JURASSIC WORLD: FALLEN KINGDOM – JUAN ANTONIO BAYONA

Pour faire court, on peut résumer Jurassic World: Fallen Kingdom en deux mots : surenchère et expiation. Deux concepts qui amènent tristement la franchise initiée par Steven Spielberg en 1991 avec le film Jurassic Park vers les limites d’un cinéma de l’imaginaire enfantin souillé par la machine hollywoodienne. Bien évidemment, aucune surprise, aucune stupéfaction dans le déroulement de cette saga qui n’en finit pas de mourir dans un déluge combiné d’effets spéciaux et d’animatronics plus vrais que nature. Le deal est néanmoins conclu, le cahier des charges d’entertainment étant parfaitement respecté par Juan Antonio Bayona, faiseur d’images efficace. Cependant, devant un scénario en roue libre qui rebat ad nauseam les mêmes cartes, le spectateur un peu critique se trouve vite devant un film au récit indigent.


Life finds a way, blablabla. La vie finit toujours par trouver un chemin. 25 ans que le docteur Ian Malcolm, personnage interprété par Jeff Goldblum, a prononcé cette phrase. 25 ans donc que personne ne l’écoute s’égosiller devant tant de cloneries (désolé, j’étais obligé). Devenu la grosse punchline de la franchise, sa marque de fabrique, cette phrase expurgée désormais de tout sens n’est plus, au mieux, que le plus long running gag de l’histoire du cinéma, au pire la justification récurrente du film et de son éventuelle suite. Le film en soi n’a rien de déplaisant : ça court, ça crie, ça explose, jeux d’ombres, gros plan sur la pupille de tel ou tel carnosaure, bluette (qui hésite mollement entre virilisme conscient et féminisme badass) entre le héros et the-damsel-in-distress, l’éternel héritage spielbergien entre la culture pop et le business, entre l’écologie et l’avidité, entre l’humanisme en Converse et les costumes de chez Brooks Brothers. Soit. Mais n’est pas Spielberg qui veut, si tant est que le réalisateur, désormais producteur exécutif depuis le troisième volet, ait encore quelque chose à dire de plus qu’il n’ait déjà dit depuis le début (cf le calamiteux Ready Player One). Jurassic World: Fallen Kingdom est un objet creux, un copie carbone qu’on voudrait déguiser en original sous prétexte de véracité visuelle accrue par la technologie. Et l’imagination dans tout ça ?

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Déjà brisée dans le premier film par les prouesses technologiques d’Industrial Light & Magic et des studios de Stan Winston, les multiples suites n’ont fait que réduire toujours un peu plus la marge de manœuvre du spectateur dans sa capacité d’émerveillement. Ne parlons pas du synopsis qui en dit long sur le manque singulier d’inventivité des scénaristes : 3 ans après la destruction du parc Jurassic World, le monde perdu d’Isla Nublar se retrouve une nouvelle fois sous le règne des dinosaures livrés à eux-mêmes après le départ des humains. Lorsqu’un volcan jusqu’à présent inactif menace de détruire l’île, Owen le dresseur de raptors et Claire, désormais militante pro-dino se lancent dans une mission de la dernière chance pour tenter de sauver 11 espèces. Et là, c’est le drame ! Roulements de tambour. Poum Tchak ! Arrivés sur l’île, ils découvrent que le fondé de pouvoir du mécène de l’expédition a des projets plus lucratifs et, bien évidemment, dangereux au point de ramener l’espèce humaine à l’ère jurassique. Bigre. Et bien évidemment, personne n’avait rien vu venir. Le mécène est un gentil vieux gâteux qui était pote avec John Hammond, l’autre gentil vieux gâteux au début de Jurassic Park. Je vous laisse imaginer la suite. TOUS les méchants se font mâcher, croquer, déchiqueter les uns après les autres et TOUS les gentils s’en sortent in extremis grâce à leur ténacité, leur sens moral et leur respect de la vie. Eeeet les dinosaures prennent le grand large. Bâillements avec haleine de pop-corn assurés. On peut donc présumer que le seul détail original du prochain opus, puisque prochain il y’aura, sera le titre genre Jurassic World: Re-genesis ou une imbécillité dans la même veine revivaliste.

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Ce qu’il y a pourtant de rageant, passé le vague ennui feutré qui se dégage de la vision du film, c’est qu’à un moment, un seul tout petit moment, lorsque le super-méchant machin-saure court après la gentille gamine, on sent surgir une émotion, quelque chose de primitif, un souvenir qui vient du tréfonds de l’enfance, la vraie peur du monstre, lorsque calfeutré-e dans le lit, le moindre bruissement nous faisait sursauter et trembler de terreur à l’idée de nous retrouver face à un monstre. C’est l’éternel combat entre la A-production digitalisée face aux séries B (jusqu’à Z). Avec 3 bouts de ficelle et beaucoup de suggestion, la supercherie devient un art. L’art de la mise en scène replacée du point de vue de l’action et non de l’observation. De simple spectateur dont l’intelligence est mise à bas par un dispositif ultra-démonstratif, on peut devenir alors partie prenante de l’intrigue en laissant notre imaginaire reprendre les manettes. Mais 5 minutes de pur cinéma pour plus de 2 heures de CGI, ça fait un peu mince pour sauver Jurassic World: Fallen Kingdom du naufrage annoncé. Enfin, je dis ça, hein, ça va sûrement cartonner dans les multiplexes.

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Jurassic Park, rebooté en Jurassic World, se réduit au final à un problème de mémoire sélective. Ou plus prosaïquement, à un souci de rentabilité crasse. Symptomatique d’une époque où compte plus le résultat rutilant que l’acte de création dans ce qu’il a de riche et complexe, ce nouvel opus de la franchise jurassique ressemble à un objet tuné pour le divertissement mais qui tente, malgré tout, de se revêtir d’un vernis sérieux, presque biblique, où le discours de clôture ramène l’homme, tenté un moment par le pouvoir, sous le joug de l’intervention divine. Attention, il y’a un temps pour s’amuser, et il y’a un temps pour faire les choses dans l’ordre, semble nous dire le réalisateur.
Sorte de parabole complètement schizophrène sur le chaos et la vertu, ce cinquième volet n’apporte rien de plus si ce n’est un désagréable arrière-goût de grand n’importe-quoi (em)mêlant créationnisme, spécisme, eugénisme, le tout tempéré par un postulat faussement dystopique. Quand on commence à se demander si l’on a vu un faux blockbuster ou un vrai nanar, ce n’est jamais bon pour la suite. Le bon côté des choses, c’est que ça donne envie de regarder pour la 50e fois Les Dents de la Mer en VF.

Sortie le 6 juin 2018
Réalisation : Juan Antonio Bayona
Scénario : Derek Connolly et Colin Trevorrow, d’après les personnages créés par Michael Crichton
Avec :
Chris Pratt : Owen Grady
Bryce Dallas Howard : Claire Dearing
Jeff Goldblum : Dr Ian Malcolm
B. D. Wong : Dr Henry Wu
James Cromwell : Benjamin Lockwood
Ted Levine : Ken Wheatley
Rafe Spall : Eli Mills
Justice Smith : Franklin Webb
Daniella Pineda : Zia Rodriguez
Toby Jones : Gunnar Eversol
Geraldine Chaplin : Iris
Isabella Sermon : Maisie Lockwood
Texte : Jimmy Kowalski

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