My friend Dahmer – Marc Meyers (2018)

Cette semaine je vous propose une chronique d’un film plus « underground » car visible uniquement en e-cinema, à savoir par le biais du téléchargement légal.  Depuis quelques années, les distributeurs se prosternent devant le veau d’or de la rentabilité. Par conséquent, un grand nombre de films ne sortent plus dans les salles car jugés pas assez rentables potentiellement. Ils sont donc condamnés à être diffusés uniquement via la VOD (Video On Demand). Le choix des distributeurs de ne pas donner leur chance à tel ou tel film ne tient absolument pas compte de la qualité artistique de ces derniers, comme en témoigne le long-métrage que j’ai choisi de chroniquer aujourd’hui : My friend Dahmer, de Marc Meyers.

Depuis de nombreuses années, les faits divers suscitent une véritable fascination. On ne compte plus les films ou séries qui traitent des tueurs en série. Si la plupart de ces œuvres mettent l’accent sur l’aspect sordide voire « gore » du phénomène, d’autres préfèrent se pencher sur le processus psychologique qui aboutit à la fabrication d’un « serial killer ». C’est le cas du film de Marc Meyers qui brosse le portrait d’un adolescent qui deviendra par la suite l’un des tueurs en série américains les plus tristement connus de la fin du 20ème siècle. Si on devait établir une comparaison pour décrire le personnage, je dirais que Jeffrey Dahmer est à l’humanisme ce que Landru a été au féminisme ! Disons seulement qu’il a été condamné en février 1992 à 957 ans de prison pour avoir tué 17 jeunes hommes entre 1978 et 1991 (1). Nécrophile et cannibale, Jeffrey Dahmer était homosexuel et dénichait ses victimes dans des bars gays. Ses victimes étaient presque toutes afro-américaines et ce n’est pas un hasard car il se proclamait volontiers raciste dans son entourage. Dans ce long-métrage adapté d’un roman graphique du même nom, le réalisateur a pris le parti de décrire l’adolescence d’un adolescent mal dans sa peau qui n’est pas encore devenu celui qui fut surnommé longtemps après « Le cannibale de Milwaukee ».

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L’intérêt de ce film est de présenter au spectateur une série d’indices permettant d’expliquer (mais en aucun cas d’excuser) la dérive criminelle d’un jeune garçon solitaire et timide qui a perpétré son premier crime à l’âge de 18 ans, soit à l’issue de son cursus de lycéen. Parmi les éléments qui ont favorisé son passage à l’acte, il y a tout d’abord un environnement familial chaotique. Le film illustre parfaitement cette dimension en montrant l’hystérie de sa mère (par ailleurs alcoolique) qui virait à la folie, laquelle tranchait avec la faiblesse de caractère de son père. Chimiste de profession, ce dernier était d’ailleurs souvent absent du foyer familial. Quant à son petit frère, le jeune Jeffrey avait peu de contacts avec lui. Les disputes entre son père et sa mère étaient courantes et préfiguraient le divorce qui allait venir. Tout cela explique la grande solitude du personnage qui explique pour une part ce qu’il est devenu par la suite. Par ailleurs, les relations qu’il a avec ses camarades de classe sont pour le moins particulières.

Dans ce film, le personnage principal apparaît tel le vrai Jeffrey Dahmer grâce au talent d’interprétation de l’acteur Ross Lynch. Coiffé comme Mireille Matthieu et affublé de grosses lunettes qui lui donnent l’allure d’un sympathique « nerd », le jeune Jeffrey est la risée de son lycée. Solitaire et timide, il n’a quasiment aucun véritable ami en dehors des quelques camarades de classe qui l’ont pris pour mascotte. En effet, le jeune homme est devenu la coqueluche d’une poignée de lycéens qui ont décidé un jour pour s’amuser de créer le « Jeffrey Dahmer fan club ». En fait notamment partie un certain Derf Backderf, ami d’enfance de Dahmer et auteur de la bande dessinée qui a servi de base pour le film (2). Considéré comme une bête de foire, Jeffrey est quelque sorte le protégé de cette bande qui s’amuse à le sortir et lui propose parfois un billet pour qu’il se fasse remarquer. Pour tromper sa solitude, Jeffrey a en effet pris l’habitude de faire l’idiot en public, poussant des cris proprement grotesques et se laissant aller à de (fausses) crises d’épilepsie, pour épater la galerie, comme c’est le cas un jour dans un supermarché.

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Par ailleurs, on sent poindre la déviance de l’apprenti tueur en série. Effectivement, Jeffrey a une curiosité malsaine pour la mort. Il collectionne déjà les cadavres d’animaux qu’il ramasse sur le chemin qui sépare son lycée de la maison familiale et les collecte dans des bocaux. Initié très tôt à la chimie par son père, il s’amuse à dissoudre les corps dans l’acide. Enfin, il est fasciné par l’anatomie et prend l’habitude d’éviscérer des animaux pour contempler les viscères, comme l’illustre parfaitement une scène dans laquelle l’adolescent se met à déchiqueter un poisson qu’il vient de pêcher. Pour finir, l’homosexualité latente du jeune garçon apparaît en filigrane à travers son obsession pour un jogger qui passe tous les jours devant sa maison et qui suscite sa curiosité.

Malgré son sujet particulièrement glauque, My friend Dahmer est un film tout en retenue qui s’achève juste avant le passage à l’acte du personnage, faisant le choix de passer sous silence les détails sordides de l’affaire criminelle en question. A l’instar de la série « Mindhunter » de David Fincher, ce film est la preuve flagrante que l’on peut traiter le sujet des tueurs en série sans jamais faire preuve d’un quelconque voyeurisme malsain.

My Friend Dahmer de Marc Meyers est sorti le 2 mars 2018 et téléchargeable via la plateforme e-cinema (https://www.e-cinema.com/)

1 : A ce sujet, on peut écouter une émission récente diffusée sur RTL et présentée par Jacques Pradel : http://www.rtl.fr/actu/debats-societe/denis-robert-et-le-roman-de-la-vologne-7792449390

2 : « Mon ami Dahmer » de Derf Backderf (Ed. Ça et là), 222 pages 20 €.

 

 
Texte : Mathieu

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