MACBETH – WILLIAM SHAKESPEARE

“(La vie) est une histoire
Racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur,
Et qui ne signifie rien.”
Macbeth, Acte 5, scène 5

Shakespeare était en avance sur son temps. 82 caractères. À peine un tweet. À essayer de compter ses followers en 2018, on pourrait casser l’Internet, j’imagine. Tellement moderne, William, que dans cette citation de Macbeth, on voit déjà naître et mourir le 20e siècle. On voit la convoitise, l’ambition, la démesure, l’irresponsabilité. Tous ces maux qui embrasèrent et consument toujours les nations et les peuples, de l’Afrique à la Russie, des États-Unis d’Amérique à l’Italie. Mais il est déjà trop tard, et passés le bruit et la fureur, il ne reste plus aujourd’hui que la vanité de l’Homme, des (émot)icônes et quelques symboles.

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Je vais au cinéma pour la lumière, je vais au théâtre pour la chair. Pour l’incarnation. Voir sur scène, entendre les sons parasites et la profondeur de l’écho, voilà, à mon sens, la singularité du spectacle vivant par rapport à la représentation cinématographique. La mise en scène de Stéphane Braunschweig, quant à elle, offre au spectateur une expérience en demi-teintes, à mi-chemin entre le spectaculaire et la lecture psychanalytique. Deux décors hautement symboliques, l’un signifiant la barbarie, la solitude et la folie, l’autre montrant le pouvoir dans ce qu’il a de plus hiératique, tracent les limites du récit. Un liant sonore, plein de grondements de tonnerres et de lamentations spectrales, s’intercale entre les scènes et articule le texte. Épuré donc, est le parti-pris du metteur en scène, loin du foisonnement sauvage de l’œuvre originelle, proposant ainsi une relecture en forme de farce macabre, plus Ensor que Füssli, plus criarde que  tragique, dans un monde où le cynisme fait loi.

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Balançant entre la démesure du décor et le texte très introspectif des longs monologues hantés, on peut donc être perplexe à la vue des premières minutes du spectacle. Tel fut mon cas, je l’avoue, et il est important de comprendre d’emblée, le récit du parcours d’un homme simple et brutal, un soldat, d’abord animé par une soif de reconnaissance, puis enivré par le pouvoir, et enfin rendu fou par les charges dues à son rang, pour pouvoir envisager l’importance (et la pertinence tout de même) de l’écart entre la scénographie et la direction des acteurs. Stéphane Braunschweig décide de faire osciller, en un incessant va-et-vient, ses personnages sur un axe allant d’une arrière-cuisine toute dallée de céramique jusqu’à la salle de réception, toute d’or et de tableaux décorée. Aussi épurée, aussi immaculée qu’elle puisse paraître, la salle de garde relève plus du laboratoire de vivisection que du simple garde-manger. Il se trame déjà quelque chose, et Macbeth (Adama Diop, impeccable), simple seigneur, fier soldat, laisse les sorcières lui prédire l’avenir et déposer dans son esprit l’œuf de la trahison. De ce décor lisse, blanc et froid, sur lequel va se répandre le sang des infortunées victimes de Macbeth, on finit par comprendre qu’il n’est rien d’autre que la vision hallucinée de la destinée du héros, serial killer avant l’heure : un avenir froid, dépourvu d’amour, un simple brouillage de l’esprit ne reposant sur rien. Quant à l’autre décor, plus terre à terre mais plus étoffé aussi, il est là pour ramener les époux Macbeth, couple de meurtriers dans la réalité, la réalité d’une Lady qui erre dans les couloirs du château, en prise à des crises de somnambulisme, la réalité d’un Macbeth assailli par le fantôme de Banquo, un décor en prise directe avec les conjurations, les complots, les cabales.

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Cependant, si ce dispositif offre une interprétation limpide et cinglante de l’œuvre shakespearienne, qu’en est-il de ce bruit et de cette fureur invoqués et tant attendus ? Dans la mise en scène de Braunschweig, il est finalement plus question de l’idiot, cet idiot qui se raconte des histoires de sorcellerie, cet idiot qui regarde le doigt quand on lui montre la lune, qui assassine quand il devrait simplement écouter son cœur et non plus sa peur. Doit-on y voir une critique  acerbe du pouvoir et des abjections perpétrées en son nom, moquant nos puissants comme des figures grotesques, des marionnettes grimaçantes ? On entend des cris, on voit du sang, mais les comédiens sont économes de leurs mouvements, préférant appuyer sur la richesse des mots plutôt que laisser éclater une émotion plus primitive, moins élaborée. Certes, le texte est impeccablement récité, l’ensemble de la troupe, par son jeu ad hoc, rend honneur à la plume de Stratford-upon-Avon. Mais de ce récit plein de meurtres et de trahisons, le directeur de l’Odéon, plus familier d’Ibsen, Brecht ou Pirandello, semble n’avoir retenu dans son travail de traduction que le grotesque et le pathétique des personnages au détriment de la force brute du message. Une vision qui laisse au final un amer goût d’affliction.
Fair is foul and foul is fair (Le laid est beau, le beau est laid)”: la vérité sort de la bouche des sorcières.

Du 26 janvier au 10 mars, Théatre de l’Odéon, Paris
Mise en scène et scénographie : Stéphane Braunschweig
Avec :
Christophe Brault  : Duncan / Portier / Meurtrier / Médecin
David Clavel : Banquo / Meurtrier / Siward
Virginie Colemyn : Sorcière / Dame de compagnie
Adama Diop : Macbeth
Boutaïna El Fekkak : Sorcière / Lady Macduff
Roman Jean-Elie : Malcolm / Seigneur écossais
Glenn Marausse : Capitaine en sang / Lennox / Meurtrier / Seyton
Thierry Paret : Ross
Chloé Réjon : Lady Macbeth
Jordan Rezgui : Donalbain / Fléance / Fils Macduff / Fils Siward / Soldat
Alison Valence : Sorcière / Intendante / Soldat
Jean-Philippe Vidal : Macduff / Meurtrier
Photos : © Élizabeth Carecchio
Texte : Jimmy Kowalski

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