
Une fois n’est pas coutume, on va parler de dessin animé dans ces colonnes. Oui, je suis en retard ! Oui, la semaine dernière est sorti sur les écrans Mise à mort du cerf sacré qui a l’air fichtrement intéressant ! Oui, hier, sortaient A Beautiful Day (qui a l’air lui aussi de sacrément déboiter) ainsi qu’une intégrale remasterisée de l’œuvre d’Henri-Georges Clouzot ! Mais, tout ça, on s’en fout parce que je vais vous parler de mon vrai dernier coup de cœur, la très bonne surprise de… Zombillénium ! (ha ! Je suis sûr que vous avez flippé et que vous avez cru que j’allais dégoiser sur Le Monde Secret des Émojis… Non, ça va, je ne suis pas totalement HS, bien que plus tout à fait frais, mais ça va merci).
Donc, Zombillénium, hein ? Quoi faire un jour férié, un jour de fête des morts ? Regarder la nouvelle saison de The Walking Dead ? Je… hum… HAHA !! Plus sérieusement, autant aller voir un petit film d’animation sans prétention, histoire de se divertir. Un truc pour les “gosses”, quoi. Autant dire que je fus le premier surpris, n’hésitons pas à dire stupéfait, par le générique. Si j’étais doté d’un cynisme sans états d’âme, je vous conseillerais de prendre votre place, de vous taper les 20 minutes de pub d’avant séance, de vous éblouir devant cet incroyable incipit visuel et de vous barrer dès les premières secondes du récit. Je ne le ferai pas car, malgré cet incroyable mix en forme de clin d’œil aux fulgurances minimalistes de Saul Bass d’une part, et au foisonnement du réalisme socialiste d’autre part, le film ne démérite pas et s’offre même le luxe de différents niveaux de lecture selon les âges.
Entendons-nous bien, la cible privilégiée du film reste un public pré-ado et le film répond parfaitement au cahier des charges : l’individu lambda (un peu naze) est sorti de son cadre plan-plan pour être catapulté dans un environnement hostile dont il ne maîtrise pas les codes. Après quelques péripéties où il découvre qui sont les méchants et qui sont les gentils, il s’allie à ces derniers pour faire triompher le Bien. Sur le plan perso, il en profite pour régler 2,3 trucs pas très reluisants sur son CV. Générique de fin. Youpi. On rentre à la maison pour un chocolat chaud et des chamallows.
Mais les adultes ne sont pas en reste, et ce à de nombreux égards. Pourtant, la bio d’Arthur de Pin’s, qui co-scénarise avec Alexis Ducord (storyboardeur sur Avril et le monde truqué en 2012) ne m’avait jusqu’à présent jamais vraiment emballé. Même si ses petites pin-ups délurées me faisait doucement rigoler dans les pages de Fluide Glacial entre Osez… la sodomie co-écrit avec Coralie Trinh Thi et les strips de Péchés Mignons, l’univers au design ultra soigné à la tablette graphique de ce dessinateur me laissait, en revanche, …de marbre. À peine avais-je jeté un œil vaguement intéressé aux premières de couverture des 3 tomes papier de Zombillénium ! Comme quoi…
Parce que dans Zombillénium-le film – même si le rendu d’imagerie synthétique est encore plus présent à l’écran qu’il ne l’est sur papier – les bonnes idées fusent à chaque plan. Non seulement la dramaturgie n’est pas, à bien y regarder, aussi manichéenne qu’elle semble l’être à première vue, mais le premier enjeu – la reconquête, par un père obnubilé par son travail, de l’amour de sa fille – est, au fil de l’intrigue, dilué, mixé, enjolivé, voire magnifié dans une trame historique de plus vaste ampleur qui brasse, en vrac, la paupérisation du Nord de la France et des anciens bassins miniers et tous ses dommages collatéraux : familles déstructurées, alcoolisme, acculturation, violence ; le néo-libéralisme qui n’offre plus que l’alternative simpliste entre divertissement de masse et travail de masse ; la montée des élites et son corollaire, la lutte des opprimé-e-s, etc. Un vaste programme certes, mais sans grandiloquence malgré le caractère éminemment symbolique des thèmes abordés.
Parce que, soyons honnêtes, l’humour désamorce tout éventuel abus des poncifs de la littérature jeunesse/famille et on se marre beaucoup. Alternant punchlines un peu potaches et humour à froid très fin, on prend un réel plaisir à découvrir l’univers singulier de Zombillénium sur les traces d’Hector, contrôleur des normes de sécurité, déterminé à fermer un parc d’attractions dirigé par un étrrrrrrrange personnage, Francis Von Bloodt (…Von Bloodt, huhuhu.). Malheureusement pour Hector qui n’en sait rien (nous, on le sait parce qu’on a vu le super beau générique), le parc d’attractions construit sur une ancienne mine désaffectée est un aller simple pour l’Enfer, une antre infestée de monstres, vampires, loup-garous, goules et autres succubes. Et il s’avère qu’en Enfer, ses habitants, même morts, ont les mêmes soucis que nous vivants, et lorsqu’il s’agit d’aller pointer au taf ou de se faire virer, les revendications sont identiques aux nôtres, joyeux et néanmoins insouciants mortels. On ne s’ennuie pas une seconde à suivre le drôle de voyage d’Hector dans cette danse pas macabre du tout. Même si la typologie des personnages principaux aurait mérité un peu plus d’approfondissement, les principaux traits sont parfaitement définis et suffisamment complexes. D’autant plus que les deux scénaristes ont compensé cette légère insuffisance en étoffant le récit d’un vaste registre de seconds couteaux et d’un arrière-plan fourmillant de détails souvent hilarants.
Arthur de Pin’s vient donc ajouter une nouvelle pierre à l’édifice du cinéma d’animation français, son indéniable singularité restant l’incroyable diversité de styles graphiques de Phantom Boy à Persépolis, de Kirikou à Ma vie de Courgette. Si la révolution ne se trouve pas forcément dans le style, en revanche, elle l’est bien dans le propos de Zombillénium. Bien loin des standards calibrés, en forme d’ode pop à l’intelligence, l’acceptation de la différence et la mixité.
Sortie le 18 octobre 2017
Réalisation : Arthur de Pins et Alexis Ducord
Scénario : Arthur de Pins et Alexis Ducord, d’après la bande dessinée
Musique : Éric Neveux et Mat Bastard, chanteur du groupe Skip the Use
Avec dans les rôles principaux :
Emmanuel Curtil : Hector
Kelly Marot : Gretchen
Alain Choquet : Francis
Esther Corvez-Beaudoin : Lucie
Arthur de Pins : José
Lucia Sanchez : Dolores
Emmanuel Jacomy : Le Diable
Fily Keita : la maîtresse
Gilbert Levy : Aton
Mat Bastard : Sirius
Alexis Tomassian : Steven
Texte : Jimmy Kowalski
Laisser un commentaire