
Medellin : deuxième ville de Colombie avec plus de 3 millions d’habitants, un climat printanier continue avec une température de 22° en moyenne, un dynamisme économique et une transformation urbaine remarquable, qui lui ont value en 2013 le titre de Capitale urbaine de l’innovation par le Wall Street Journal et le Urban Land Institute. Une ville dynamique et haletante, portée par ses « paisas », mais plus connu sous nos contrés occidentales comme la ville du narcotrafic et des narco-dollars, dont la figure de Pablo Escobar, leader incontournable du Cartel de Medellin et mort en 1993, a récemment été immortalisé dans la série Netflix « Narcos ».
A l’occasion de l’année France-Colombie 2017, le musée des Abattoirs – Frac Occitanie Toulouse, en co-production avec le Museo de Antioquia – Medellín, réunit pour la première fois en Europe près de 40 artistes valorisant les pratiques artistiques dans la région d’Antioquia et sa capitale Medellín des années 1950 à nos jours. Cette « saison croisée » avec la France est d’autant plus symbolique que l’accord de paix entre le gouvernement colombien et les FARC a été ratifié fin 2016, signant l’espoir d’un futur meilleur après plus de 50 ans de conflit armé colombien, le plus long à l’intérieur du continent sud-américain. Ce conflit, qui en France a surtout été visible à travers l’enlèvement d’Ingrid Betancourt (2002-2008) et les nombreuses frasques liées au narcotrafic, a laissé de profondes blessures au sein du pays : au cours des cinq dernières décennies, on estime que le conflit a causé plus de 260 000 morts, 45 000 disparitions et plus de 7 millions de personnes déplacées.
A travers le regard des artistes invités, l’exposition propose de passer à travers différentes thématiques liées au conflit et de montrer comment la création contemporaine oolombienne analyse et rend compte des traumatisme provoqué par le conflit. La muséographie est claire et soignée, choisissant de diviser l’espace à la fois par thématique et chronologie, en gardant toujours une distance suffisamment importante pour démontrer la complexité de la thématique, en ligne avec le besoin de dialogue et de prise en considération des différentes parties prenantes du conflit et des dommages collatéraux causés.
Retour sur quelques-unes de ces œuvres, représentative (mais non exhaustive) de l’histoire du conflit colombien.
Miguel Angel Rojas | David | 2005
Photographie, 200×100 cm
Artiste emblématique de la scène colombienne, Miguel Angel Rojas réussit avec son David une étrange sensation de beauté et d’inconfort à la fois. Référence évidente par sa pose et sa morphologie au David de Michelangelo Buonarroti, cette réinterprétation moderne est à y regarder de plus près beaucoup plus dérangeantes: elle représente un jeune homme auquel il manque une partie de sa jambe gauche. Passé le frisson esthétique provoqué par la photo, car on pourrait croire qu’il s’agit d’une manipulation photographique afin de rappeler les statues antiques, souvent dépourvues d’un membre, on rentre dans l’horreur de la réalité du modèle: celle d’un soldat colombien de 18 ans, victime d’une mine antipersonnel. L’oeuvre est ainsi représentative d’une facette du conflit: deuxième pays au monde avec le plus de victimes de mines antipersonnel après l’Afghanistan, celles-ci ont été utilisées par tous les forces armées, aussi bien du côté du gouvernement, des paramilitaires que de la guérilla, faisant plus de 11 000 victimes à ce jour. La photographie est d’autant plus poignante que, contrairement à l’oeuvre florentine qui représente David s’apprêtant à combattre Goliath, le David colombien est complétement désarmé face au conflit.
Ethel Gilmour | Colombia bien, Colombia no tan bien | 1983
Huile sur metal, 8 x 64 x 5 cm
Dans Colombia bien, Colombia no tan bien, Ethel Gilmour s’empare d’un objet quotidien, le machete, qui avec sa lame d’envion 50 cm est un outil commun de la vie rurale colombienne, et reflète dans un style naïf deux aspects fondamentaux de la Colombie dans laquelle elle vit et de l’usage fait de cet objet. Côté « Colombia bien », on retrouve un paysage luxuriant, qui n’est pas sans rappeler les représentations colorées des chivas, bus populaires de transport de personnes et de marchandises, et représentant l’exubérance de la faune et de la flore de la Colombie, l’un des pays les plus riches en matière de biodiversité. Le machete, qui permet de « domptée » cette nature à coup de lame, est bien évidemment à double tranchant. Côté « Colombia no tan bien », l’exubérance de la vie se retrouve dos à dos avec celle de la mort. Isolé près du manche de la machette, on retrouve un drapeau colombien, perdu au milieu des corps saignants et démembrés. On est alors en droit de ce demander au nom de quelle Colombie il est possible de justifier autant de morts et de victimes. Cette oeuvre est également représentative d’un trait de caractère national : ce territoire riche et divers est ainsi tout à la fois sujet d’orgueil mais également de convoitise et de conflit selon celui qui s’empare de “l’objet d’étude”.
Libia Posada | Signos Cardinales | 2010
Photographie, 100×80 cm (chacune)
A la fois artiste et médecin, Libia Posada étudie le corps humain et sa santé en tant qu’élément révélateur d’une société fragilisée. Dans sa série Signos Cardinales, l’artiste va à la rencontre de femmes “déplacées” par le conflit armé colombien ou bien encore l’expropriation de leur territoire en raison des ressources naturelles (or, pétrôle, charbon, émeraude, etc). A hauteur de sol, sa série de photographies nous entoure de passantes témoignant de leur périple. Elle cartographie sur ces jambes les milliers de kilomètres parcouru, faisant le récit partiel de ces itinérance. Marques éphémères sur le corps, elles permettent d’affirmer une histoire et d’incarner une souffrance, avec une précision et une distance scientifique. Avec plus de 7 millions de déplacés sur un territoire de moins de 50 millions d’habitants, Libia Posada témoigne d’un vrai problème de société, qui touche principalement ses couches les plus fragiles. Ces femmes sont les témoignages vivant de cette errance engendrées par les luttes de pouvoir et permet de révéler en pudeur des cicatrices, émotionnelles et physiques, engendrées par cette violence au long cours. Elle offre à ces femmes et au visiteur un point de départ et d’arrivée, afin de mieux envisager le chemin fait et à et construire un atlas de la Colombie, née de la géographie sentimentale de personnes. Les femmes passent de la position de victimes à celle de pouvoir en se réappropriant leur corps/territoire, faisant ainsi les premiers pas vers un travail de mémoire essentiel dans un processus de paix et de reconnaissance des victimes.
Medellín, une histoire colombienne
Du 29 septembre 2017 au 21 janvier 2018
Les Abattoirs, Toulouse
Site web: http://www.lesabattoirs.org/expositions/medellin-une-histoire-colombienne
Texte: Denise
Photos ©Les Abattoirs
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