
Après Amer en 2009 et L’étrange couleur des larmes de ton corps en 2012, Hélène Cattet et Bruno Forzani se réunissent pour un 3e long-métrage. Ils avaient aussi tourné ensemble plusieurs courts-métrages dont la lettre O pour la première anthologie d’ABC of Death. Aussi posé que déjanté, Laissez bronzer les cadavres peut être défini comme un western-polar haletant filmé intensément et hors les normes. Une véritable bouffée d’oxygène dans le paysage cinématographique actuel.
Ce film est l’adaptation du roman éponyme sorti en 1971 qui a ouvert la voie à un nouveau genre littéraire, le « neo-polar », avec un style violent et cru, dans les bas-fonds de la société. Ce roman a été écrit à 4 mains par Jean-Pierre Manchette et Jean-Pierre Bastid durant l’été 1970 dans un endroit paumé où le soleil tapait fort. Même époque que le western européen et du Giallo, courant cinématographique italien qui combine thriller, horreur et érotisme. 45 ans après la parution du roman, les 2 réalisateurs tout juste quarantenaires combinent ses ingrédients pour tourner Laissez bronzer les cadavres.
Pitch du film : c’est un polar transposé dans un univers western, une histoire de bandits réfugiés dans un lieu abandonné habité par une artiste. 250 kg d’or qui monte à la tête. Des visites imprévues viennent troubler ce lieu reculé. Fusillades, sang-froid, survie…
Les réalisateurs ont fait un véritable effort pour recréer un cinéma années 70 orienté western : grain de l’image, chaleur étouffante et poussière, musique (Ennio Morricone dans la bande son), le cadrage avec gros plans sur les yeux et les gueules burinées de Stéphane Ferrara (le personnage de Rhino, chef du gang), de Bernie Bonvoisin (le chanteur du groupe Trust) ou d’Elina Löwensohn (l’artiste aux souvenirs orgiaques). Le tout ouvert à une atmosphère hallucinée et poétique, dans un décor aux couleurs très tranchées, bleu du ciel et de la mer avec l’ocre des bâtisses et du paysage aride.
L’image et le son sont imbriqués de manière originale et osée. Je pense notamment à tous ces éblouissements enchaînés avec des plans très obscurs, comme la lumière rouge qui gonfle quand un comédien aspire sur sa clope, associé au grésillement qui consume. Les contrastes sont brutaux et très sexy. Le montage se veut vif, le découpage très violent, l’immersion est donc incroyable sur grand écran, on se laisse prendre, on halète autant que les personnages qui se cachent en embuscade. L’énorme travail sur le son aide dans ce sens : le bruit des flingues et des fusillades, à la limite du surmixage, nous arrachent au siège, le frottement des combinaisons en cuir des policiers nous place étonnamment au centre de l’action, sans compter la musique d’ambiance parfois très saturée. Bref, immersion totale si on se laisse prendre au jeu de ce film.
Laissez bronzer les cadavres est bourré de références au cinéma de genre, car ce film a été réalisé par des passionnés, ça ne fait aucun doute. Chacun trouvera ses propres clins d’œil. Pour ma part, je retrouve un hommage fort à Belladonna de Eiichi Yamamoto (film d’animation japonais de 1973) avec cette femme en contre-jour, au ralenti, les cheveux qui volent sur la musique sensuelle et lancinante de « Sunny road to Salina ». Un côté érotico-esthétisant est présent aussi dans ce film, ce qui ne gâche rien.
Avec ce film franco-belge, il y a une véritable identité de réalisation et une volonté d’expérimentation. Ces prises de risque de cinéma indépendant doivent être soutenues. Ce n’est pas forcément un film qui plaira à tous, car c’est un traitement de film particulier, qui peut gêner et rompre avec des habitudes cinématographiques classiques, mais c’est intéressant de savoir que cela existe, c’est même salvateur, le cinéma peut encore surprendre et se réinventer. Je n’avais pas accroché sur leur film précédent L’étrange couleur des larmes de ton corps, mais là, j’ai été conquise.
Un film de Hélène Cattet et Bruno Forzani.
Sortie le 18 octobre 2017 en France
Texte : Anna Void
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