INCREDIBLES 2 (Les Indestructibles 2) – BRAD BIRD

À chaque sortie d’un nouveau film des studios Pixar, c’est toujours la même question : « Vont-ils réussir à faire mieux que la dernière fois ? » Dans le cas présent, la question est doublée de son corollaire : le deuxième volet des aventures de la famille Parr a.k.a. Les Indestructibles sera-t-il mieux que le premier ? En revanche, pour chaque nouvelle production du “petit” studio, initialement simple branche informatique de Lucasfilms créée en 1979 pour produire l’ordinateur PIC devenue LA référence mondiale des films en images de synthèse, une chose est sûre : c’est un événement majeur sur la planète animation.


Entendons-nous bien, car je vois déjà les hordes de détracteurs de l’American way of film mainstream et politiquement correct sortir les branches de houx pour me flageller (je ne sais pas pourquoi j’ai pensé aux branches de houx, mais là on s’égare), Pixar est certes produit et distribué par Mickey, désormais actionnaire majoritaire, mais ce petit studio fait penser à un autre petit groupe, celui-ci de gaulois bagarreurs et sympathiques, qui résiste encore et toujours à l’envahisseur romain. Vous suivez ?
Même si depuis Toy Story, véritable pierre philosophale de l’animation moderne, le studio renvoie plus l’image de premier de la classe que du nerd bizarre mais hyper-créatif à la Tim Burton, il n’en reste pas moins que chaque film, et Les Indestructibles 2 est impeccable sur ce point, balance aussi pas mal de poil à gratter sur les us et coutumes de nos cousins d’Outre-Atlantique. En effet, sous le vernis somptueux d’une animation qui parfois dépasse l’entendement – à maintes reprises, l’hyperréalisme du rendu visuel m’a plongé dans la perplexité et l’émerveillement genre « p’tin, mais comment peuvent-ils faire ça ?!? » – le scénario cousu main de Brad “Ratatouille” Bird fait aussi mouche et donne au film une modernité et une pertinence qui n’a rien à envier aux films indés étiquetés Sundance héritiers de la contre-culture post-hippie.

Au risque de me répéter, le cinéma, même mainstream, reste un cadre. Une ouverture au débat sur la société. Et même si c’est un peu facile aujourd’hui de prôner l’émancipation de la femme par l’empowerment maintenant que l’omerta a (plus ou moins) pris fin à Hollywood suite au grand nettoyage de l’affaire Weinstein, les projecteurs sont bel et bien totalement braqués sur les personnages féminins à commencer par Helen/Elastigirl, la mère, et Violet la fille, en plein désarroi amoureux. Viennent ensuite tous les seconds couteaux (les secondes lames, devrais-je dire) de l’inénarrable Edna Mode (hommage hilarant à la célèbre costumière Edith Head qui reçut à elle seule 8 Oscars durant sa carrière) jusqu’au personnage fascinant d’Evelyn Deavor, condensé à la fois de force et d’effacement, probablement l’étude de caractère la plus intéressante de tout le scénario. Force est de constater qu’on prend un malin plaisir depuis 2/3 ans à voir surgir de passionnants personnages féminins dé-polarisés, voire dé-genrés (comme s’il n’en existait pas auparavant, ou du moins depuis la disparition des actrices du Grand Hollywood de la trempe de Lauren Bacall ou Katharine Hepburn) au détriment des sempiternels héros contemporains toutes mâchoires serrées. Et les hommes dans tout ça donc ? Eh bien, les hommes deviennent d’attendrissants faire-valoir et réalisent, tel Robert/Mr Indestructible que, pendant qu’il sauvait le monde avec plus ou moins de réussite et beaucoup de frais pour les contribuables, le métier de mère était bien un vrai rôle d’héroïne du quotidien… Le scénario de Brad Bird est donc foisonnant, faisant se catapulter dans un montage parallèle de haute voltige les péripéties spectaculaires d’Elastigirl et les déboires pathétiques de Robert, redevenu un père complètement dépassé par les pouvoirs polymorphes imprévisibles du petit dernier, les élans gaffeurs du second et l’entrée dans l’adolescence de l’aînée. Calibré à la fois pour les jeunes et pour les adultes, personne n’est en reste et le film divertit par son lot de poursuites, de combats et de blagues aussi bien qu’il stimule souvent par le degré de sagacité dont fait preuve une nouvelle fois Brad Bird en tant que dialoguiste.

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Pourtant, si le thème central du féminisme donne une couleur quasi politique au film, c’est dans le personnage du super-vilain The Screenslaver (l’Hypnotiseur (sic) en français, merci la traduction simpliste qui passe les outils technologiques à la trappe…) qu’il faut sans doute aller chercher la véritable actualité du propos du film. En effet, cet être, considérant les super-héros comme une menace sur l’indépendance de l’humanité, la rendant totalement irresponsable et démissionnaire face à ses choix, tente de contrecarrer les tentatives de la famille Parr pour sauver leurs congénères. Drôle de discours donc, pour un film de The Walt Disney Company, détentrice des droits de distribution de tout l’univers Marvel. Un sacré poil à gratter en effet, quand on sait que depuis 2008, pas moins de 17 films de super-héros ont littéralement envahis les écrans mondiaux et fatalement les écrans US. Est-ce un hasard si les États-Unis laissent, depuis 18 mois, se jouer une véritable farce à la Maison-Blanche en élisant un fantoche arrogant à la tête de la première puissance mondiale ? Est-ce un hasard si les relents nationalistes empuantissent de part et d’autre la vieille Europe ? Est-ce à dire que Pixar serait une sorte de trublion contestataire au sein même du monstre politico-financier Disney ? Toujours est-il que le film ne laisse aucune ambiguïté sur le caractère complètement schizophrène des médias super-connectés et a fortiori du cinéma américain. Derrière la énième apologie du super-humain, on perçoit donc la volonté du réalisateur de donner du grain à moudre à un jeune public afin de stimuler son libre-arbitre.

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Les slogans humanistes sur le noyau familial (les parents, ces héros !) et la communication inter-générationnelle (il faut donner aux enfants leur part de responsabilités) sont bien argumentés même si un peu schématiques, et on ne peut que se réjouir, comme à chaque sortie de blockbuster intelligent à l’attention du jeune public, de l’acuité et de la maturité du propos.
Une suite des aventures de la famille Parr ? Oui, le générique de fin ne laisse que peu de doute. Et oui aussi, faut-il le rappeler, un-film-s’arrête-après-le-défilement-des-crédits, ne serait-ce ici que pour apprécier le score énergique et multiforme de Michael Giacchino et le splendide hommage visuel très fifties aux génériques du maître Saul Bass.
Les lumières sont rallumées, maintenant vous pouvez retourner à vos activités humaines.

Réalisation et scénario : Brad Bird
Avec les voix de :
Craig T. Nelson : Robert Parr / Mr Indestructible
Holly Hunter : Helen Parr / Elastigirl
Sarah Vowell : Violet Parr
Huck Milner : Dashiell « Dash » Parr / Flèche
Samuel L. Jackson : Lucius Best / Frozone
Brad Bird : Edna Mode
Jonathan Banks : Rick Dicker
Bob Odenkirk : Winston Deavor
Catherine Keener : Evelyn Deavor
Sophia Bush : Voyd
Isabella Rossellini : l’Ambassadrice
John Ratzenberger : le Démolisseur
Texte : Jimmy Kowalski

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