SPARRING – SAMUEL JOUY

Pour Bourdieu, la sociologie est un sport de combat. Même si je n’ai jamais vraiment su ce que cet aphorisme voulait dire, ça fait toujours bien de citer un auteur. À en croire certains, le documentaire de Pierre Carles évoque la pensée en mouvement dans le quotidien du penseur. Ce à quoi je voulais en venir en faisant le malin avec ma citation, c’est que Sparring, premier long-métrage de Samuel Jouy m’a fait penser, par sa forme et son écriture, à ce titre emblématique. Pour cet acteur passé à la réalisation, le film de boxe, film de genre par excellence, est un acte politique.

Rocky, Raging Bull, Million Dollar Baby, Fighter, The Set-up (Nous avons gagné ce soir), Girlfight, etc. Tous ces films racontent invariablement la même histoire avec ses variantes : un combat. À proprement parler, il n’y a rien de moins éloigné des premiers récits mythologiques qu’un film de boxe. Ni plus ni moins qu’un hommage viril à la force physique et à la ténacité, où le bruit des poings frappant la chair servent de lignes de dialogue. Cependant, que ce soit Robert Wise, Sylvester Stallone ou Clint Eastwood, chaque réalisateur ayant apporté sa touche à la longue liste des films sur le noble art, s’est nettement démarqué des films d’arts martiaux, de combat, de baston, appellez ça comme vous voulez, en ancrant son récit, soit dans une temporalité ou bien un territoire plus vaste que la simple arène, que le simple ring. L’un y parle de la mafia, celui-ci du racisme, celui-là des rapports hommes-femmes. Avec Sparring, Samuel Jouy, lui non plus, ne se contente pas de nous livrer un récit linéaire au timing millimétré – ascension/chute/rédemption (et son lot de péripéties) d’un personnage seul face à l’adversité – mais plutôt une topographie complexe et documentée d’une classe sociale de la population française. Avec l’impartialité qu’on accorderait plutôt à un documentariste, le réalisateur dépeint avec un souci de vérité le quotidien des boxeurs d’en bas et de leurs proches. Ou plutôt devrais-je dire, et c’est là que s’exerce toute la beauté humble de ce long-métrage, le quotidien des gens d’en bas, des petites gens. Ceux qui sont groggy chaque deuxième semaine du mois, terrassés par les factures, harassés par des boulots de galérien – lui cuistot en restauration de collectivités, elle employée dans un salon de coiffure – plaqués au sol par leurs rêves qui finissent par devenir des fardeaux à force d’emplir leurs têtes sans se réaliser.

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Marion et Steve vivent aux abords d’une grande ville de Normandie, Le Havre, Dieppe ou une autre. Peu d’importance tant ces coins de France ont la dèche collée aux basques. Steve (Kassovitz, grand gagnant de l’interprétation pour le coup) est un vieux boxeur. Une vie presque gagnée. Mais, alors que vient l’heure de raccrocher après cinquante matchs et seulement treize victoires, aucune depuis maintenant trois ans, l’idée de finir sur une défaite de plus semble l’avoir définitivement relégué aux rangs des perdants. En filigrane, on lit souvent, dans le film de Samuel Jouy, les travaux de Maslow et sa “pyramide des besoins”. Marqué à vie par une carence des besoins primordiaux (physiologiques, sécurité, appartenance) le personnage de Steve voit son sentiment d’être utile et son besoin de s’accomplir se désagréger après chaque match. Steve a perdu l’envie, ou semble ne plus avoir envie. Lorsque un poste rémunérateur de sparring se présente, l’homme n’hésite pas une seconde, préférant mettre sa propre vie en danger plutôt que de laisser sa compagne et ses enfants dans la précarité. Pour mémoire, un sparring est un partenaire destiné à faire de l’opposition à un athlète en vue de la préparation d’un match. Autrement dit, un rôle de sac à viande, certes expérimenté mais moins performant, pour encaisser les coups du champion.

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Pourtant, bien que l’écueil du mélodrame déchirant était de taille – le boxeur déchu s’engage dans un combat presque plus dangereux qu’un match pour payer des cours de piano à sa fille – ni Samuel Jouy et encore moins Mathieu Kassovitz dans le rôle du boxeur, ne versent dans la facilité du tire-larmes. Quelques grosses ficelles mais c’est de bonne guerre. Bien au contraire, le film s’attarde sur la trajectoire faite de ténacité et, au final, de résilience, des personnages dans ce monde où chaque geste est un acte de bravoure de chaque instant. Ici, pas de méchant ni de gentil. Seulement des hommes et des femmes dans une société où l’argent monétarise les vies. Pourtant, la visée du film de Samuel Jouy n’est pas tant de dénoncer les inégalités criantes de la société libérale contemporaine que de démontrer les efforts surhumains de persévérance que doivent déployer les basses classes pour tenir le coup. La vie est une lutte quotidienne.

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Malin, le réalisateur n’accuse pas, ne victimise pas. La seule violence à l’encontre des populations en bas de l’échelle sociale passe par la caméra qui s’emploie à montrer un monde extérieur qui sort perpétuellement du cadre, un monde inaccessible aux protagonistes. À défaut, elle filme l’intérieur presque vide du frigo de la famille, le linge dans la machine à laver, les dessins sur les murs de la chambre des enfants. Un quotidien sobre et sans apparat. Et lorsque Steve effectue le trajet de son domicile au lieu de l’entraînement, et plus tard, du dernier combat, le casino de Deauville en l’occurence, on détermine les lieux traversés plus comme des balises, des repères visuels, que comme des lieux d’action voire d’appartenance. L’important, le cœur battant du récit étant bien évidemment le ring. Épure visuelle et symbolique : un carré délimité par des cordes où, comme le dit un vieil entraîneur, on s’y bat vraiment lorsque quelqu’un croit en nous. À commencer par soi-même.

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J’ai toujours eu beaucoup d’affection pour les losers. Qu’ils soient magnifiques ou pas, il y’a dans cette figure récurrente toute la quintessence du héros. S’il démérite (si tant est qu’on puisse y voir une question de mérite) par rapport au gagnant, le loser n’en a pas pour autant éviter de combattre, bien au contraire. Et c’est dans cette détermination que se trouve, à mon sens, toute la beauté de son geste.
Et, puisqu’il faut une fin au film, quand une détermination vient enrayer un déterminisme social, c’est encore plus beau.

Sortie le 31 janvier 2018

Réalisation et scénario : Samuel Jouy
Musique : Olivia Merilahti

Avec dans les rôles principaux :
Mathieu Kassovitz : Steve Landry
Olivia Merilahti : Marion Landry
Souleymane M’Baye : Tarek M’Bareck
Billie Blain : Aurore Landry
Tomy Leconte : Oscar Landry
Lyes Salem : Omar
David Saracino : David
Yves Afonso : l’entraîneur de Steve

Texte : Jimmy Kowalski

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