
La Roya est un fleuve prenant sa source au col de Tende, en France, et se jetant dans la Méditerranée à Vintimille (Italie), bien connu aujourd’hui par sa vallée encaissée que tentent de traverser les migrants d’Italie vers la France, espérant finir leur course à Nice, afin d’y demander l’asile, ou trouver une terre d’accueil dans le nord de l’Europe. Le long de cette vallée, des bénévoles (Cédric Herrou en est le plus connu) et des ONG comme La Roya Citoyenne tentent par leur solidarité active et malgré les obstacles de leur porter secours (*).
Les deux auteurs ont passé l’été 2017 d’abord à emprunter le dangereux “Pas de la Mort“, puis à remonter la vallée depuis la Méditerranée pour voir, écouter et en donner un témoignage par le dessin et les rencontres notées dans un carnet qu’ils partagent maintenant avec nous.
Ces migrants sont en majorité des hommes jeunes, car il est difficile pour une femme de quitter la Lybie. Ces migrants ne sont pas un concept général, ou un “flux” : ils ont un nom : Bashar, Mohamed, Adam Sidik… un visage souriant ou épuisé, des yeux durs, tristes ou fuyants, une histoire, des rêves de futur. Ils ont échappé à la famine, à la dictature, à la discrimination, à la guerre. Ils ont tout perdu et se battent pour pouvoir se sentir chez eux dans un pays où leurs droits seront respectés. Les auteurs font les portraits de migrants, dessins qu’ils échangent contre quelques paroles, et ceux de bénévoles, et partagent avec nous leurs interrogations, leurs émotions, leurs indignations.
Aujourd’hui notre monde est en manque d’humanité. “Humains”, les migrants, nos frères et sœurs. “Humains”, les aidants, pour qui c’est une évidence d’être ici. Et cette question lancinante : Pourquoi pour moi c’est possible de traverser la frontière, et pas pour un Afghan, un Soudanais, un Érythréen, un… ?
Comme toujours superbes dessins au pinceau fin de Baudoin (76 ans), auteur de renommée mondiale, et de Troubs. Avec un avant-propos lumineux de J.M.G. Le Clézio, ami niçois de Baudoin de longue date.
Un livre beau, fort, touchant et indispensable. Un témoignage humain.
(*) Même si le Conseil Constitutionnel vient de supprimer pour raison de “Fraternité” le délit de solidarité (aide matérielle aux migrants), aider un migrant à traverser la frontière ou à circuler reste répréhensible devant la loi.
Bande-son pour accompagner la lecture : Led Zeppelin : Immigrant Song (1970) ; Bernard Lavilliers : Croisières méditerranéennes (2017), Où aller, où ? et Ouvrez les frontières (2007) ; mais en fait toutes les chansons de Tiken Jah Fakoly ; Meiwei : Je suis sans papier (2004). Et enfin HK & Les Saltimbanks : Citoyen du monde (« Par-delà les frontières, la Terre doit appartenir à tous ou à personne ! », 2011).
Edmond Baudoin est né en 1942 à Nice. Il débute sa carrière dans la bande dessinée à près de quarante ans, lorsqu’il publie ses premiers livres en 1981. A partir de ses quarante ans, Baudoin commence à voyager en France et dans le monde. De ses voyages il rapporte des histoires, qui l’inspirent ensuite pour écrire des bandes-dessinés. Son style d’avant-garde aussi bien pour son dessin que pour son écriture, lui vaut d’être publié et reconnu par le monde la bande dessinée. La consécration vient en 1992 lorsqu’il reçoit au festival d’Angoulême le prix du meilleur album pour Couma Aco (Comme ça), où il évoque les hommes qui vivaient dans l’arrière-pays niçois, et surtout son grand-père, enfant de l’assistance publique, vivant comme un vagabond, dormant à la belle étoile et ne prenant qu’un bain annuel. Rabatteur pour la chasse et près de la nature, c’était aussi un bâtisseur de murets pour retenir les bandes de terre cultivables dans ce pays pentu.
Baudoin sort presque simultanément Ballade pour un bébé robot, scénario écrit avec le mathématicien Cédric Villani chez Gallimard.
Troubs, ou Troub’s, de son vrai nom Jean-Marc Troubet, est lui aussi un grand voyageur, et a déjà collaboré avec Baudoin pour des reportages dessinés (Viva la vida sur la terreur au quotidien et les massacres de femmes à Ciudad Juárez, la ville la plus meurtrière du monde sur la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, Le goût de la terre sur les conditions de vie des paysans colombiens). À 49 ans, il a déjà derrière lui une foultitude de publications, dont Meuh ! (au pré des vaches), cité ici parce que j’aime le titre !
Texte : Christian Renard
Titre : Humains (La Roya est un fleuve)
Auteurs : Baudoin et Troubs
Editeur : L’Association (collection Eperluette), 2018
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