AU REVOIR LÀ-HAUT – ALBERT DUPONTEL

Planté dans l’Histoire de France et d’Europe comme un clou rouillé qui dépasserait d’une vieille planche, la Grande Guerre, la Der des Der, la Première Guerre Mondiale n’en finit pas d’être remâchée, scénarisée, mise en scène, désossée par le cinéma, son aîné de vingt ans. Depuis Les Croix de Bois en 1931 jusqu’à Un Long Dimanche de Fiançailles de Jean-Pierre Jeunet, combien de réalisateurs se sont essayés (combien s’y sont perdus ?) à raconter toute l’horreur abjecte des combats, toute la bêtise bornée du patriotisme revanchard, toute l’impuissance des êtres désemparés face à ce monstre à mille têtes qu’est la guerre ? 10, 100, que sais-je ? En voilà un de plus, que d’aucuns n’attendaient pas vraiment dans ce registre un peu suranné :  le bien nommé Albert Dupontel, papa de Bernie, du Créateur, d’Enfermés dehors, etc.

Autant dire qu’avec une telle filmographie, on attendait avec Au revoir là-haut quelque chose qui fasse souffler un vent célinien sur la Croisette. On attendait un nouveau Bardamu vociférant sa haine des Hommes, crachant son nihilisme à la gueule des nantis, on plébiscitait un dingue qui, se faisant sauter le caisson à la fin, emporterait avec lui un paquet de salauds ! Le spectateur, en guise de folie furieuse à laquelle nous a, jusqu’à présent, habitué-e-s Dupontel, devra aujourd’hui se contenter d’un très bel exercice visuel, à la mise en scène méticuleuse, au casting prêt pour les Césars, et à l’épilogue plein de nobles sentiments. Cela dit, rien n’enlève au lyrisme et à l’émotion, mais Au revoir là-haut rappelle plus les romans historiques de Maurice Genevoix et Jean Barbusse que le cri primal de l’auteur de Voyage au bout de la Nuit. En revanche, pour les coups de pelle, il faudra simplement se contenter de ceux, fort nombreux, qu’on voit en arrière-plan, creuser les tombes des infortunés poilus. Ceux qu’on pensait voir tomber drûment sur les faciès bouffis des marchands de canons seront rares, et c’est bien dommage.

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Au revoir là-haut est cependant bourré de bonnes idées de scénario, rempli ras le cadre d’un savoir-faire de comédien que Dupontel met au service de la réalisation, pour servir la plus belle des causes : faire du cinéma PO-PU-LAIRE. Les personnages sont parfaitement délimités, leurs psychologies creusées juste ce qu’il faut (mais pas trop pour ne pas plomber le rythme), les traits d’humour sont légers et piquants (mention spéciale à l’immense Niels Arestrup) et viennent savamment équilibrer la dramaturgie, les liens que tissent les protagonistes sont limpides, ni trop fantasques ni trop ordinaires. Bien sûr, devant un tel cinéma, on est parfois distrait. Tout semble convenu : après toutes ces péripéties, les gentils gagnent forcément, hein ! Alors qu’on aurait aimé être un peu plus balloté-e-s dans cette entre-deux-guerres qui joue au poussah entre la terreur et la jouissance, entre le cauchemar et l’amnésie. On aurait aimé que l’écho du canon résonne encore longtemps après, aussi cauchemardesque soit-il, que les plaies ne se referment pas, leurs béances nous faisant détourner le regard de l’écran, ou bien nous y plongeant avec un regard plein de morbidité voyeuse. Bref, on aurait aimé que ça secoue un peu plus ici bas avant de monter là-haut. Tripes et boyaux ! Bref, on aurait aimé du Dupontel, pas du Dupontel-qui-adapte-un-Goncourt. Voilà, c’est tout.

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Car si tout le film est usé artificiellement par une douce patine qui sent bon le vieux chromo (un coup de post-prod très malin donne à la pellicule un grain et une colorimétrie qui rappellent les vieux classiques re-masterisés et colorisés à tel point qu’on s’attendrait presque à voir Gabin, Noël Roquevert ou Pierre Fresnay débouler dans le plan), le ton général, par une malheureuse conséquence, s’en voit alourdi d’une grise chape de conformisme. Exception culturelle, en avant, marche ! À l’image du héros, une des nombreuses gueules cassées pour lesquelles la médecine du début du siècle n’était d’aucun salut, qui dissimule sa difformité sous des masques de contes de fée, le film avance sans anicroches, vaillant, sous les auspices d’une bien-pensance un peu désuète, maquillant d’une touche onirique le destin tragique d’un jeune homme broyé par la guerre.

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Au revoir là-haut est une sorte d’anachronisme, voire un paradoxe, un film d’avant la fin du Code Hays aux USA, d’avant la fin de la Commission de Contrôle en France. Comme si, à trop vouloir œuvrer pour donner le change et ne pas se faire prendre dans les filets de la tentation du pamphlet – ce qui, entre nous, lui avait jusqu’à présent, pas mal réussi – Dupontel serait tombé dans le piège de son propre simulacre, sale gosse qui aurait piqué un costume de boy-scout trop grand pour lui. Tout est évoqué, mais rien n’est vraiment dit à l’écran. Autant le traumatisme de la guerre est là, omniprésent, le spectateur gardant en mémoire le prélude dans les tranchées, autant les traumatismes propres au personnage principal (conflit avec le père, ambiguïté sexuelle, puérilité émotionnelle, …) sont posés en simple filigrane, inoffensif catalogue d’images d’Épinal, escamotés par l’autre enjeu du film, celui plus évocateur d’une “arnaque aux Monuments aux Morts” montée par deux survivants de l’horreur des tranchées. Ne laissant là que peu d’amplitude au jeu habité du prodigieux Nahuel Pérez Biscayart qui, après 120 battements par minute, irradie à nouveau l’écran malgré la moitié du visage caché et sans aucun dialogue.

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Est-ce le livre de Pierre Lemaître à l’écriture fortement cinématographique ? Est-ce l’ambition du réalisateur d’offrir son œuvre de la maturité ? Ou bien une trop forte attente de ma part d’un récit plus débridé ? Dans ce combat pour la bonne cause (faire payer les méchants et venger les braves gens, c’est cool), Dupontel-comédien s’en sort bien, réconcilie, pardonne, se fait pardonner, part avec la jolie fille et recueille l’orpheline. Dupontel-réalisateur, malgré un clin d’œil révérencieux aux classiques, ne dépasse que rarement le bel hommage, n’atteignant qu’en de fugaces moments de liberté le cinéma attachant qu’on lui connait.

Sortie le 25 octobre 2017
Scénario : Albert Dupontel et Pierre Lemaitre, d’après le roman éponyme de ce dernier
Avec dans les rôles principaux :
Albert Dupontel : Albert Maillard
Laurent Lafitte : Henri d’Aulnay-Pradelle
Nahuel Pérez Biscayart : Édouard Péricourt
Niels Arestrup : Marcel Péricourt, le père d’Édouard et de Madeleine
Émilie Dequenne : Madeleine Péricourt, la sœur d’Édouard
Mélanie Thierry : Pauline, la bonne des Péricourt
Heloïse Balster : Louise, la gamine
Michel Vuillermoz : Joseph Merlin
Texte : Jimmy Kowalski

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