
Autant le dire tout de go. À sa sortie en salles, The Royal Tenenbaums est entré direct dans mon Top 5 pour depuis, ne jamais en sortir. Objectivement, je vais avoir beaucoup de mal à me départir de ma dévotion aveugle et inconditionnelle à l’œuvre de Wes Anderson pour vous parler de son dernier film. J’ai beau chercher : pas de puces. J’ai beau ronger : pas d’os. Tout est à sa place, rien n’est de travers. Dans le petit monde méticuleux et fragile de Wes Anderson, pas l’ombre d’un nuage pour qui sait prendre le temps d’observer. Pourtant, les critiques à son égard sont légion, toutes formulées autour de la même rengaine : Wes Anderson fait du Wes Anderson. Soit. Jouons les avocats du diable et regardons en détail si ce vieux Wes en a encore sous la semelle ou s’il nous ressort, avec Isle of Dogs, encore et toujours la même recette ?
Depuis Rushmore, le réalisateur a construit méthodiquement et patiemment un petit théâtre de marionnettes. De bois, de ficelles et de papier, quelque chose de léger, presque infantile et pourtant éminemment complexe si l’on sait prendre le temps. Si vous n’aimez pas cette théatralisation presque forcée, cette mise en scène statique où les volumes et la profondeur de champ sont annulés, si vos n’aimez pas ces longs travellings qui tracent des lignes claires et limpides dans le champ visuel, si les cadrages parfaitement symétriques (ou presque) vous donnent le tournis, n’allez pas voir ce film ! Si son sens du timing, des dialogues à contre-temps, blottis entre silences et regards qui en disent beaucoup plus que les mots, vous ennuient plus qu’ils ne vous enthousiasment, n’allez pas voir ce film ! Si ces thèmes de prédilection – la filiation, la fraternité, le devoir moral, et sur un spectre plus élargi, tout ce qui a trait à la famille – vous laissent de marbre, n’allez pas voir ce film !!!
Oui, autant être clair et objectif là-dessus, si vous n’avez jamais aimé Wes Anderson jusqu’à maintenant (soyez maudit !), Isle of Dogs n’y changera rien. Passez votre chemin.
Oui, il n’y a rien de nouveau dans le dernier Wes Anderson. Et c’est tant mieux. Pour reprendre les propres mots du cinéaste :“I have a way of filming things and staging them and designing sets. There were times when I thought I should change my approach, but in fact, this is what I like to do. It’s sort of like my handwriting as a movie director. And somewhere along the way, I think I’ve made the decision: I’m going to write in my own handwriting. That’s just sort of my way.” “Je filme et je mets en scène à ma manière. À un moment, je me suis demandé si je devais changer mon approche, mais en fait, c’est comme cela que j’aime faire les choses. C’est comme si je réalisais de la même façon que j’écris. Ce faisant, j’ai pris ma décision : je vais réaliser avec ma propre écriture. C’est ma façon de faire.”
Alors, perfectionnisme ou maniérisme ? Frondeur ou poseur ? Épuré ou dénué ? À bien y regarder, le petit théâtre de Wes Anderson fourmille d’idées, il suffit d’être patient (on ne le dira jamais assez) et de ne jamais se fier aux apparences. L’image d’abord : quel cadre plus idéal que ces images quasiment soumises à des règles mathématiques pour pouvoir laisser surgir un fourmillement de petits détails ? Reprenant avec application les règles du maître Kubrick, Wes Anderson, à nul autre pareil, élabore des mises en scène plus qu’il ne filme. Laborieux laborantin, il examine des sujets d’expérience dans un contexte donné plus qu’il n’anime des personnages dans des scènes de vie. Mais ce qui, je l’avoue, pourrait paraître froid et distant dans cette mise en scène, est irrémédiablement mis à mal par la passion qui exalte tous les protagonistes. Qu’il filme des acteurs ou, comme ici, des marionnettes en stop-motion, chaque sujet est un monde à lui seul. Comme s’il voulait donner tort à cet environnement rigide qui semble emprisonner les êtres, prouver qu’il y a de la vie, que les émotions grondent et bousculent les certitudes. La richesse de sa filmographie ne vient, pour ainsi dire, jamais de ses histoires, mais plutôt des interactions que les personnages tissent tout autour. Rencontres, croisements, ruptures, chassés-croisés, malentendus ou non-dits. Les petits riens de la vie. En attendant la mort. Car oui, à quoi bon célébrer la vie si l’on n’a pas conscience de sa fin ? Même empreint d’une mélancolie parfois pesante, le réalisateur donne chœur à la vie.
Abandonnant le temps d’un film les visages de ses acteurs familiers, c’est avec une bande de clébards flanqués d’un ado en fuite à la recherche de son toutou qu’il nous convie une nouvelle fois à ses côtés pour observer avec tendresse les mésaventures de la Famille au sens large. Avec une fausse candeur qui relève plus de la bonté que de l’ingénuité, Anderson questionne la légitimité des schémas paternalistes et spécistes pour, au final, laisser les choses se dé-complexer, se clarifier. On se rassure : tout finit (plus ou moins) bien. Plus que jamais dans sa filmographie, Isle of Dogs traite de la traduction (du latin traducere, faire passer d’un point à un autre). Au début, les chiens ne comprennent pas l’enfant qui parle japonais. Malin, en ne traduisant que certains dialogues en japonais, Anderson nous place, spectateur-trice, parmi les chiens, les laissés-pour-compte, les bannis.
Une belle invitation à ré-apprendre la politique du cœur.
Sortie le 11 avril 2018
Scénario et réalisation : Wes Anderson
Avec :
Bryan Cranston : Chef
Edward Norton : Rex
Bill Murray : Boss
Jeff Goldblum : Duke
Bob Balaban : King
Koyu Rankin : Atari Kobayashi
Kunichi Nomura : le maire Kobayashi
Akira Takayama : le major Domo
Liev Schreiber : Spots
Greta Gerwig : Tracy Walker
Frances McDormand : l’interprète Nelson
Scarlett Johansson : Nutmeg
Harvey Keitel : Gondo
F. Murray Abraham : Jupiter
Tilda Swinton : Oracle
Courtney B. Vance : le narrateur
Fisher Stevens : Scrap
Texte : Jimmy Kowalski
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