
Deux ans après leur album Disobedient, le groupe de hardcore Stick to Your Guns a fait son grand retour le 13 octobre dernier avec True View, sorti sous le label Pure Noise, d’une toute autre envergure que ses prédécesseurs.
Bien souvent, nous perdons le sens de nos priorités, de ce qui nous est cher. Nous nous laissons prendre par la société, les facilités qu’elle nous offre, nous nous laissons distraire facilement, mettons nos valeurs de côté lorsqu’elles deviennent encombrantes, nous voyons parfois les biens matériels et la possession comme des buts en soi, et perdons de notre authenticité, nous perdons la notion de valeur des choses, et de la gratuité de nos actions. Dans ces moments, nous avons besoin de nous faire remettre en place, et souvent, Stick To Your Guns sont une bonne solution. Heureusement, ils ont du nouveau pour nous, et son nom est assez parlant : True View, une vraie vue pour nous permettre d’avoir les yeux en face des trous sur notre condition humaine et notre comportement parfois déplorable.
Ce sixième album s’ouvre sur un passage vocal fait par la mère du vocaliste, rappelant l’importance de la positivité au quotidien. Cette annonce va être importante pour la suite des morceaux, en tant qu’il sera comme une ligne de conduite, quelque chose à garder en tête, afin de pouvoir se relever malgré tous les tourments auxquels nous seront confrontés dans chaque morceau car, nous le savons, Stick To Your Guns peut être parfois moralement assez dur. “True View” en particulier, car pour être intense, il est intense.
S’ensuivent quelques titres assez traditionnels pour les californiens, mais pas moins prenants, à commencer par “3 Feets from Peace” dans lesquels on y retrouve le quintette dans tout ce qu’il sait faire de mieux : des riffs bien lourds, agressifs, qui nous lattent, des breakdowns hyper efficaces. Pourtant, penser que la formation a fait sur True View ce qu’ils font toujours n’est qu’une première impression, et celle ci est plus trompeuse que ce que l’on pense. En effet, plus les morceaux défilent, plus nous découvrons un tournant plus mélodique à la formation. Bon nombre de ponts sont plus aériens, les refrains contiennent plus de chant clair qui nous permettent d’apprécier les qualités vocale du chanteur dans toute la largeur de son panel, des rythmes moins matraquant mais plus catchy, parfois à la limite du pop (The Reach For Me : Forgiveness of Self), sans pour autant perdre de la hargne qu’on leur connait si bien. Les backvocals ont également la belle part au sein des morceaux, renforçant le côté fédérateur et anthémique de ceux-ci.
Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser au premier abord, ces 12 titres, condensés en 35 minutes intensives, nous en foutent plein la figure. Nulle inquiétude à avoir sur l’épreuve du live. Cette “eau mise dans leur vin” n’enlève rien à l’ampleur de leurs chansons, au contraire. Le paradoxe qui se joue entre les cris et le chant clair accentue la force des textes, et la symbolique qui se joue derrière. Ce n’est, sur cet album, plus seulement le classique cri contre et pour l’humanité, pour accuser les comportements à rejeter et revendiquer une humanité plus belle, plus saine, plus droite, mais c’est ici un schéma plus réfléxif, moins colérique mais plus réfléchi, dans le sens où celui-ci a une portée plus humaine que globale, à plus petite échelle. Pour être honnête, cet album est sûrement l’un des plus éprouvants de la formation, l’un des plus émotionnels, et l’on ressent un vocaliste à fleur de peau, impliqué comme jamais. Il hurle sa colère, sa volonté de rétablir ce monde, mais aussi quelque part sa rage de vivre et son envie de lutter chaque jour pour ça, et pour ses convictions.
D’ailleurs, cela se remarque dans la composition de True View : l’opus suit un schéma tripartite, en commençant par la pénitence du soi, puis la réalisation du soi, et enfin le pardon du soi, sur le modèle de l’absolution catholique. Et, de fait, les textes sont bien plus introspectifs, tournés vers la condition humaine mais de façon plus singulière, plus personnelle qu’auparavant. Jesse Barnett nous dépeint à travers cette bonne demi heure, son intériorité, composée de ses soucis, de ses épreuves, de ses préoccupations, mais aussi de ses revendications. Parmi ceux-ci, le très beau cri d’amour Hardcore qu’est “Married to the Noise”, ou encore le déchirant refrain, aux accents de confessions, de “Delinelle” : “This is not an apology or an admission of guilt / This is a realization of how I destroyed all the things we’ve built”. La poésie n’est jamais très loin dans ces paroles, comme le prouve le splendide “56” (et ses choeurs). De même que les messages tels que “Will I allow what is expected of me to dull the sharp edge of my life?” de “The Inner Authority: Realization Of Self.”, les rappels de notre liberté peu importe ce qui nous est imposé, ou encore l’introduction de “Through The Chain Link” dans laquelle une femme déclame “We gotta get rid of these fucking money-hungry, angry people . . . How can I believe in somebody that killed their own God?”. Les paroles, les textes, sont toujours d’une justesse folle. Elles piquent, charcutent juste où cela fait mal, et c’est à ça que l’on voit la réussite de STYG : ils ne font pas que de la musique pour le plaisir, mais aussi pour sauver. Puisque les Hommes ont tué leur propre Dieu, il leur faut un nouveau chemin à suivre pour se sauver plutôt que de tomber dans le péché. C’est ce schéma tripartite annoncé par les morceaux de l’album, qu’il faudra suivre. D’ailleurs, cette image religieuse est reprise sur la pochette de l’album, sur lequel figurent les artworks correspondant à chaque chanson. A la manière d’icônes, de vitraux, contenant notamment des mains en train de prier, un calice, une figure religieuse à trois têtes… Et nous faisant penser presque à des cartes de tarot, ce qui n’est pas sans rappeler que ce sont des thèmes qui vont influencer notre avenir, et notre vie. S’il y a des décisions importantes à prendre, cet album nous met en garde sur nos actes, mais ce sera à nous de décider de ce qu’il faut faire. Et ils nous guident pour ce faire.
True View est un album qui mérite à être écouté et réécouté. Une seule fois ne suffit pas, puisqu’il joue sa différence dans la subtilité et la délicatesse, au-delà des bases déjà bien établies dans la discographie du groupe. Cette sortie constitue un réel tournant dans la carrière du groupe, qui ne semble reculer devant rien, pas même devant le fait de chambouler les formules qui leur avaient permis d’obtenir un public bien fidèle. Parce que STYG c’est ça aussi : ne pas se reposer et se laisser prendre au jeu de la facilité ni de la conformité juste pour répondre à des attentes. Non. Et c’est exactement ça que l’on attend d’eux, ironiquement. Mais par dessus tout, True View transpire de sincérité, et pour cela, mission accomplie.
Stick to your guns, True View, sorti le 13 octobre chez Pure Noise Records.
Texte : Aurélie.
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