
Oyé ! Oyé ! Estonie ! Moyen-âge ! Tagada Tagada Tagada !
L’invasion de chevaliers teutons provoque un chamboulement parmi les habitants de la forêt. Ces derniers migrent petit à petit vers les villages et se convertissent au christianisme. Leemet est né et vit dans la forêt avec sa famille, et normal, ils utilisent la langue des serpents pour se faire obéir des animaux et vivre en harmonie avec eux. Le livre est bourré de poésie, d’humour et d’envolés d’imagination. En fond, les mythes païens et les civilisations essayent de survivre, puis se perdent ou se rendent. Spoil : la solitude et la bêtise l’emportent.
Andrus Kivirähk est né à Tallinn en 1970. Il est écrivain et journaliste. 3 de ses livres ont été traduits en français. Le premier traduit fut L’homme qui savait la langue des serpents et il a connu un certain succès en France, notamment avec la récompense du meilleur roman étranger lors du Grand prix de l’Imaginaire* en 2014. Son premier roman le Papillon (paru cette année) nous parle du monde du théâtre en Estonie XIXe ; et son roman les Groseilles de novembre sur le folklore médiéval paysan a été adapté au cinéma en début d’année par Rainer Sarnet. Balte-culture en force !!
La grande caractéristique des romans d’Andrus Kivirähk est le réalisme magique ou merveilleux. La réalité est là dans son intégrité mais elle est saupoudrée de merveilleux, d’irrationnel et de bizarreries, sans que cela ne soit problématique. Dans « L’homme qui savait la langue des serpents », pieds joints dedans et ça éclabousse ! Des ours qui s’acoquinent des femmes humaines en mode séducteur-chaudard ; la meilleure amie de Leemet, une vipère royale, est tellement chouchou qu’elle donne envie de prendre des cours option serpents à l’Inalco ; Le grand-père, ce grand-père mais quel grand-père ! J’ai hurlé de rire à son apparition ! Bref, les personnages sont hauts en couleur (même les cons malheureusement) et parfois terriblement attachants (poke les australopithèques éleveurs de poux géants). Et la plus grande, la plus belle, celle qui protège la forêt et dont l’ombre plane constamment : la salamandre millénaire. Elle se réveille quand assez d’humains la sifflent. Avec l’appauvrissement du nombre de ceux sachant siffler, dormira-t-elle éternellement ?
Une certaine mélancolie se dégage de ce roman, Leemet se retrouve de plus en plus face à sa solitude. Un pied dans les mythes et la forêt en train de disparaître, un autre curieux de ce qui se passe au village d’à-côté. Le choix est délicat, ni l’un ni l’autre ne fait franchement envie : être seul ou se plier dans la masse.
Cette invasion de chevaliers allemands qui évangélisent a été une réalité pour l’Estonie au 13e siècle. L’histoire de cette invasion a également un écho direct avec notre société actuelle et la mondialisation, où certains imposent par la force (ou l’argent) leur vision du monde. Absorber, homogénéiser, moutonner, détruire le merveilleux et le faire oublier. Clairement, perte d’identité culturelle et sociale. Ce livre est-il un appel à la résistance ? Oui et non. Toutes les sociétés évoluent, et les extrêmes et absurdités sont finalement de tous bords, comme l’écrit bien l’auteur. Avant n’est pas forcément mieux, mais la fable devient tragique quand elle se fait arrondir tous les angles.
Enfin bref, pour moi, CE LIVRE EST UN TRESOR, il y a un avant et un après sa lecture. Les émotions se bousculent au portillon. Humour, imagination, mythologie, immersion dans une contrée peu connue. Mais aussi pour la dimension historique et pessimiste, je vous conseille fortement ce livre. L’idée de cette chronique m’est venue brusquement en lisant l’interview de Marie, la programmatrice du Cernunnos Pagan Festival . C’est important d’avoir la possibilité de (re)plonger dans les mythes.
« Le Cernunnos s’ouvre à toutes les racines traditionnelles, contes ou légendes préchrétiennes.»
Interview de Marie, programmatrice du Cernunnos Pagan Fest
L’homme qui savait la langue des serpents.
Auteur : Andrus Kivirähk
Traducteur : Jean-Pierre Minaudier
Editeur : Le Tripode
Parution : janvier 2013
Texte : Anna Void
* (« instant Q instant Q instant Qlture ! »)
Le « Grand prix de l’Imaginaire » est un prix littéraire français créé d’abord sous le nom de « Grand prix de la science-fiction française » en 1974 ; puis en 1992, le prix prendra son nom actuel. Dans un théma SF, il récompense chaque année romans, nouvelles, bandes-dessinées, essais, jeunesse. Le prix a été créé par Jean-Pierre Fontana, un Clermontois passionné par la SF et très actif dans ce domaine (écrivain, critique, conférencier…). Depuis 2010, la cérémonie se déroule au printemps à Saint-Malo lors du festival Etonnants Voyageurs (festival international du livre et du film).
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