plutôt actif sur les réseaux sociaux, et plus particulièrement Instagram. On y retrouve des photos live, des moments backstage, des relents d’atmosphère de concerts et de répètes. Et puis il y a cette photo de toi qui fait ta lessive aussi. Bref, quel est ton approche de ce genre de communication, sachant que tu as comme beaucoup vécu la transition entre l’avant et l’après ?

Matt Tuck : Oui, tu as raison, et c’est un peu comme le deal de Spotify, quand on ne maîtrise pas, impossible d’y trouver un intérêt d’emblée. Au départ je n’y postais pas grand-chose, et j’aurai toujours du mal à montrer l’intégralité de ce qui se trame en coulisses, contrairement à ce que d’autres utilisateurs font. Parfois je n’actualise pas ma page pendant plusieurs semaines parce que je juge que ce que je fais n’a pas d’intérêt pour les followers, je ne souhaite pas qu’ils soient forcément au courant de tout. Je ne vais pas non plus mettre des photos de mes courses, tu vois ? Au contraire, lors des tournées, ça donne des possibilités formidables, la communication est d’autant plus directe que les images apparaissent au moment où se passent les choses. En retour, on reçoit beaucoup de retours, l’affection que portent les gens qui te suivent se matérialise elle aussi de façon directe. C’est cool aussi de leur donner un accès privilégié à un contenu qu’ils participent à créer.

On trouve sur ton profil une vidéo de Margot Robbie qui réagit au spectacle d’une vidéo de vous sur scène, lui dédiant en direct la chanson « Tears Don’t Fall », ça se passe sur la chaîne BBC One. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

Matt Tuck : (rires) Alors ! Margot a mentionné le nom du groupe pendant une émission chez Jimmy Fallon aux Etats-Unis, et a évoqué son intérêt pour un tas de groupes, elle a parlé de Slipknot, de ce qu’elle écoutait en grandissant, etc. Du coup, on en vient à cette émission sur BBC One qui passe à l’heure du petit-déjeuner, et qui fait pas mal d’audience, qu’ils appellent « Heartbreak Monitor » : l’idée derrière ce programme est de faire venir des célébrités, et d’essayer de les faire flipper ou de les faire réagir de toutes sortes de façons pour enregistrer leurs réactions. Le plateau ressemble à une sorte de chambre d’hôpital, et la mise en scène tend parfois à les embarrasser un petit peu, le concept peut jouer sur leur corde sensible, souvenirs d’enfance, et tout ça. C’était l’occasion parfaite pour nous de jouer un rôle là-dedans. C’était vraiment génial.

Pour en revenir à l’album, j’ai perçu quelque chose dans les paroles de « Not Dead Yet » que j’aimerais te faire commenter pour approfondir : tu parles de « constuire un nouveau futur », « ne pas être une victime ». Est-ce là un message, par exemple à l’attention des jeunes générations, ou plutôt une introspection livrée à travers la musique ?

Matt Tuck : Oui, il faut dire que cela rejoint un peu ces deux perspectives à la fois ! Il y a beaucoup d’éléments dans les paroles de cet album qui font écho à des évènements récents de ma vie privée, sur quoi je n’ai pas de mal à me confier dans ces paroles. Ces trois dernières années, entre le relationnel et tout ce qui en a découlé, mes pensées ont été pas mal occupées par du négatif. Une grande partie des textes est dominée par ce phénomène, et à la fois, je ne voulais pas non plus me mettre au premier plan. Il s’agissait plutôt d’utiliser cet état, car d’une part ça m’a beaucoup aidé, et d’autre part, comme on dit souvent, il fallait que ça sorte. Tu parles ici de « Not Dead Yet », et même si ça peut sonner un peu gnan-gnan, c’est une chanson qui parle d’espoir, et de surpasser des épreuves grâce à des affirmations positives. En effet, je l’ai voulu au départ comme une sorte de message positif à moi-même initialement, mais ça arrive à tout le monde, tout le temps. L’album dégage un mélange d’ondes et de sentiments contraires, et cette chanson fait partie de ce qui apporte un peu de contraste, un peu de lumière si tu veux.

Dans « Gravity », il semble que tout porte à croire qu’il existe quelque chose qui empêche de tomber, justement, l’instrumental retarde la chute tout comme ce dont tu parles en chantant. Forcément, l’auditeur a envie de savoir : c’est quoi, ce truc qui permet de ne pas subir la gravité ?

Matt Tuck : La métaphore de la chute sert à décrire ce qui arrive lorsqu’on s’assujettit à nos émotions, c’est difficile à expliquer, mais c’est en tous cas un mécanisme physique assez difficile à contrer. C’est d’ailleurs la première chanson de l’album qui a été finie, d’où le fait que le titre en soit devenu celui de l’album également. Tout le reste de l’album découle de ce titre, et je crois que la réponse à ta question se trouve dans le reste de ce qu’on a écrit par la suite pour ce disque.

Il y a de très gros contrastes au sein de l’album, si on l’écoute d’une traite, et je pense surtout à deux chansons : « The Very Last Time » et « Piece Of Me ». Comment ces deux-là se sont-elles retrouvées côte à côte, et qui prend la décision de créer la tracklist en général ?

Matt Tuck : Tout en progressant dans le processus d’écriture des chansons, déjà une playlist se forme qui vise à créer un équilibre. Aucun groupe n’envisage cet équilibre de la même façon, certains albums présentent une sorte de climax, tandis que d’autres alternent et ricochent sans cesse sur des antithèses. Je ne me souviens plus exactement de l’alternative qui aurait pu remplacer l’enchaînement entre ces deux chansons, mais il est vrai, « The Very Last Time » a beaucoup de composantes éléctroniques, et la dynamique de « Piece Of Me » paraît plus massive en réponse à la précédente. Pour moi, c’est très important de créer ce genre de moment dans un album, les choses s’entrechoquent parfois et ce n’est que pour mieux les percevoir.

Quelles sont les titres de cet album qui sont à retrouver lors des prochains concerts prévus, et pourquoi ?

Matt Tuck : Ah, alors ça dépend : au moment de la saison des festivals, seulement trois titres environ sont sortis, ça dépend donc si on parle de la période qui précède la sortie de l’album, ou de la suite. Pour les festivals, je pense à « Over It », « Letting You Go » et « Piece Of Me ». Par la suite, j’espère que de plus en plus de titres de cet album pourront faire leur apparition dans la setlist, car on est très contents de ce que ça a donné, et on espère pouvoir le jouer encore et encore.

À ce propos, si on consulte le site internet du groupe, on peut déjà noter une riche saison de festivals, et tout un tas de dates américaines. Est-ce qu’une tournée headline en Europe serait éventuellement au programme ?

Matt Tuck : Oui, on en parle, cela fait partie des conversations en ce moment. Ce serait une formidable étape à considérer !

 

J’ai pu vous voir jouer au Hellfest par le passé, et on vous y retrouve cette année : si on fait un peu attention au public qui se trouve devant le groupe, on remarque un échantillon de quasiment chaque tranche d’âge. Comment fait-on pour toucher une si large audience ?

Matt Tuck : On est stupéfaits et très content de ça. Je pense que ça passe par l’écriture, tout d’abord, pour tout titre il faut que ça résonne dans les oreilles de chacun individuellement comme collectivement. Ensuite, si un son heavy se lie à une bonne mélodie vocalement, j’imagine que c’est comme ça que tout un chacun y trouve son compte. C’est une recette qui paraît facile dans ma tête, mais c’est constamment un défi de tendre à correctement la réaliser. Il faut que ça soit catchy, aussi, d’ailleurs sur cet album on a carrément travaillé sur des titres afin qu’ils soient presquent dansants. Si le public bouge, c’est gagné !

C’est le premier album sur lequel joue Jason Bowld, votre nouveau batteur. Tout se passe comme sur des roulettes pour lui ?

Matt Tuck : Carrément ! Il est incroyable. On le connaît depuis très longtemps, il a joué avec nous sur certaines tournées auparavant. Son groove et sa dynamique sont des choses que nous n’avions jamais eues dans le groupe, et il a tout un répertoire de qualités et de compétences. Il peut tout jouer, ça va de la samba aux rythmes latinos, en passant par le death metal, peu importe. Il a étudié ça toute sa vie, et enseigné son instrument aux autres, c’est vraiment quelqu’un qui sait ce qu’il fait, c’est vraiment un nerd. C’est génial de l’avoir, il n’a eu peur de rien sur cet album, pas même d’inclure de l’électronique. Il assure.

Avec les années, vous avez su conquérir à la fois des publics de festival, et rassembler vos fans de façon massive pendant des tournées headline. Si jouer devant un public qui n’est pas acquis est forcément un défi, est-ce que tu te rappelles de souvenirs difficiles sur scène pendant ce genre d’occasion ?

Matt Tuck : Oh oui, je me souviens de moments assez douloureux. Cela remonte à la tournée en première partie d’Iron Maiden aux Etats-Unis (tournée à partir de 2006, ndlr). C’est très compliqué de contenir un public qui veut presque ta mort (rires) ! Non, sans rire, on se faisait parfois huer avant même de rentrer sur scène, je t’assure. On venait de sortir notre premier album (The Poison, en 2005, ndlr), et ça a été une sorte de test qui ne nous aura pas freinés pour autant. Ce type d’expérience t’endurcit considérablement, et je reste très honoré de l’avoir fait. Cependant, je ne suis pas sûr d’avoir envie de revivre ça. On était beaucoup plus jeunes, et j’avais quelque part beaucoup aimé ce sentiment de répondre à la critique, et faire face. À la fin de chaque set, certaines personnes dans le public commençaient à rentrer dedans, mais les premières vingt-cinq minutes étaient les pires. Ça a été une vraie leçon nécessaire, à mon avis.

Vous avez tourné, ou même simplement partagé la scène avec une foule de gens. Si tu devais choisir de jouer ou rejouer avec un artiste ou un groupe, à qui penserais-tu ?

Matt Tuck : Je dois dire que toutes les opportunités que nous avons saisies jusqu’à présent m’ont comblé, alors à choisir, je ne sais pas. Peut-être Metallica, si on pouvait les rejoindre pour jouer, je pense qu’on serait capables de tout annuler, tout lâcher et foncer ! On a déjà eu ce privilège, mais ce serait carrément à refaire.

Une toute dernière question, celle-ci est carrément bizarre, mais on aimerait savoir : ce serait quoi ton animal spirituel ?

Matt Tuck : Mon animal spirituel ? Oh ! Une sorte de chat. Ou même une panthère ou un jaguar si je peux étoffer. Je crois que ce serait un truc du genre !

 
Propos recueillis par Anne-Sophie.

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