THE MAN WHO KILLED DON QUIXOTE – TERRY GILLIAM

Le temps est une donnée toute relative qui n’a pas d’emprise sur Terry Gilliam. Depuis Jabberwocky, tiré d’un poème de Lewis Carroll, le réalisateur n’a eu de cesse de poursuivre ses rêves les plus farfelus, se fiant uniquement à sa bonne (ou mauvaise) étoile, se fichant aussi bien du succès commercial que de la reconnaissance critique. S’il est bien une chose qu’on ne peut enlever à Gilliam, c’est donc son indéboulonnable persévérance.

Débuté en 1999 et resté inachevé jusqu’en 2017, la diffusion aujourd’hui sur les écrans de The man who killed Don Quixote relève tout simplement du miracle : 5 tentatives avortées, une double hernie discale pour Jean Rochefort, un cancer du pancréas pour John Hurt, les décors dévastés par une tempête, un désert qui reverdit suite à de trop fortes précipitations et nombres de financement qui échouent n’auront jamais eu la peau de celui qu’on surnomme “le plus malchanceux réalisateur du monde”. Quand la réalité dépasse la fiction, quand la vie devient un cauchemar où l’absurde règne, la seule chance de survie est de plonger à son tour dans l’imaginaire. La carrière de Gilliam ressemblant de plus en plus aux aventures de ses protagonistes, doit-on y voir la malédiction d’un des derniers génies intègres face à la machinerie formatée d’Hollywood ou le délire d’un vieux mégalo pêté du casque, coincé dans la bulle anar du nonsense cher à ses vieux comparses du Monty Python ?

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Toby (interprété par Adam Driver) est un réalisateur cynique  et égocentrique ayant perdu depuis longtemps ses idéaux artistiques pour désormais cliper des spots publicitaires aussi juteux pour les annonceurs qu’insipides pour les spectateurs. Suite à une série d’événements extravagants, il se retrouve sur les lieux de tournage de son film de fin d’études, une adaptation du Don Quichotte de Cervantès. 20 ans ont passé, et Toby, qui croyait son œuvre de jeunesse perdue à jamais, découvre que son film a bouleversé la vie des protagonistes, en particulier celle de l’acteur principal, à l’époque simple cordonnier du village. L’homme se prend désormais pour Don Quichotte lui-même.
Adaptant librement le célèbre bouquin de Cervantès qui conte les mésaventures d’un pauvre gentilhomme, Alonso Quichano, obsédé par les livres de chevalerie au point que Quichano se prend un beau jour pour le chevalier errant Don Quichotte, dont la mission est de parcourir l’Espagne pour combattre le mal et protéger les opprimés, Gilliam dégaine une nouvelle fois ses thèmes de prédilection avec son habituelle narration tragi-comique. Rien de très nouveau donc depuis Brazil en 1985 : un personnage terrassé par un environnement réel régi par des lois oppressives, un coup de dés du destin, un chaos qui se propage entrainant ce même personnage dans une folie grandissante.

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Avec The man who killed Don Quixote, même si on peut quand même légitimement se demander s’il fallait vraiment 20 ans pour réaliser ce film, Gilliam ajoute une couche supplémentaire à son système narratif déjà complexe en faisant s’entre-mêler avec un certain brio deux temporalités : le récit de Cervantès qui s’incarne dans un premier temps dans la quête éperdue de Don Quichotte et dans un deuxième temps, la quête de Toby à la recherche de ses illusions perdues. Deux paraboles qui, comme deux serpents fous, se croisent, se mordent, et s’entre-dévorent tel l’Ouroboros de l’Antiquité, symbole de rajeunissement et de résurrection, mais aussi d’autodestruction et d’anéantissement. La démarcation entre ces deux champs de possibilités donnent ainsi lieu à nombre de situations totalement délirantes où, chaque fois un peu plus que précédemment, la réalité telle que conçue par Toby (et nous autres spectateurs) cède une place de plus en plus importante à la vision chimérique du cordonnier/gentilhomme/chevalier.

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Une nouvelle fois donc, Gilliam nous convie à une orgie visuelle complètement foutraque, jetant pêle-mêle des effets visuels old school tantôt à base de maquettes, tantôt en full CGI, des teintes saturées, des personnages grimaçants, des cavalcades. On tombe, on crie, les demoiselles sont merveilleusement jolies et le méchant est très méchant et très vulgaire comme …Trump (ainsi que le suggère le personnage du producteur roublard interprété par Stellan Skarsgård). Il ne faut pas vraiment chercher de scénario à proprement parler dans The man who killed Don Quixote, mais plutôt se laisser porter par une jovialité naturelle, une magie contagieuse. Gilliam est comme un gosse qui n’a aucun problème à faire cohabiter dans une même aventure sur le plancher de sa chambre un bateau Plémobile®, un dinosaure en peluche et des robots Mécanaud®. Parfois ça prend, parfois ça ne prend pas. Le réalisateur de Brazil, qui a principalement puisé ses influences chez Eisenstein, Lang et Kubrick, n’hésite pas non plus à alterner plans larges fixes avec plans serrés décentrés, quitte à parfois désarmer un spectateur non aguerri à ce pot-pourri de sons et d’images.

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Cependant, toute l’énergie dépensée est largement récompensée par l’émouvante performance de Jonathan Pryce, fidèle acteur de Gilliam depuis son interprétation de Sam Lowry dans Brazil. Tour à tour abattu, énergique, malicieux, furieux, grivois, tendre, il est un fou de la vie prêt à perdre cette vie-même si la cause est juste et belle. Il est l’incarnation du donquichottisme,  cet idéaliste passionné qui recherche des causes justes et généreuses à défendre et associant à cela un parfait désintéressement. Avec cette auto-référence à leur collaboration initiale qui a scellé la carrière de Gilliam, le réalisateur ne chercherait-il pas à plaider sa cause et celle d’un cinéma vrai, d’un cinéma ras la gueule de magie illimitée en se foutant des contingences financières ? Le temps d’un film, le temps de s’évader de la réalité, on a très envie de dire oui, de transformer notre fauteuil rouge en destrier fougueux, en Cadillac rugissante ou même en un simple boulet de canon et de rallier ces terres inconnues où l’impossible n’existe pas.

Sortie le 19 mai 2018
Réalisation : Terry Gilliam
Scénario : Terry Gilliam et Tony Grisoni, d’après l’œuvre de Miguel de Cervantes
Avec :
Jonathan Pryce : Don Quichotte
Adam Driver : Toby
Olga Kurylenko : Jacqui
Stellan Skarsgård : le patron et mari de Jacqui
Joana Ribeiro : Angelica
Oscar Jaenada : le gitan
Jason Watkins : Rupert, l’agent de Toby
Sergi López : le fermier
Rossy de Palma : la femme du fermier
Jordi Mollà : Alexei Miiskin, le cruel oligarque
Hovik Keuchkerian : Raul
Texte : Jimmy Kowalski

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