
- La musique adoucit les mœurs, disait Nietzsche. Je ne suis pas sûr que cette maxime s’applique au son torturé (et parfois hermétique) de Laibach mais en tout cas, c’est bien sous le patronage de l’illustre philosophe allemand que les slovènes ont composé leur dernier opus, « Also sprach Zarathoustra », sorti le 14 juillet dernier sur le label Mute Records. A la base, les morceaux avaient été composés pour une pièce de théâtre adaptée de l’œuvre phare de Nietzche, « Ainsi parlait Zarathoustra ». Par conséquent, le 9ème et dernier album de Laibach n’est pas qu’un énième disque du groupe mais une œuvre artistique à part entière. Aux antipodes de son prédécesseur « Spectre » sorti il y a trois ans, « Also sprach Zarathoustra » est plutôt orchestral, aride et assez difficile d’accès. Par ailleurs, nous le savons tous : Le groupe vieux de 37 ans n’a jamais été avare en polémiques. En effet, la provocation est devenue avec le temps une marque de fabrique de cette formation. Le fameux concert qu’ont donné ses membres à Pyongyang en Corée du Nord (à savoir l’un des pays les plus fermés au monde) en août 2015 (1) en témoigne ! Incontestablement, Laibach (2) n’est pas pour ainsi dire un groupe politiquement correct, s’appliquant depuis sa création à jouer autant avec une imagerie crypto fasciste qu’avec l’esthétique lugubre du communisme, brouillant ainsi les pistes. Qu’importe les rumeurs à son encontre colportées par certains : Le groupe s’en amuse sans jamais ressentir le besoin de se justifier. D’ailleurs, Laibach n’est pas qu’un simple groupe, c’est bien plus que ça ! De toute évidence, c’est un concept bien rôdé avec une identité visuelle très forte (3). Enfin, le groupe appartient à un collectif d’artistes, le NSK (Neue Slowenische Kunst).
Bref, lorsque j’arrive aux abords du Trabendo qui se trouve à la porte de Pantin, j’apprends qu’un autre groupe, beaucoup plus consensuel celui-ci, est programmé pour jouer non loin de là au Zénith de Paris : Gorillaz. La faune qui se promène le long du chemin qui mène au Trabendo (et plus loin au Zénith) est donc assez éloignée de celle qui s’apprête à voir Laibach sur scène. A l’entrée, j’apprends que les appareils photos sont interdits dans la salle (Etrange, n’est-ce pas ?). Une fois à l’intérieur, la chaleur est à son maximum. Il n’y a pas de première partie et à peine suis-je à l’intérieur de la salle que le concert commence. Il y a tellement de monde massé devant la scène qu’il est difficile de se frayer un chemin. Des écrans diffusent des images en arrière-plan, parmi lesquelles un fœtus dans son liquide amniotique, un rapace et des montagnes. L’atmosphère est oppressante : A la chaleur moite s’ajoute l’hermétisme de la musique. Le chanteur Milan Fras arrive sur scène, le front ceint par sa légendaire coiffe. Le groupe entame un set dédié quasi entièrement à son dernier opus nietzschéen. La chanteuse Mina Spiler fait son entrée sur le titre « Vor Sonenn Aufgang », rajoutant la petite touche de glamour qui manquait jusque-là. S’ensuit un set qui fait la part belle aux morceaux des anciens disques du groupe, comme la reprise du morceau « Cold Song » du compositeur Henry Purcell, le très martial et dansant « Antisemitism » (extrait de leur album de 2003, « Wat »), une version modernisée d’un titre de leur premier album éponyme de 1985, « Brat Moj » ainsi qu’un morceau chanté en français, « Le privilège des morts » (tiré de leur album de 1992, « Kapital »). Les projections en arrière-plan continuent, parmi lesquelles des images extraites du court-métrage « Yukoku » (patriotisme) de l’écrivain japonais Yukio Mishima (5). Laibach joue à nouveau un morceau tiré de l’album « Kapital », à savoir le très martial et technologique « Wirtschaft ist tot » (4) avant de quitter la scène. Après quelques minutes de battement, ils reviennent à l’occasion des rappels pour jouer deux titres de leur album de 2014, « Spectre ». Il s’agit du très entraînant « Bossa nova » suivi de « See that my grave is kept clean », reprise du bluesman Blind Lemon Jefferson, sur laquelle se clôt le concert. Au final, les slovènes nous auront offert un concert aussi surprenant qu’inattendu, mettant volontairement de côté leurs morceaux les plus connus et les plus emblématiques (notamment leurs reprises des grands titres de la musique pop comme notamment celle de « Life is life » du groupe Opus).
Setlist :
Von den drei Verwandlungen
02. Ein Untergang
03. Ein Verkündiger
04. Von Gipfel zu Gipfel
05. Das Glück
06. Die Unschuld II
07. Das Nachtlied II
08. Das Nachtlied I
09. Als Geist
10. Vor Sonnen-Aufgang
11. Parnassus
12. Cold Song
13. Antisemitism
14. Brat Moj
15. Hell: Symmetry
16. Le Privilège des Morts
17. Ti Ki Izzivas
18. Wirtschaft ist tot
Rappel :
19. Bossanova
20. See that my Grave is Kept Clean
1 : Ce concert a même donné lieu à un documentaire réalisé en 2016 sous le nom de « Liberation day » et que j’ai pu voir à L’Etrange festival cette année.
2 : Pour les néophytes, le nom de Laibach renvoie au nom attribué par les allemands à la ville de Ljubljana pendant l’occupation nazie de la Yougoslavie
3 : Par exemple, la croix noire sur fond blanc qui leur fait office de logo a été repris d’un tableau célèbre du peintre russe Kazimir Malevitch, chef de file du « suprématisme »
4 : Ce qui signifie « L’économie est morte »
5 : Hasard ou non, le suicide par hara kiri de Mishima a eu lieu le 25 novembre 1970, soit presque 47 ans jour pour jour du concert à Trabendo !
Texte : Mathieu
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