THE SHAPE OF WATER – GUILLERMO DEL TORO

Sous la surface, il se passe beaucoup de choses si l’on prend la peine de s’arrêter et d’observer. Prenez le métro parisien par exemple. Pour tous ceux qui connaissent la station République et ses couloirs tentaculaires, il est un endroit où la RATP a plutôt bien fait les choses en matière de politique culturelle (et c’est tellement rare qu’il faut le signaler) : un spot spécialement dédié aux musiciens. Ce n’est pas le seul évidemment mais c’est celui qui me vient de fait à l’esprit, vu que j’y passe désormais tous les jours. On peut y voir et entendre de vrais artistes, je dis “vrai” au sens de compositeur. Et parfois, rarement, on y entend aussi des aberrations, des supplices pour l’oreille. Il y’a quelques semaines, je rentrais du boulot (Aye-hee-aye-ho !) et, en m’approchant de cet endroit, j’entends de loin s’égrener les premières notes de Smells like teen spirit. J’exultais, connaissant la qualité des interprètes qui habituellement joue à cet endroit, mais je déchantais très vite lorsque j’assistais, médusé et/ou hilare, je ne sais plus, à une reprise du brûlot de Seattle en trois temps mode reggae. Ce n’est pas que je n’aime le reggae, entendons-nous bien, mais là, non, c’est juste raté les gars.


Pourquoi je vous raconte tout ça, sachant que même mes deux plus assidus lecteurs se fichent pas mal de mes errances urbaines ? Tout simplement parce que le dernier film de Guillermo del Toro m’a lui-même rappelé cet événement douloureux et l’après-goût qu’il a suscité : un goût d’ennui arrosé de déception, et peut-être un peu teinté de moquerie. Pourtant, pourtant, pourtant… J’étais parti avec cette vigilance propre à tout bon cinéphile, cette presque maxime vissée à l’esprit : Ne Jamais Trop Attendre d’un Film ! Toute forme d’expectative irraisonnée nuit à la lecture sereine d’une œuvre, c’est la Règle Numéro Uno du rat de cinémathèque. Quand bien même on serait amoureux d’un réalisateur ou d’une actrice, il faut se garder d’ouvrir son cœur aveuglément au risque de ne plus savoir distinguer le bon vin de l’ivraie. Je n’attendais donc rien de particulier du nouveau long-métrage du réalisateur mexicain, si ce n’est que je lui avais accordé, eu égard de ses précédentes prestations des plus honorables, un handicap de départ plutôt favorable. D’autant plus que Guillermo del Toro fait partie de cette nouvelle génération de cinéastes, nourrie aussi bien à H.P. Lovecraft qu’aux Muppets, à Mary Shelley qu’aux comics de super-héros, proposant ainsi une œuvre pop totalement décomplexée, aux ramifications multiples et aux univers, en conséquence, extrêmement riches. En témoigne Le labyrinthe de Pan qui reste à mes yeux son chef d’œuvre : fable baroque à mi-chemin entre Füssli et le mélo pour ménagère, Del Toro est parvenu avec ce film à synthétiser un ton, un formalisme, une esthétique à nul autre pareil. Et malgré le coup d’essai transformé avec l’adaptation du HellBoy de Mike Mignola, il semblerait que Del Toro ait, comme les Enfants Perdus de Peter Pan, oublié la formule magique en sortant du labyrinthe.

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Dans The Shape of Water, il y’a beaucoup de mauvaises idées et une seule bonne idée. Et cette idée, Guillermo del Toro l’accommode à toutes les sauces, la répétant jusqu’à épuisement du spectateur : l’essentiel est invisible pour les yeux bla bla bla. Comme dépourvu de toute originalité, le réalisateur s’évertue à brandir cette idée à tous les recoins du scénario pour caractériser ses personnages : l’héroïne est une jeune femme muette, balayeuse de son état, qui se révèle être une mélomane hors pair au cœur débordant d’amour, son meilleur ami est un vieux roughman, artiste accompli pourtant mis au ban de son métier car inadapté aux nouvelles techniques de la publicité. Et il est gay en plus, donc (sic) vieux et solitaire. Qu’on vienne m’expliquer pourquoi Del Toro a voulu défendre cette juste cause tout en la marginalisant car le sort intime du vieil homme est expédié manu militari en une petite scène anecdotique ?! Et on continue avec le scientifique froid qui se révèle être un philanthrope anti-militariste, etc. Et beaucoup de personnages subalternes sont afro-américains et l’Amérique (blanche) est raciste et hypocrite dans les années 50, quoi qu’elle en dise dans ses néons, sa musique et ses avancées technologiques. Et la plupart des hommes sont veules contrairement à la bête qu’on découvre plus humaine que nos congénères développés du cortex. Tous les constructions de personnages sont paresseuses avec une mention spéciale pour le méchant. Pauvre Michael Shannon, dont le jeu se résume à une unique expression mélangeant sadisme et lubricité, comme sorti d’un épisode de Scooby-Doo

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Passée cette première désillusion, je m’attendais tout de même à une belle mise en scène, des trouvailles visuelles dignes de la scène du buffet dans Le Labyrinthe ! Las. À déclamer son amour pour les grandes heures du cinéma hollywoodien, Del Toro en a oublié, comme il avait pu le faire précédemment, d’offrir une proposition pertinente. Or, ici, on ne voit que dépoussiérage, re-liftage et hommage appuyé. Beau, indéniablement un bel ouvrage avec ce qu’il faut de souci du détail, de clins d’œil cinéphiles, mais une pâle copie, une commémoration d’une esthétique de cinéma qui sent bon la naphtaline. Loin de la polémique, il est d’ailleurs assez marrant de voir aujourd’hui un Jean-Pierre Jeunet flinguer Del Toro et l’accuser de plagiaire quand on se souvient des accusations de rétrograde et de traditionaliste dont avait fait l’objet le réalisateur d’Amélie Poulain. Loin de la polémique, disais-je, tout le baroque, tout le charnel, tout l’intense de la filmographie du mexicain se dilue dans cette fable pour enfants mièvre et sans saveur. Je ne parlerai pas de la musique d’Alexandre Desplat qui donne envie d’enfiler un pantalon en velours marron, un gilet avec des empiècements aux coudes et de siroter une infusion à la bergamote.

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Ah ! Parlons-en de cette fausse polémique, il faudrait être sacrément cuistre pour oser dire que la création n’est que pure abstraction et non le simple fait de faire et défaire. En fait, là on dirait pas mais je l’ai bien vénère en fait. Parce Guillermo Del Toro, s’il est auteur d’un crime odieux, c’est bien d’avoir usurpé l’Étrange Créature du Lac Noir de Jack Arnold, mon diamant noir d’apprenti-cinéphile en culotte courte. Ce bijou brut d’aventure et d’horreur de 1954 dont Del Toro s’est fortement inspiré, ma Madeleine de Proust, mon Genou de Claire à moi qui ne méritait décidément pas une telle actualité. Je ne vous suggère d’ailleurs que de vous précipiter dès que cette pépite intemporelle ressort en salles, s’épargnant ainsi la vision de cette forme dans l’eau-ci, plus vaseuse que rafraîchissante.

Sortie le 21 février 2018

Réalisation et scénario : Guillermo del Toro

Avec dans les rôles principaux :
Sally Hawkins : Elisa Esposito
Michael Shannon : Colonel Richard Strickland
Richard Jenkins : Giles
Doug Jones : l’homme amphibien
Michael Stuhlbarg : Dr Robert Hoffstetler
Octavia Spencer : Zelda D. Fuller
Lauren Lee Smith : Elaine Strickland
Nick Searcy : Général Hoyt

Texte : Jimmy Kowalski

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