
Hollywood et Washington. Un vieux couple qui se déteste mais dont les membres respectifs ne pourraient pas vivre séparés… Depuis Naissance d’une Nation de D. W. Griffith, le cinéma états-unien a pondu presque autant de louanges à l’égard du pouvoir qu’il n’a balancé de brûlots incendiaires contre le locataire de la Maison-Blanche. Pourtant, depuis janvier 2017, date de l’investiture du président Trump, à l’exception de Detroit de Kathryn Bigelow, peu de réalisateurs ont tapé sur la politique du milliardaire le plus à l’Ouest de l’histoire des États-Unis. Depuis le hold-up de l’affairiste sur le monde occidental, avec sa réthorique binaire, ses forfanteries navrantes, son incontrôlable logorrhée de bourdes diplomatiques, les frasques de Donald ont pourtant offert des pitchs en or massif aux scénaristes hollywoodiens. C’est finalement en la personne de George Clooney, démocrate convaincu, que se manifeste sur les écrans la gueule de bois de l’Amérique. En route pour Suburbicon !
On connait tous l’image d’Épinal de l’American Way of Life : la banlieue pavillonnaire aux pelouses bien tondues, aux Studebaker tous chromes rutilants, aux ménagères apprêtées dont la progéniture babille dans le living-room design. Le prologue de Suburbicon nous plonge à grand renfort de poncifs et de suaves mouvements de caméra à la maîtrise léchée dans cette Grande Amérique de l’après-guerre, l’Amérique des vainqueurs, dans cette périphérie urbaine où il fait bon vivre. Certes ! Mais pas avec n’importe qui. Symbole de l’hégémonie W.A.S.P. sur le reste des minorités, Suburbicon est la quintessence d’un racisme érigé en mode de vie, en système de pensée à l’échelle d’une société, la haine et l’horreur rendues banales et normalisées.

Quand une paisible famille d’Afro-américains décident de s’installer dans ce havre de paix, dans cette théorie urbaine résultant à la fois du capitalisme et du judéo-christianisme, il suffit qu’un jeune garçon blanc décide d’échanger quelques balles de base-ball avec le fils de ladite famille pour qu’un ouragan de folie s’abatte sur la paisible banlieue. Le réalisateur, malgré l’utilisation de grosses ficelles et de références (parfois trop) appuyées aux grands standards du film politique et du thriller, fustige sans le moindre ménagement ce discours simpliste qui prône le repli sur soi sous couvert de conservation d’un équilibre rétrograde. Avec calme et détermination, Clooney pose un cadre historique pour y installer la véritable intrigue, aidé en cela par les frères Joel et Ethan Coen qui lui prêtent un vieux scénario sortis des cartons. Un scénario simple mais efficace : l’habit ne fait pas le moine.
À la suite du meurtre crapuleux de Rose, sa femme handicapée, par deux truands, Gardner Lodge, un homme d’affaires, tente de refaire sa vie, accompagné de son jeune fils Nicky et de Margaret, la sœur jumelle de la défunte. Pourtant, les choses vont mal tourner, et toute crédulité effacée, le spectateur soupçonne vite le veuf faussement candide et éploré (un Matt Damon bouffi et bilieux parfait dans ce rôle à contre-emploi) d’être salement impliqué dans la mort de son épouse. Après de multiples rebondissements où l’humour décapant se mélange à l’effroi pour notre plus grand plaisir, et ce, malgré la désagréable impression de parfois voir une pâle resucée de Fargo, l’incomparable chef d’œuvre des mêmes frères Coen, rire de la tragédie et de la bassesse du genre humain reste indiscutablement un parfait remède à la morosité hivernale.
Mais quid de l’émeute raciale, me direz-vous ? Seule vraie bonne idée du film, le trio malin utilise un principe de montage en parallèle pour proposer un récit en miroir déformant, chaque évolution, chaque franchissement d’une des 2 histoires n’étant là que pour faire écho à l’autre. Plus on en apprend sur l’ignominie dans laquelle se vautre sournoisement le personnage de Lodge, moins la foule des nostalgiques de la ségrégation ne cache son hostilité envers la famille des indésirables nouveaux locataires. Plus le film avance, moins le discours de fausse tolérance et de bigoterie vertueuse ne tient ses promesses pour finalement s’effondrer dans la dernière séquence et verser dans l’abjection la plus totale.
Pourtant, alors que le générique défile, on ne peut s’empêcher de rester sur sa faim. Les frères Coen sont indéniablement de très bons conteurs d’histoires, Clooney est un honnête metteur en scène, mais un tel sujet aurait nécessité un traitement moins raffiné, optant pour une surenchère calibrée à la mesure de ce que le réalisateur et ses acolytes dénoncent en filigrane. D’ailleurs, cette nouvelle interprétation de Matt Damon assoit définitivement son statut de “nouveau Tom Hanks”, le gendre idéal d’Hollywood à qui l’on refourgue tous les rôles emblématiques, mais dont la force de dénonciation est ternie par une bien-pensance polie. Quand on attendait un « Trump galvanise ses électeurs de classes populaires avec un discours impérialiste à la grossièreté assumée, contribue à diviser les communautés avec des peurs millénaristes, attise la haine et engendre la violence » ou toute autre diatribe un brin plus complexe, on se retrouve avec un solennel et un peu réchauffé « la cupidité c’est mal, le racisme aussi. PS. : les afro-américains sont gentils. Ce n’est pas bien de les lyncher ! » .
Dommage, alors qu’avec un tel casting (mention spéciale à Damon et Moore), on aurait aimé ressentir de plus fortes amplitudes émotionnelles, et surtout un discours qui ne tombe pas dans les travers schématiques de ce qu’il veut dénoncer. Finalement, le nouveau film de George Clooney souffre d’une trop prestigieuse généalogie. Il est dur d’arriver après les Capra, Ford, Pakula, Gavras ou Schlesinger, quand bien même l’interprétation des trois principaux acteurs montre un indéniable savoir-faire, Julianne Moore glaçante dans son rôle de marâtre manipulatrice et Oscar Isaac hilarant en agent d’assurances faussement naïf. Quand la réalité en vient à dépasser la fiction, quand les suprémacistes défilent avec les faveurs de la Constitution, la caméra doit redevenir une arme, avec dans sa ligne de mire, autre chose qu’une statuette en or.
Sortie le 6 décembre 2017
Réalisation : George Clooney
Scénario : George Clooney, Joel et Ethan Coen et Grant Heslov
Avec dans les rôles principaux :
Matt Damon : Gardner Lodge
Julianne Moore : Rose / Margaret Lodge
Oscar Isaac : Bud Cooper
Noah Jupe : Nicky Lodge
Glenn Fleshler : Ira Sloan
Megan Ferguson : June
Jack Conley : Hightower
Gary Basaraba : oncle Mitch
Michael D. Cohen : Stretch
Karimah Westbrook : Mrs. Mayers
Leith Burke : Mr. Mayers
Tony Espinosa : Andy Mayers
Texte : Jimmy Kowalski
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