[Littérature] – DROOD de Dan Simmons

Drood est une biographie romanesque de l’écrivain Charles Dickens, raconté à travers les yeux de son contemporain et ami Wilkie Collins. De l’accident de train de Stapenhurst (juin 1865), où Dickens en ressort miraculeusement, jusqu’à sa mort 5 ans plus tard jour pour jour. Intrigue mystique intégrée aux faits historiques, détournement avec le plus grand respect. Dan Simmons nous fait voyager de nuit dans le Londres de l’époque victorienne.

stapenhurst dickens 1865

Drood est un personnage flou et ténébreux que rencontra Dickens lorsqu’il aida les victimes de l’accident de train à Stapenhurst. L’apparition aux allures de faucheuse le regarde puis disparaît. Ce personnage le hantera jusqu’à sa mort. Il met dans la confidence Wilkie Collins, son proche ami. Et Collins nous livre le tout dans ce gros livre (1200 pages aux éditions Pocket – 900 pages aux éditions Robert Laffont). Mi-réaliste, mi-mystique. D’autant plus mystique que Collins consomme du laudanum, dérivé d’opium, ce qui n’arrange pas les méandres hallucinatoires et sa paranoïa. Voici aussi une des forces de ce roman : où sommes-nous ? Où allons-nous ? Réalité or not ? Nous suivons notre narrateur dans cette course enfumée à la recherche de ce qui semble être une étrange vérité. Certains détails font penser à la Confession d’un mangeur d’opium anglais (1822) de Thomas de Quincey. L’ambiance est assez pesante et poisseuse. L’enquête officieuse et celle officielle fleurent bon l’opium et le fantastique. Par-dessus, Dan Simmons mène également sa propre enquête : le dernier roman inachevé de Dickens s’intitule Le mystère d’Edwin Drood… Un réel mystère entoure ce roman et son écriture. Il n’en fallait pas davantage à Dan pour fouiner et essayer de combler les zones d’ombre !

mystery of edwin drood

Charles Dickens (1812 – 1870), écrivain britannique très populaire, prolifique, respecté et souvent adapté encore de nos jours, est ami de longue date avec William Wilkie Collins (1824 – 1889) également grand écrivain. La personnalité forte du premier fait un peu d’ombre sur le second. Avec Drood, nous avons deux biographies pour le prix d’une, avec notamment moult détails sur l’univers et les œuvres de Dickens. Culpabilité de ne pas avoir lu tous les livres contextualisés dans celui présent entre nos mains ? Que nenni : on se sent comme dans un salon velours cosy, lumière tamisée, une tasse de thé ou un verre de brandy à portée de main, avec ce cher Wilkie qui nous raconte l’histoire de son pote et du mystère qui les entoure. On découvre un Charles intime. J’ai adoré ce passage où Dickens écrit et se regarde dans un miroir juste à côté de lui. Collins lui demande WTF et Charles, tranquille, explique qu’il fait les expressions faciales de ses personnages pour mieux pouvoir les décrire. Extravagance de génie.

Londres. Immersion. Version mondaine avec les galas donnés à la maison familiale de Dickens ou version bas-fonds londoniens avec pauvreté et misère. Réalisme avec une narration très gentlemen anglais, charme époque victorienne, qui n’est pas sans rappeler les Sherlock Holmes de Sir Arthur Conan Doyle, dont les romans et les nouvelles sont des “biographies” de Holmes via les yeux du Docteur Watson. L’un Inimitable, l’autre ami et faire-valoir. Les deux duos et les compères narratifs se ressemblent.

dickens et wilkie collins

(Charles Dickens à gauche et Wilkie Collins à droite)

L’histoire de Drood raconte également l’histoire de l’écriture du roman Pierre de lune de Wilkie Collins, un des premiers romans modernes de détective (1868) à l’énorme succès. Le mesmérisme prendra une grande part dans Pierre de lune et ses origines se retrouvent ici. Imbrication des faits et des personnages. J’ai bien aimé également cette mise en abîme du milieu de l’écriture. Qui dit histoire d’écrivains, dit problématiques et mécanismes d’écriture, mais aussi monde de l’édition. Back to the past, une partie de l’histoire littéraire anglaise est décrite, autant industrie que création.

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A mon avis, le plus incroyable avec le style de ce roman, c’est que Dan Simmons a réussi le pari de l’écrire à la manière de Wilkie Collins : même ton, même détails, même narration. Après ma lecture de Drood, j’ai sauté sur La Dame en blanc de Wilkie Collins. Bluffant à la limite du flippant. La reproduction du style et de l’humour avec autant de respect et de perfectionnisme est complètement confondante. Ce mec est un ouf et la traductrice française Odile Demange a bien rendu l’ensemble.

Dan Simmons, Charles Dickens, William Wilkie Collins, le Londres victorien, le fantastique, la littérature anglo-saxonne… il y a beaucoup de raisons pour apprécier le roman Drood. Le style d’écriture de “ce bon vieux Wilkie” met à l’aise. Nous sommes transportés dans le temps à la rencontre de personnalités littéraires influentes, mais aussi de personnages secondaires atypiques et improbables (comme Dradles le gars des cryptes ou l’inspecteur Fields). Bref, Drood est un bon roman si on aime un peu tout cela.

Je peux tout tolérer – chez un chien comme chez un homme – si ce n’est le refus ou l’incapacité d’apprendre.” Charles Dickens

 
 
Texte : Anna Void
 
drood dan simmons
 
Titre : Drood
Auteur : Dan Simmons
Edition anglaise : Little, Brown and Company, 2009
Edition française : Robert Laffont, 2011

1 Comment

  1. J’ai adoré ce livre ! Un bon pavé mais qui se délecte. J’ai moi aussi été perdu entre réalité et imaginaire. Très sympa !
    Et j’avoue, je me suis aussi jeté sur la Dame en blanc. C’est peut-être ce que je retiens le plus du roman, la découverte de Collins !
    Merci de m’avoir fait revivre la lecture de Drood !

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