
Là où religion est un sujet souvent tabou, Thierry, ce tatoueur “on the road” connu sous le nom de Saint Molotov, la met en lumière par sa vision, par ce qu’il a pu vivre ou entendre tout au long de sa vie, notamment dans les montagnes. Interview sans tabou. Dans le respect et l’ouverture d’esprit.

Salut Thierry, peux-tu nous dire quelle est l’histoire de ton nom d’artiste « Saint Molotov » ?
Ca a commencé en 2006, j’étais sur une grande série de tableau, sur la classe ouvrière. Un des grands formats qui faisait 2,50m par 0,90 s’appelait « Saint Molotov », c’était la première fois que je dessinais cet étrange personnage à la tête dédoublée, tout maigre et orange … C’était un hommage aux révoltes liées à ce cocktail et à son histoire. Je faisais un parallèle avec la Sainte Rita de la religion chrétienne et aux neuvaines que l’on allume pour elle dans les moments difficiles de la vie, pour moi dans la rue et pour la classe ouvrière, c’était le cocktail Molotov, notre Saint à nous, qu’on allumait quand il n’y avait plus de solution… Puis j’ai fait d’autres tableaux sur le même sujet avec ce personnage. Les potes de Lyon, de la galerie La Rage et de la Biennale hors les normes m’ont appelé comme ça pour rigoler, puis c’est resté.
J’ai signé mes tableaux ainsi et depuis ce personnage qui parlait de la classe ouvrière s’est mis à parler de ma vie plus intime quelque part et d’un côté, déjà en 2006, je parlais de ma vie… Car j’ai quitté la classe ouvrière en 2004.
Est-ce que tu peux nous raconter ton parcours jusqu’à ce que tu deviennes tatoueur ?
Je suis né dans le 91, en banlieue parisienne, j’habitais un petit village où j’étais enfants de chœur à l’église, on rigolait bien ! C’était un petit village à la campagne.
En 85, en allant au collège je découvre la Oi! (Style musical, ndlr) avec l’infanterie sauvage, qui était de cette petite ville, puis j’ai découvert le rocksteady, le ska… Je suis devenu Trojan skin (Ce sont des skins qui sont non racistes et écoutent du ska, de la soul, etc… Ndlr) comme ça.
En 89, je fais mon premier fanzine dans ce milieu où j’étais assez actif, ce sont mes premiers dessins pour mon fanzine mais aussi pour d’autre fanzines en France, USA, Angleterre, Espagne… De bons souvenirs, même si maintenant c’est loin et que je n’écoute plus ça. Ca m’amuse encore de voir ma photo sur le 45 des Herberts ou dans des livres et surtout c’est par ce mouvement que j’ai rencontré le tattoo. Car on était tout le temps chez Rémy d’Etampes (Tatouages Rémy, Etampes. Ndlr) notre tatoueur qui, à l’époque, n’habitait pas à Etampes. C’était une belle époque !
Je me suis fait beaucoup tatouer à cette époque j’ai fait mes premiers hand poke sur moi en 1989 juste pour le fun …
Vers 2000, je me mets au vert. Je pars vivre à la montagne avec femme et enfants, réparer une vielle ferme et essaye l’autonomie alimentaire and co. La mère de mes enfants est dans le vitrail alors ça baigne déjà dans les églises et moi je répars des vieilles maisons. On a pleins d’animaux, je coupe du bois, tout ça en plus de l’usine où je monte des grosses machines depuis 1995 dans diverses boites.
En 2004, c’est fini pour moi le monde ouvrier, j’arrête de travailler à l’usine. Je m’occupe de mes enfants, de la ferme et la nuit je commence à faire des sculptures avec de la ferrailles, que je trouve de ci, de là, dans la ferme et les ruines autours. Je les colle avec des restes de plâtres des travaux que je fais chez nous, sur des plaques de bois ou de plâtre. J’en fais beaucoup chaque nuit…
En 2005, lors d’un voyage dans la famille, en juillet à l’île d’Oleron, en ramassant de la ferrailles, je suis accosté par Christelle Pernet, qui est intriguée par ce que je peux bien faire avec tout ça. Je la recroise le lendemain en ville, elle m’en reparle et veut voir des photos de ce que je fais. Elle me dit qu’elle est galeriste d’art singulier et contemporain à Oleron. En août je lui envoie des photos de mes productions nocturnes, elle adore et m’organise ma première exposition. Pour moi tout ça était un univers qui m’était totalement inconnu, si loin de moi… Première expo en solo en décembre 2005, dans sa Galerie Paradi Marceau. En parallèle, elle montre mon travail à d’autres galeries, je me retrouve du coup également en décembre 2005, à Paris, pour le Printemps des Singuliers.
2006, grâce à elle, je me retrouve dans d’autres galeries, à Toulon, Lyon, etc… Je rencontre cette année là, Loren, de la galerie la Rage à Lyon, qui me fait plus découvrir le monde de l’art singulier et hors norme et me parle de Leon Lam (tatoueur qui officie à Hong Kong, ndlr) ! J’ai envie de partager cette passion naissante, j’organise en Haute Loire, le festival d’art singulier avec l’aide la mairie de Brioude et d’amis artistes et collectionneurs, sa durera 3ans, j’organiserais aussi des expositions au Puy en Velay.
2006 c’est aussi l’année où Bernadette rentre dans ma vie (sculpture de la Sainte Bernadette). C’est une dame de Haute Loire, qui a rachetée un couvant pour en faire un gite, qui l’avait là bas dans la chapelle du couvant … elle était abîmée, couverte de ciment quant on me l’a donnée. Cette dame me l’a offerte en venant voir une expo collective que j’organisais avec un musée d’art brut. C‘est aussi à cette période que j’ai commencé à beaucoup collectionner l’art avec la Mère de mes enfants.
En 2008, on se sépare avec la mère de mes enfants. Je fais un passage rapide au Puy en Velay où, avec mon pote Fred je monte une maison d’édition, les éditions du Pas Possible. Dans ce cadre je rencontre Jaqueline qui s’occupait de l’impression pour nous et qui m’a fait connaître l’univers du magnétisme, de la litho thérapie. C’est un grand changement dans ma vie aussi…. Grâce à elle je rencontre d’autres dames qui font de la litho thérapie, qui tirent les cartes etc… c’est un univers dans lequel je me sens bien et continue d’évoluer. J’aime allez les voir dans les montagnes …
Finalement en 2009, je pars vivre à Lyon, où je monte mes premières collaborations avec des artistes Lyonnais, dont certains des tatoueurs. J’organise des expositions de peinture, création d’un jeu de Tarots collectifs, c‘est comme sa que je rencontre TopsyTuby, Sophie Hazha, Leon Lam, ect… Et le crew de Tattoo Station qui faisait des performances à cette époque. C’est ces gens là, entre autres, avec d’autre comme Edith Lake, Vero et Alice Dugas qui m’ont motivé pour allez vers le tattoo.
En 2010, on m’a offert une machine à mon anniversaire et me dit « vas y fonce ! », j’ai commencé à tatouer mes dessins sur moi, puis sur des potes.
Je remercie tous les potes de m’avoir beaucoup aidé à avancer dans le tattoo par leur conseils et leur soutient. C’est une chance de les avoir.
Les amis sont l’une des choses les plus importantes !! La question que je pose à chaque fois, parce que j’aime bien les diverses réponses à celle-ci, c’est : Comment s’est passé la première fois que tu as posé une aiguille sur la peau ?
Aaaah c’était sur moi dans le shop d’une copine et c’était filmé par une étudiante en journalisme qui faisait un reportage sur l’auto-tattoo ! Un grand moment de fun ! Sinon mon premier sur quelqu’un c’était sur un super bon pote à moi, un soir très tard, en mode home-made chez lui. Moment plein de fun aussi pas de pression c’était un dessin à moi sur un pote cool.

Qu’est-ce qui t’as attiré dans le milieu ?
Au tout début c’était déjà comme un bout de la maison chez Remy, on y allait tout le temps même si on ne se faisait pas tatouer, on y allait à 3 ou 4 à chaque fois juste voir, être ensemble quoi, en bande. J’étais avec les miens à se moments là …On se reconnaissait dans ça, dans nos différentes marques sur nous, on affirmait des trucs quoi. Après, c‘était un peu la même, être avec les gens dont j’aime l’univers et aussi partager des choses avec eux, bricoler les machines, parler dessins, peindre, se tatouer… J’allais avant tout voir des amis, bosser avec des amis, c’est comme ma famille.
Du coup ce n’est pas le milieu qui ma attiré, c‘est d’être avec les potes et de partager son univers avec des gens qui aime ce que tu fais.
Est-ce que tu t’es imposé tout de suite avec ta patte ou tu as dû passer par la case apprenti et faire les tatouages « lambda » ?
J’ai toujours fait plus ou moins que mes dessins au début, dans un style plus dessin industriel, car je venais de l ‘industrie et j’avais appris cela comme dessin, puis après un passage de 1 mois chez Leon Lam à Hongkong, où on a beaucoup discuté, je me suis mis à tatouer uniquement comme sur mes tableaux, même sujet, même ligne brut.
Quand on regarde tes dessins et tes tattoos, on peut y voir un côté enfantin dans les tracés, comment toi, tu définirais ton style et ta technique ?
Je ne sais pas franchement, je fais tout comme ça me vient, à l’instant, tant les idées que le tracé, je fais ça au feeling, comme pour beaucoup de chose dans la vie. Je suis assez en mode enfantin, j’aime être spontané, plein de fun.
A part Mickael de Poissy qui tatoue dans le style plutôt vitraux d’église, ce n’est pas fréquent de voir le thème religion à ce point représenté, qu’est ce qui t’as donné envie de tatouer dans ce thème là ? Quelle est ton attirance pour ce sujet ?
En fait, c’est comme si c’est en moi tout ça, je vis dans des croyances mystique depuis pas mal d’années. J’ai organisé des expositions autour du voodoo urbain, du tarot, tout ça… Plus la vie à la montagne, les rencontres que j’ai faite, les croyances des gens des montagnes et aussi le travail de la mère de mes enfants avec qui j’ai été longtemps et qui réparait les vitraux dans les églises et cathédrales de France. C’est une iconographie qui me parle, qui me touche. Tu vois, comme Bernadette (la sculpture de saint Bernadette) que j’emporte avec moi partout depuis 2006, sur mes expositions, lors des installations en soirée techno, dans mes voyages, parfois on a été à Lourdes avec elle la faire bénir, il y a quelques années. Elle était aussi dans les shops que j’ai ouverts… Bref j’ai des croyances mystique et je les exprime aussi du coup dans mes tattoos, c’est un mysticisme chrétien, car c’est notre histoire tout ça. A Lyon j’ai plus découvert les ponts entre le mysticisme et l’ésotérisme and co. C’est presque vital tu sais, pour moi, ces liens avec tout ça… Je le vis au quotidien.
Est-ce que tu cherches à réconcilier les êtres humains avec la religion ?
Je cherche à partager mes croyances et mon mysticisme avec les gens et le fait que chacun à son propre mysticisme, qui est personnel et propre à chacun, ses propres croyances et superstitions, c’était déjà le propos de la grosse exposition que j’ai organisé en 2012 qui s’appelait STREET VOODOO, avec plus de 30 artistes, sur deux lieux à Lyon. On allait à la rencontre d’un mysticisme urbain propre à chacun, poly forme et polyculture mais avec un socle commun. Tu retrouve certaines pratiques partout dans le monde. Après on a ce socle commun propre à la chrétienté, on vient de là qu’on le veuille ou non. On a peut être des anarchistes ou même haters, mais on vient de là, c’est notre passé historique.
En Europe, surtout dans le tattoo ça a toujours été très fort, mais culturellement je viens de là.
Quand je regarde tes dessins, je vois beaucoup de démons, mais les phrases qui accompagnent certaines images sont plutôt de beaux messages, alors dis moi… Tu représentes plutôt la lumière ou l’ombre ? (Rires)
Aahhaaaa le milieu je dirais. En toute chose il y a les deux cotés. Mais je suis du coté de la lumière, sur, je suis un optimiste! Mais j’aime montrer que sans le sombre, il n’y a pas la lumière, l’un va avec l’autre, il faut toujours tendre vers l’équilibre. C’est le déséquilibre qui est dangereux.
Dans la musique que je passais en soirée ou sur mes installes il peut y avoir des moments que certain classeront comme dark, je dirais plus que c’est l’énergie des profondeurs de la terre, du magma des débuts du feu et dans tous les cas je finis toujours, dans mes sets, par des morceaux avec une énergie aérienne et printanières !
J’ai également vu que tu parlais des « troisième rang », plus communément appelés Loup-garou ou vampire (pour les plus connus), d’où tiens-tu cette culture ?
Des montagnes et des traditions de là-bas qui m’ont beaucoup intrigués, comme beaucoup de traditions et croyances rural ou liées au vaudou ou candomblé et santeria (religions d’Amérique du sud, afro-brésilienne, liées au vaudou entre autre). C’est toujours omniprésent dans ces cultures et comme je vais beaucoup travailler autour de cela, ça fait parti intégrante de mon imagerie mystique.
Lorsque tu dessines, et que tu écris les messages qui accompagnent les dessins, c’est plutôt un moyen d’extérioriser ou ce sont des « messages » que tu veux faire passer ?
C’est un peu des deux, c’est ma vision d’une image, mon ressenti que je partage avec les gens, c’est aussi un moyen de rentrer par une porte dans le dessin en lui-même.
Par rapport à ta clientèle, les gens viennent se faire encrer parce que le sujet leur parle, parce que la religion leur parle, ou ils choisissent juste un flash qu’ils aiment bien ?
Je pense qu’au début c’est instinctif, ça les touches et ils veulent tel ou tel motif. Après une petite partie vient pour des choses plus spéciales, avec une vraie démarche. Ils recherchent à s’encrer quelque chose de fort symboliquement, pour extérioriser ou se protéger, se donner de la force ou d’autre démarche plus ou moins spirituelle et mystique.
As-tu une anecdote qui t’as marqué à propos de l’un des tatouages que tu as réalisé ?
Oui dernièrement à Bruxelles, quand j’ai demandé à un client, par mail, ce qu’il voulait exactement pour son projet. Il m’a envoyé son thème astral et m’a dit : « Je veux ça! T’as carte blanche. Juste, je veux ça sur le ventre et que ça m’aide pour l’avenir ». C’est super émouvant! Déjà de lire le thème de quelqu’un d’autre et de voir quel point mettre en avant pour aller vers un bon futur… Une amie astrologue m’a aidé à comprendre certains points. Ca a été un super beau projet !
Tu m’étonnes !!! Belle anecdote ! Tu as écrit un livre intitulé « Criminal & Religious », où on y trouve tes dessins, tu peux nous en parler ?
Yes ! J’écris depuis longtemps et je suis publié de temps en temps par des maisons d’édition, là c’était un tout petit tirage de 30 exemplaires, qui parlait et montrait un large panel de ma création reliquaire. Peintures, dessins, installation tattoo avec des textes et poème qui allaient avec. C’était pour un public de collectionneurs, qui ont des pièces de moi, des reliquaires et autres peintures ou des tattoos… Ce sera réédité prochainement je pense.
Et ton fanzine alors ? Tu peux nous en parler aussi ?
Je fais des fanzines depuis longtemps. Pour moi c’est toujours l’occasion de partager avec les autres ce que j’aime, d’une manière simple. Du coup j’en ai toujours fait depuis, sous différents noms. Là, ça regroupe des dessins de moi sur ce thème du Religieux et Criminel, qui est plus la façon de le traiter dans le trait et la représentation elle-même. On retrouve les meilleurs morceaux que je peux passer lors des quelques soirées ou j’ai eu l’occas’ de passer du son sur mes installations, des interviews de personnes qui compte pour moi et quelques textes de moi. C’est aussi le moyen de laisser une trace de mon passage quand je rencontre les gens !
C’est une belle façon de laisser une trace de tes rencontres !! Quels sont tes projets pour la suite ?
Là je continue de voyager beaucoup jusqu’à la fin de l’année 2017 : Berlin, Barcelone, Bruxelles, Dublin, Lyon, Paris, ect… Toutes les dates son sur mon instagram pour ceux qui voudrais en savoir plus. Pour allez plus vers un coté raw, j’ai bricolé un vieux rasoir Russe sputnik pour en faire une machine à tatouer, comme dans la marque de Cain, le film sur les prisons russes. Je compte faire quelques sessions dans des endroits insolites, dans un vrai esprit old school. Je prépare également une série de Paños, les fameux mouchoirs des prisons mexicaines, dessinés au stylo billes. L’histoire de ces mouchoirs m’a beaucoup touchée et l’idée de transmettre un message par ce support est folle ! Je suis sur une série de 14 mouchoirs qui sera exposées 2018.
Pleins de beaux projets qu’on a hâte de voir !!
Merci infiniment Thierry pour ce moment que tu nous as accordé et te souhaitons une belle continuation !
Merci à toi Léa et The Unchained pour l’interview et le soutient.
Texte : Lëaa
Photo : Saint Molotov
Plus d’infos :
Instagram : Saint Molotov
Facebook : Saint Molotov
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