BD – « Megg, Mogg & Owl » de Simon Hanselmann

Dans cette série, Megg est une jeune et gentille sorcière, sans balai ni potions, Mogg est un petit chat, Owl est un grand hibou blanc qui souffle les bougies de son gâteau d’anniversaire en couverture de ce quatrième tome de leurs aventures.

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STOP ! Nous ne sommes pas chez Disney ici ! La pellicule plastique retirée, quand on tourne la page de couverture, le découpage qui ne laissait apparaître que Owl fait place à la scène complète où les nombreux invités boivent, fument, bavent, pissent, vomissent, se masturbent … Happy Fucking Birthday, on vous le dit sur la couverture !

Donc rembobinons. Dans cette série, Megg est une adulescente dépressive au long nez et au teint vert, d’une propreté douteuse, habillée en sorcière à chapeau pointu, Mogg est un petit chat égoïste et râleur, l’amant de Megg, assez paresseux, accro à la pizza et à la fumette, et Owl est un grand hibou anthropomorphe, plutôt coincé, qui aimerait bien vivre une vie normale, mais ses tentatives finissent toujours mal, amoureux platonique de Megg, il est le souffre-douleur de tous.

Ce trio vit en colocation (mais seul Owl travaille et paie le loyer) dans une maison quelconque d’une banlieue quelconque. On trompe son ennui, affalé sur le canapé défoncé (lui aussi), avec herbe, boisson et télé.

Il y a d’autres protagonistes tout aussi croquignolesques : en particulier Werewolf Jones, le loup-garou junkie obsédé sexuel ras du cerveau et ses deux fils ; et Booger, une jeune femme à la peau reptilienne pouvant perdre des parties de son corps (autotomie), à laquelle Megg n’est pas insensible.

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Vers 1970, apparaissait le mouvement « Underground » de la BD américaine, avec en particulier Robert Crumb (Fritz the Cat) et Gilbert Shelton. Ce dernier a créé le trio Fabulous Freak Brothers (des faux frères), dont l’activité principale était de trouver de la marijuana et de la bouffe, tout en s’appliquant à fuir les flics, dans un univers urbain joyeux et foutraque.

Une cinquantaine d’années plus tard, avec Simon Hanselmann, le côté foutraque est resté, mais la joie de vivre a disparu, faisant place à une certaine lassitude et angoisse du quotidien (sauf pour Werewolf le fou furieux !).

Comme pour les précédents tomes, Happy Fucking Birthday est un recueil d’histoires comportant une à plusieurs pages, se déroulant dans le pavillon de banlieue ou non (mais que c’est dur d’en sortir !).

Deux longues histoires nous conduisent l’une dans un restaurant classieux français, l’Escargot Truffé (!), où Owl veut inviter ses amis pour fêter son anniversaire. Une catastrophe annoncée bien sûr, qui se poursuivra mélancoliquement sous le ciel étoilé avant un épisode mémorable dans un fourgon de police. Une sortie au parc aquatique prendra, elle, un tour embarrassant quand Werewolf s’apercevra qu’à la place de cachets « d’analgésiques mystère » on lui a refilé du Viagra périmé (mais pas trop…). Quant à Megg, sans nouvelle de sa mère juste sortie de cure de désintox, elle recevra finalement un appel de celle-ci…qui veut lui soutirer de l’argent pour s’approvisionner en drogue.

Contrastant avec le ‘gaufrier’ de 3×4 cases des planches, il y a aussi de jolies illustrations pleine page couleur (aquarelle et colorants alimentaires) frisant parfois une poésie étrange, comme celle où Owl a retiré son plumage pour le nettoyer, sous le regard de Megg déconcertée, et ressemble à une volaille (écarlate) d’un étal de boucher.

Si « Emma Bovary c’est moi » (Gustave Flaubert), si « Tintin c’est moi » (Hergé), Megg, Mogg et Owl, voire Werewolf Jones, sont tou-te-s Simon Hanselmann, et c’est lui qui nous le dit. Megg avec son côté féminin et sa tendance dépressive, Mogg et son côté bizarre et dépravé, Owl et son désir de normalité. On n’ose imaginer pour Werewolf. Dans ce tome, même la mère de Megg, c’est la mère de Simon Hanselmann. Dans la vie réelle, employée d’un bar pour motards et continuellement défoncée, elle élèvera (un bien grand mot) seule son fils.

Le grand art de Simon Hanselmann est de nous faire ressentir de l’émotion pour ses personnages inadaptés et paumés dans la vacuité de ce monde, de nous les rendre attachants.

Simon Hanselmann sait bien qu’il ne peut éternellement laisser ses personnages dans l’état où ils sont maintenant, au risque de lasser les lecteurs-trices et de se lasser lui-même. Contrairement à d’autres séries (les Simpsons, South Park), il compte faire évoluer et vieillir ceux-ci. Booger verra-t-elle son rôle grandir ? Werewolf Jones peut-il tenir le rythme longtemps encore ? Que deviendront ses enfants à l’adolescence ? Y aura-t-il un jour une scène de sexe aboutie entre le minuscule Mogg et la grande Megg ? Et surtout, va-t-on en savoir plus sur la mère de Megg ?

A suivre donc !

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Bande-son : Smashing Pumpkins : Bullet with Butterfly Wings (1995), cité page 34, « the world is a vampire, sent to drain ». Velvet Underground avec Lou Reed : Rock and Roll (1970). Higelin : Amoureux d’une Cigarette (1974) parce que comme Mogg, le grand Jacques attend que sa copine lui rapporte de quoi fumer. Mount Eerie : Ravens (2017). Et pour une question de genre : I wanna destroy myself (2013) d’Ezra Furman, qui est aussi l’auteur de Refugee, une des plus belles chansons de cette décennie.

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Simon Hanselmann est un auteur Australien, né en 1981 en Tasmanie (le pays du diable !), et résidant aujourd’hui à Seattle, à proximité de son éditeur américain Fantagraphics. Il a reçu en 2017 un prestigieux Eisner Award. Ses ouvrages parus en France sont 4 volumes de Megg, Mogg & Owl, publiés depuis 2014 chez Misma (belle qualité, bonne traduction). Il a reçu le prix Fauve de la meilleure série au festival BD d’Angoulême 2018 (jury présidé par l’immense Guillaume Bouzard). Malgré de nombreuses propositions pour reprendre ses personnages en série animée, il souhaite à ce jour rester fidèle aux éditeurs lui ayant donné sa chance (Fantagraphics et Misma). Respect.

Texte : Christian Renard

Titre : Megg, Mogg & Owl. Happy Fucking Birthday

Auteur : Simon Hanselmann

Editeur : Misma, 2017

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