
Au moment d’aborder cette chronique, je me demande ce que je vais bien pouvoir dire sur ce nouvel album des norvégiens d’Enslaved. En effet, je suis fan du groupe depuis de nombreuses années et j’ai toujours considéré qu’ils font partie des meilleures formations metal, et même musicales au sens général. Depuis Monumention et surtout l’arrivée de Herbrand Larsen aux claviers et chant clair en 2004, Enslaved avait su trouver l’équilibre entre brutalité black metal et mélodies brillantes héritées du progressif des seventies.
Alors quand j’ai appris son départ en 2016 et son remplacement par Håkon Vinje, je me suis posé la question de savoir si le groupe allait passer le cap et continuer à nous proposer des albums aussi inspirés. C’est donc avec une certaine appréhension que je me lance dans l’écoute de ce cru 2017… Comment allais-je le recevoir ? Allais-je être pour la première fois déçu par un de mes groupes fétiches ? C’était sans compter sur le talent des musiciens d’Enslaved.
Changement de line-up donc avec l’arrivée d’un nouveau claviériste/chanteur. Les voix claires en sont forcément modifiées et l’habituel travail d’orfèvre sur les arrangements ont la personnalité du nouveau membre. Cela est flagrant dès « Storm Son » qui commence par un arpège clair et très mélodique et même si la voix claire d’ Håkon s’inscrit dans la continuité du travail de son prédécesseur, nous sentons une différence par rapport aux anciens albums. Le morceau progresse pour déboucher sur un gros riff qui accompagne à merveille le chant brutal de Grutle Kjellson. Le refrain se trouve rehaussé d’un clavier spatial qui fait mouche pour entrer ensuite dans un break dont la couleur black metal nous renvoie aux débuts du groupe.
The River’s Mouth, second morceau débarque avec une énergie qui donne envie de taper du pied tout de suite. Ici la voix claire surprend et le feeling évoque la tessiture de Jaz Coleman (Killing Joke). Arrive « Sacred Horse » avec sa tonalité très seventies (on pense au mythique « Paint It Black » sur les premières notes) et son orgue Hammond, d’abord discret puis qui part en solo, on croirait entendre du Deep Purple ! Morceau épique et progressif qui illustre parfaitement la symbiose entre rock psychédélique et Black metal. Chaque phrase s’enchaînant à merveille avec la suivante, le tout charpenté par des arrangements travaillés qui affirment le propos. « Axis Of The Worlds » sonne plus comme du pur Enslaved, mystérieux et sombre, avec sa montée d’arpège dissonante mais on est de nouveau surpris par l’intervention de cet orgue Hammond et la voix d’Håkon qui confirme cette coloration plus classic rock pour revenir, comme je le disais, à des sonorités mystiques qui sont la sève d’Enslaved. « Feahers of Eolh » et son arpège lancinant et lourd, se situe lui aussi sur des terres bien connues des amateurs du groupe alternant dissonances et passages clairs et calmes.
L’album se clôt sur « Hiindsiight » dont le couplet est d’une lourdeur à faire pâlir n’importe quel groupe de Doom pour enchaîner sur des arpèges évoquant les premiers travaux de leur compatriote Ihsahn impression renforcée par l’intervention d’un saxophone. Avec ce dernier morceau, Enslaved nous porte aux cimes du black metal progressif et psychédélique ; ils nous donnent la preuve, si besoin est, qu’ils sont les maîtres en la matière et qu’ils le resteront encore pour longtemps.
Mes appréhensions sont donc balayées face au talent des Norvégiens. Reste que si la formule varie légèrement, Enslaved signe un album de très haute volée, au son et aux structures plus rock mais toujours progressif, épique et brutal. Cette nouvelle livraison démontre qu’Enslaved est plus que jamais un groupe hors normes, inventif et qui sait se renouveler sans perdre son identité malgré les changements qui peuvent affecter le cours des choses. Peu de groupes, quel que soit le style, parviennent à une telle symbiose entre des sonorités au premier abord opposées mais qui sait rendre le tout cohérent et passionnant. Encore bravo messieurs !
Enslaved, E, sorti le 13 octobre 2017 chez Nuclear Blast.
Texte : J.C.
Laisser un commentaire