DOGMAN – MATTEO GARRONE

Je vous ai déjà parlé de mon aversion pour les chats. Contrairement à ces horribles bestiaux dénués d’une quelconque empathie – le propre des sociopathes – c’est animé d’un indéfectible amour que je fréquente la race canine, qu’ils soient petits, gros, hargneux ou encore affables. J’aime les chiens d’un amour universel et je pense qu’ils me le rendent bien. Pourtant, dès la première image de Dogman, la peur m’a pris. Et dans le nouveau film de Matteo Garrone, quand cette peur a la gueule d’un American Staffordshire furieux, quand elle vous tient, mâchoire verrouillée, elle ne vous lâche plus.


En 2008, Matteo Garrone avait déjà démontré avec le coup-de-pied-dans-la-tronche Gomorra que le cinéma italien, qu’on disait moribond depuis la retraite en pente douce de Nanni Moretti, le formalisme surévalué de Paolo Sorrentino et la mort (la vraie) de Vittorio Taviani, était peut-être en train de renaitre de ses cendres. Phénix ! Plus que son cinéma, c’est toute la société italienne qui n’a de cesse de mourir et de renaître chaque fois qu’on la croit anéantie, sous les coups de la gangrène mafieuse, de la corruption financière, de la réponse populiste et fascisante des politiques à la lente dissolution du pays. Dans cette Italie apocalyptique, dévastée, vit Marcello. Toiletteur pour chiens dans une station balnéaire ravagée par le chômage et la précarité, cet homme bon et doux voit sa vie basculer le jour où son ami Simoncino sort de taule. Très vite, l’homme, ancien boxeur au comportement d’autant plus imprévisible qu’il est perpétuellement sous coke, fait vivre un enfer aux habitants. Entraîné malgré lui dans le sillage de la brute, Marcello devient son souffre-douleur.

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Dogman. L’homme aux chiens. L’homme-chien. Avec ce nouveau film, aux décors qui suintent la tragédie et à la photographie qui rappelle parfois les peintures de Goya, Matteo Garrone choisit un ton symbolique, et donne à la confrontation de ces deux personnages une tournure quasi mythologique. Bon jusqu’à en être aveuglé, Marcello est l’incarnation de la condition humaine. Face à lui, le Destin, matérialisé par les traits de Simoncino, arrache tout sur son passage. Toute la force exceptionnelle du film réside dans cet improbable mélange, héritage à la fois des grandes heures du néo-réalisme période Rosselini et des œuvres plus allégoriques des frères Taviani. Dans une réalité où les curseurs émotionnels sont poussés dans le rouge, ce conte sombre tient en haleine et n’épargne personne.

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Loin d’une démarche désabusée, le réalisateur fait de son film une arme lourde, massive et montre, sans jamais tomber dans le sordide, les ravages de la violence sur les hommes. Articulé comme un revenge movie, Dogman fait partie de ces films où l’on sait dès le début que le sang va couler. On est terrorisés à l’idée que le gentil se fasse allumer et on brûle secrètement d’envie que le connard se prenne une bastos. En libérant ainsi chez le spectateur les penchants les plus basiques, les plus vils de l’âme humaine, le film de Garrone pose un constat alarmant sur la société italienne. À force de docilité, à force de cette servitude volontaire, la colère va finir par exploser dans les couches les plus basses de la population.
Pour interpréter les deux hommes, ainsi que la plupart des figurants, Garrone a convoqué ce qu’on appelle familièrement des “gueules”. Et bien lui en a pris, car aussi bien Marcello Fonte (Marcello) qu’Edoardo Pesce (Simoncino) crèvent littéralement l’écran, l’un affichant une ténacité absolue face à la bêtise et à la méchanceté, l’autre, corps cinématographique filmé comme une bête cauchemardesque.

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Film choc, Dogman brille d’une beauté sombre sublimée par une direction de caméra exemplaire. Rarement ai-je vu d’aussi beaux travellings ailleurs que dans ce film. Et rarement ai-je été cloué à mon siège par un tel dosage méticuleux de terreur psychologique latente et de violence éruptive.
À la filmographie déjà impressionnante du réalisateur italien vient donc s’ajouter un nouveau diamant noir, joyau de maîtrise du récit et de beauté de l’image.

Sortie le 11 juillet 2018

Réalisation : Matteo Garrone
Scénario : Ugo Chiti, Matteo Garrone et Massimo Gaudioso

Avec :
Marcello Fonte : Marcello
Edoardo Pesce : Simoncino
Alida Baldari Calabria : Alida
Nunzia Schiano : la mère de Simoncino
Adamo Dionisi : Franco
Francesco Acquaroli : Francesco
Gianluca Gobbi : le commerçant de quartier

Texte : Jimmy Kowalski

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