
Le trouble dissociatif de l’identité (DTI ou anciennement trouble de la personnalité multiple) est un phénomène passionnant et intriguant. Réalité, manipulation, interprétation… trouble diagnostiqué assez récemment, donc à prendre avec des pincettes. En dehors des fantasmes d’une dualité gentil/méchant à la Docteur Jekyll et Mister Hyde (1886), le cas réel de Billy Milligan, dans les années 80 aux Etats-Unis, a mis cette maladie au grand jour. Son procès et son histoire ont été retranscrits thrilleureusement par Daniel Keyes, auteur du reconnu Des fleurs pour Algernon (1966).
William Stanley Milligan a 24 personnalités : 10 qui se partagent à bon escient la présence « sous le projecteur », 13 personnalités mis au placard volontairement par les autres, et 1 générée lors de la prise en main thérapeutique. Chaque perso a sa fonction pour la survie de l’hôte, et chacun a vraiment une personnalité propre (l’un est peintre, l’autre parle le yougoslave, l’une a 3 ans et est dyslexique, l’autre joue du saxo…) et ils se connaissent entre-eux. Ce qui a fait grand cas à l’époque, c’est que Billy Milligan a été inculpé pour cambriolages et viols. Le corps de William a violé, mais avec la conscience de quelqu’un d’autre. Verdict : acquittement. Normal que cela ait jazzé à l’époque ! Ajoutons à cela, une ampleur politique et médiatique à l’américaine, l’affaire a enflé à donf.
Daniel Keyes a rencontré Billy Milligan pendant son procès, a discuté avec ses différentes personnalités, mais aussi avec les médecins et autres intervenants. Ce livre est donc une biographie. Émouvante et passionnante. Le film Split de Night Shyamalan (sorti en février 2017 en France) s’est inspiré de ce cas, mais ça n’a rien à voir, le réalisateur apporte une touche surnaturelle et une partie malfaisante. Là, le cas de Billy est un cas d’école réel, déstabilisant et terriblement attachant. L’auteur a d’ailleurs clairement un parti pris dans la narration et le transmet suffisamment pour nous émouvoir. Une suite sur les conditions de détention et de maltraitance, les récupérations du cas de Billy Milligan a été écrite par le même auteur en 1986. Ce texte a été interdit aux USA, mais a été publié en 2009 en France sous le titre Les Mille et Une Guerres de Billy Milligan. Justice bancale, the system has failed.
Les anomalies et dysfonctionnements cérébraux dérangent et inquiètent, mais fascinent aussi teeeeeerriblement. Y’a qu’à voir la multiplication de films, de séries ou de livres dans ce sens ! Leur représentation au grand public s’accouple souvent avec horreur, sang et pulsion incontrôlable. Evidemment, il ne faut pas balarguer tous les troubles psychotiques de personnalité dans le même panier, qui se ressemble ne se définisse pas forcément équivalent. Le trouble dissociatif de l’identité est très bien expliqué dans le livre Les mille et une vies de Billy Milligan ou dans La proie des âmes de Matt Ruff (roman de fiction, 2003). A ne pas confondre, par exemple, avec l’établissement méticuleuse d’une double vie, comme pourrait être le cas de Patrick Bateman dans American Psycho (Brest Easton Ellis, 1991) ou des cas de schizophrénie avec bizarreries d’halluciné comme Norman Bates dans Psychose d’Hitchcock (1960). Le diagnostic dépend aussi de l’époque, de la région géographique et de l’approche du médecin. Et puis, quand on voit des cas de TDI dans les films comme Shutter Island de Martin Scorsese (2010) ou Lost Highway de David Lynch (1997), les choix d’intention du réalisateur s’imposent, et on se dit que tout est histoire d’interprétation et de point de vue finalement.
Pour conclure et revenir au livre, on pourra lui reprocher de s’essouffler un peu dans la longueur, mais l’intérêt est autre que la simple lecture d’un roman de gare. C’est historique, c’est judiciaire, c’est psychiatrique. On descend dans des limbes neurologiques inconnus, alors je trouve un certain côté passionnant à plonger dedans.
Texte : Anna Void
Les mille et une vies de Billy Milligan
Auteur : Daniel Keyes
Editeur : Balland, 1982
Réédition : Calmann-Levy, 2007
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