THE DEATH OF STALINE – ARMANDO IANNUCCI

Avengers: Infinity War a l’air vraiment top.

D’ailleurs, Le Journal du Geek et Le Parisien n’en disent que du bien. Moi, perso, je trouve que le Spandex, ça démange et ça fait des rougeurs super désagréables. Du coup, j’attends plutôt la sortie de Venom pour retrouver un quelconque intérêt aux élucubrations pyrotechniques d’un énième zozo de l’espace. Attention, je ne dis pas que c’est mauvais. Bien au contraire, après la gabegie d’un Joss Whedon en fin de course pour Avengers: Age of Ultron, dans le cas des frangins Joe & Anthony Russo, le souffle épico-comique des premiers Iron Man a semble-t-il, repris l’avantage et c’est tant mieux.
Voilà, c’était ma chronique sortie de la semaine.

Bien ! Maintenant, parlons cinéma, crime de masse et Marx Brothers, les trois combinés ensemble me réjouissant d’avance. Parlons du dernier film d’Armando Iannucci : La mort de Staline.
En première lecture, il n’y a bien évidemment rien de réjouissant à l’évocation d’une des périodes les plus sombres de l’histoire de l’humanité, quand bien même on parlerait de la mort du tyran fou furieux en personne. Pourtant, s’il est une chose des plus remarquables dans le nouveau film d’Iannucci, auteur du déjà sacrément caustique In the loop, c’est la part de lion que se taille le rire, la farce, la dérision dans une trame historique particulièrement tragique. Vaudevillesque pourrait d’ailleurs être l’adjectif qui sied le mieux : des portes qui claquent, des quiproquos interminables, des dialogues qui font mouche, des renversements de situations impromptus, etc. Bouvard et Pécuchet chez les Soviets, Le chapeau de paille du Goulag, on pourrait en aligner des dizaines comme ça.

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Le rire, c’est bien. Revêtu d’une fonction sociale, comme le disait Bergson, le rire ne saurait atteindre son but en portant la marque de la sympathie et la bonté. Encore faut-il que derrière l’aspect corrosif et libératoire, il y ait une complicité entre l’auteur et le public. S’il y a malveillance, ce n’est plus du rire. Si, de surcroît, l’humour auquel on est exposé ne présente pas de subtilité particulière, nous faisons logiquement l’économie de notre réflexion et finissons par rigoler comme des gros morses. Si Desproges était là, il le dirait beaucoup mieux, mais Desproges est mort, c’est con. Hanouna, lui est encore vivant.
Tout cela, Iannucci (et avant lui les auteurs de la BD dont le film s’inspire) l’a parfaitement compris et c’est là que réside tout l’équilibre fragile et pourtant gracieux de cette farce aussi bien macabre que burlesque. Difficile et dangereux équilibre à maintenir à flot ce ballet de charognards paranoïaques du Politburo autour de la dépouille de Staline, d’abord inconscient puis finalement terrassé par une hémorragie cérébrale ! Dangereux équilibre de passer d’une scène évoquant les abominations (tortures, viols sur mineures) perpétrées par Beria (interprété par l’effrayant Simon Russell Beale), chef du NKVD – que Staline présenta à Roosevelt comme « son Himmler » – et l’instant d’après de s’amuser des gamineries hilarantes entre Krouchtchev et Malenkov !

Jeffrey Tambor
Jeffrey Tambor

Comme en apesanteur, cet équilibre savoureux se maintient pour plusieurs raisons, la première étant l’incroyable casting réuni pour l’occasion : Steve Buscemi, Jeffrey Tambor, Michael Palin, Paddy Considine, Jason Isaacs. Cette joyeuse troupe, grâce à l’immense plaisir de jouer qui les animent visiblement, sème à la volée tout au long du film ce sentiment que rien n’est sérieux, que devant le tragique de la situation et l’horreur des circonstances (exécutions sommaires, complots), se comporter comme un enfant pour qui chaque jour est un recommencement est l’unique solution, élevant ainsi le film dans les plus hautes sphères de l’absurde. La mort de Staline est un film obscène au sens où il arrive à montrer sur scène, à l’écran, ce qui ailleurs serait tout simplement immontrable. Deuxième point fort du film, c’est dans cette mise en scène très théâtrale aux murs ternes, au mobilier austère, aux costumes aux tissus lourds, filmant les personnages dans des lieux sans perspective, sans avenir pourrait-on dire : la datcha de Staline, une salle d’interrogatoire, le Mausolée que l’incessant défilé transforme en vaste hall de gare, que le spectateur va trouver un moyen de mettre une distance entre fond et forme. Ce formalisme aurait pu faire tomber le film dans la simple pochade factice mais l’écueil du film à sketches inconséquent est largement évité grâce à l’évident travail de recherches documentalistes effectué par les scénaristes.

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Il y’a donc bien longtemps qu’on n’avait vu une telle mascarade au cinéma, quelque chose à la fois totalement insubordonné à une scène humoristique (au risque de tomber dans le poncif, je dirais qu’il faut remonter aux Monty Python pour retrouver un tel degré de dinguerie au cinéma) et quelque chose pleinement conscient de la gravité du propos. Troisième caractéristique du long-métrage, son glissement insidieux de la badinerie de la fiction vers la pesanteur du réel, l’attraction du désastre. Je pense toujours à ce joli aphorisme d’un homme politique qui disait que la diplomatie est l’exercice des puissants à manger en compagnie de ceux qu’ils détestent. La mort de Staline, à mots découverts, laisse, dans le dernier acte, le goût amer du spectacle odieux de la couardise des hommes d’état, l’homo politicus dans toute sa splendeur. Ce goût amer d’un « après moi, le déluge » où les pires bassesses d’hier seront célébrées demain comme des morceaux de bravoure. Il n’y a ni bon ni méchant et les échos des mensonges des vieux caciques de 1953 résonnent encore et toujours dans les arcanes de la politique actuelle.
Bien sûr, le constat est rude mais il ne faut jamais bouder son plaisir. Citons Le rire de Bergson une dernière fois pour le plaisir et gageons que les Poutine, Trump, Macron et consorts auront un jour vent de cet extrait et sauront l’interprêter à juste titre : « Le comique naîtra, semble-t-il, quand des hommes réunis en groupe dirigeront tous leur attention sur un d’entre eux, faisant taire leur sensibilité et exerçant seul leur intelligence. »

Sortie le 4 avril 2018
Réalisation : Armando Iannucci
Scénario : Armando Iannucci, Ian Martin, David Schneider et Peter Fellows, d’après la bande dessinée éponyme de Thierry Robin et Fabien Nury (2010)

Avec :
Adrian Mcloughlin : Joseph Staline
Jeffrey Tambor : Gueorgui Malenkov
Steve Buscemi : Nikita Khrouchtchev
Olga Kurylenko : Maria Youdina
Michael Palin : Viatcheslav Molotov
Simon Russell Beale : Lavrenti Beria
Paddy Considine : Andrei Andreiev
Andrea Riseborough : Svetlana Allilouieva
Rupert Friend : Vassili Djougachvili
Jason Isaacs : Gueorgui Joukov

Texte : Jimmy Kowalski

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