
Sur le pied de guerre une demie heure avant le premier concert, je me caille joyeusement en attendant le contrôle de mon billet. Les chevelus devant moi balancent des répliques de Kaamelott dans tous les sens et se plaignent de la présence d’un steak de pois chiche au menu, par ce que bordel ça doit être dégueulasse, où est la barback ? Pas de doute, c’est bien un public de death metaleux, tout en treillis et en cheveux, qui s’amasse autour de la péniche. Le concert affiche d’ailleurs complet, les amateurs du genre l’avaient flairé : c’était la soirée à ne pas manquer.
Ouverture des festivités avec Disentombed, un groupe australien, loin du cliché du surfer blond et solaire qui joue du ukulélé sur la plage puisqu’il s’agit là d’un groupe de brutal death metal affamé de pogos et autres circle pits. Des sonorités lourdes qui pèsent comme un couvercle sur la salle, un chanteur qui souffle du growl bien gras sans discontinuer (avec une technique vocale plus que remarquable), une rythmique efficace… Disentombed utilise avec brio tout le vocabulaire brutal death ; sans accroc donc, mais surtout sans prise de risque. Le groupe emprunte beaucoup à Cannibal Corpse, jusqu’au chanteur au cou de taureau, rougissant et poussant son guttural toutes veines du front saillantes. Même si les membres de Disentombed n’ont rien proposé de novateur ce soir, ils ont conquis le public du Petit Bain – et moi avec – par leur maîtrise sans tâche de leur propos et une ambiance totalement dans le ton. Un bel échauffement pour ce public qui n’attendait qu’une musique de brute épaisse pour se galvaniser avant le combat.
«La prochaine pièce», (pour citer le chanteur du groupe qui succède à Disentombed), ne se fait pas attendre. J’aperçois guitares et basse sans tête de manche pointer leur nez dans la faible lumière bleue-verte : je m’agite en reconnaissant Beyond Creation, formation de death metal technique originaire de Montréal que j’ai découvert au Hellfest 2017, totalement par hasard, lors d’une journée chaude à mourir, alors que je cherchais seulement l’ombre et la fraîcheur sous le chapiteau de l’Altar. Affalée devant les écrans, je suis restée bouche bée de la proposition de Beyond Creation. J’étais donc ravie de les revoir ce soir au Petit Bain. Autant dire que les trois premiers morceaux m’ont un peu déstabilisée, je ne reconnaissais pas le groupe que j’avais entendu au Hellfest. Si novateurs, audacieux en juin, ils proposaient là des morceaux de death metal, certes très réussis sur le plan technique, mais assez classiques. C’est au quatrième morceau que les Montréalais m’ont rassurée, je retrouvais cette impression incroyable d’écouter des musiciens de jazz qui s’aventurent avec une curiosité passionnée dans le territoire du death. Du tapping en veux-tu, en voilà, des solos de basse qui ont littéralement fait battre mon sang, une ingéniosité dans l’exécution des morceaux, une capacité d’innovation qui rafraîchissent le death metal mais qui en conservent les grandes lettres. Ce n’est pourtant qu’à la dernière chanson que j’ai pris le revers de la claque que Beyond Creation m’avait assénée au Hellfest. A y réfléchir, je pense que le groupe s’est adapté à ce que le public pouvait attendre de cette soirée : une ambiance martiale, du death violent et cathartique. En un mot, un défouloir. Une manœuvre pertinente lorsque l’on passe après Disentombed et que l’on sert de hors d’œuvre avant Dying Fetus. Ainsi, plutôt que d’écouter leurs morceaux de manière quasi religieuse comme j’avais pu le faire quelque mois plus tôt, je me suis retrouvée dans une foule qui ne boudait pas son plaisir quant aux circle pits. Je ne peux que vous conseiller d’écouter, de déguster Beyond Creation, qui, au delà de soigner sa technique absolument impressionnante, ose une véritable recherche créative dans le répertoire death metal. Je suis convaincue, en tant qu’amoureuse du genre, que c’est tout ce dont le death a besoin, se renouveler, découvrir en lui de nouvelles possibilités artistiques sans perdre de vue ce qui a fait l’identité et la puissance de ce style musical. Un grand merci aux membres de Beyond Creation d’ouvrir cette voie.
Faisant suite à Beyond Creation, Psycroptic. Formation australienne dont le chanteur colle un peu plus au cliché du surfer greffé à son ukulélé. Blond décoloré, jean skinny, débardeur échancré, une gestuelle d’oiseau-mouche sous cocaïne… Mes sales habitudes de mauvaise langue qui porte des jugement a priori m’ont laissé supposer «Mmh, un coreux». Les labels s’accordent à qualifier Psycroptic de death metal technique, pourtant c’est bien du deathcore que j’ai entendu. Et du deathcore loin d’être de ceux qui feraient une place de choix à la technique. Il m’est difficile d’être impartiale ; tout sous-genre musical qui à pour suffixe -core a le don de me sortir par les yeux, et les oreilles en l’occurrence. Psycroptic n’était pas inaudible, je me dois de le reconnaître, la performance des musiciens étaient correcte, même si la voix du chanteur semblait faiblir dangereusement à mesure que le concert avançait, et j’ai même été heureuse de découvrir un groupe de la famille -core qui n’abuse pas des breakdown (que les coreux s’amusent à mettre entre 6 et 8 fois par chanson, dans toutes leurs chansons), ce qui m’a plutôt détendue je dois dire. En regardant autour de moi, j’ai remarqué que je n’étais pas la seule a être moins enchantée par ce groupe que par les deux premiers : il n’y a pas eu de jet de tomates sur scène, mais l’ambiance était bien moins électrique que pendant les précédentes performances, et pour beaucoup, ç’a été le moment d’aller faire un tour au bar ou au merchandising. Finalement, Psycroptic aurait fait office d’entracte, me laissant le temps de récupérer mon énergie pour la pièce de résistance.
Dying Fetus, un des groupes qui m’a offert mes premiers émois death metal à l’adolescence, et que je n’avais encore jamais vu. La salle s’est soudainement remplie, j’ai eu l’impression que la population du Petit Bain venait de doubler. Dying Fetus reste un géant qui a conquis un sacré nombre de générations, et pour un death metaleux, venir les voir sur scène a une véritable valeur sentimentale. Voilà les bougres qui entrent en scène, confiants, le guitariste et le bassiste se placent devant leur panneau noir respectif – choix de scénographie peu judicieux puisqu’il fallait être au milieu de la salle pour espérer apercevoir le batteur. Et, presque sans prévenir, Dying Fetus s’exécute. Stoïques, sûrs d’eux. Trois monolithes font face au public. Le jeu de scène n’a pas grande importance avec des compositions pareilles. Dying Fetus joue quelques nouveaux titres, mais majoritairement des morceaux issus de l’album Reign Supreme (2012) et ce, à mon grand bonheur. Dans la fosse, c’est un combat de chaque seconde pour rester debout, les pogos et circle pits s’enchaînent sans laisser à qui que ce soit le temps de reprendre ses esprits, les slams se multiplient, les fans montent sur scène avant de se jeter de bon cœur en plein mosh, et on a même droit à la surprise du chef, un petit wall of death tout à fait respectable. Lorsque j’entends retentir les premières notes de In the trenches, je sens ma conscience professionnelle me quitter et je file en slam jusqu’au pogo, me joignant à ce joyeux carnage, le sourire tendu d’une oreille à l’autre. Une ambiance incroyable que je n’ai vécu qu’une fois, à Marseille, pour le concert de Cannibal Corpse au Moulin. Je retrouvais la même énergie explosive, la camaraderie malgré/à cause des coudes, des chaussures qui volent, des slammeurs qui se retrouvent au dessus de ta tête sans crier gare… Autant dire que pendant le concert de Dying Fetus, la foule était littéralement possédée. Dying Fetus, c’est ce groove (si je peux m’exprimer ainsi) sorti de nulle part, Dying Fetus c’est le charme discret du death metal, c’est cette violence si bien musicale qu’ambiante qui ne peut s’exprimer qu’à cet endroit précis et consacré. J’entends souvent qu’on les qualifie de death metal old school, sans être fausse, cette épithète me semble ne pas rendre justice au trio américain. Dying Fetus n’a d’old school que l’ambiance que sa musique suscite dans la fausse, ses compositions sont si marqué par une identité propre qu’elles sont reconnaissables entre mille, loin de se perdre dans le pot pourri du old school. Peut-être sont-ce mes émois d’adolescente, mais à mes yeux, Dying Fetus est un sous-genre à lui tout seul.
Merci aux quatre groupes, qui ont su déployer le riche éventail de proposition du death d’aujourd’hui, merci au public du Petit Bain, qui a largement participé à l’ambiance incroyable, merci à l’équipe du Petit Bain (que je découvre, provinciale fraîchement débarquée que je suis) qui a fait un travail remarquable pour cette soirée survoltée.
Claire L.
Photos: E.L.P
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