
éS’il y a bien un ovni dans le milieu de la musique, c’est sans doute Enter Shikari. Les cerner a toujours été une lourde tâche, à laquelle tout le monde a toujours échoué, et prédire leurs production a toujours été peine perdue d’avance… Et au final, tant mieux, car l’absence d’indices et de pistes a chaque fois permis de mieux se prendre une claque lors de la sortie suivante. Et pour ne pas changer, The Spark fait partie intégrante de ce schéma non-schématique puisque le groupe prend ici un nouveau tournant, plus mélodique, mais plus ambitieux sûrement, de par une complexité fine, et en s’éloignant toujours plus des codes, et de la possibilité de leur coller une étiquette.
En effet, la magie d’Enter Shikari a toujours été de nous déstabiliser de façon merveilleuse : nous faire danser sur des paroles incisives et engagées politiquement, nous faire nous amuser sur des sujets graves, nous faire pleurer alors que nous étions en plein pogo quelques secondes auparavant, avoir l’air d’enfants alors qu’ils sont certainement parmi les plus réfléchis et matures dans le milieu, ou encore musicalement, d’avoir si bien allié les différents genres electro et metal. Ils sont le groupe du paradoxe. Mais pas n’importe lequel : c’est toujours un paradoxe qui fait ressortir quelque chose, qui met en valeur un sujet, un thème, un sentiment. C’est un groupe extrêmement réfléchi, et percutant, que l’on aime ou pas, cela est indéniable.
Or, pour un groupe percutant, habitué aux riffs sauvages, à de l’electro violente, à des morceaux incisifs, il faut avouer que l’intro éponyme de The Spark a de quoi poser question, puisque l’opus s’ouvre sur une intro électro plutôt planante, suivi de “The Sights”, un morceau plutôt pop, mignonnet, ponctué de “oh oh oh oh” qui donnent envie de se dodeliner de la tête et qui nous rappelle un certain “No Sleep Tonight”. Ce morceau aux accents très enfantins laisse apparaître le souhait de la formation d’explorer de nouveaux horizons musicaux : une direction plus rock, plus grand public, qui conduit le groupe vers une “next planet”, “into the great unknown”. L’électro se fait plus discret, et le côté metal plus absent, laissant place aussi à moins de distorsion coté guitare.
Celui-ci est suivi du premier single issu de cette sortie, “Live Outside”, emprunt de ce même sentiment enfantin, léger, et pourtant si délicatement incisif, et qui prend tout son sens lorsque l’on en connait le clip.
C’est vraiment la force du groupe, de proposer plusieurs lectures de leurs œuvres, et d’ainsi sensibiliser leur public à aller au fond des choses plutôt que de se laisser porter par le côté “loisir, entertainment, plaisir”, ce côté amusant, léger, niais, pour creuser et comprendre tout ce qui ne va pas, tout ce qui est à dénoncer. Et il semble que ce soit vraiment le propos de cet album, comme souvent chez le groupe : critiquer la société qui embrigade, qui abrutit, qui leurre, qui enferme les gens dans des fantasmes, pour ne pas qu’ils voient à quel point tout cela est véreux.
“Take My Country Back” (qui fait référence au Brexit) avec son refrain fédérateur est un délice. Elle commence peu à peu à nous ramener à la surface, à nous insurger de nouveau, en créant ce sentiment de cohésion, de groupe qui peut faire quelque chose, nous sortir d’une condition en nous unissant. mais ce n’est qu’au moment de “Airfield”, la “Adieu” de The Spark, que nous croyons voir dans ce disque comme une sorte de chemin initiatique : après le leurre, l’innocence enfantine, nous entrons dans un moment d’incertitude, de perte de repères, un moment mélancolique (accentué par lambiance de pluie qui coule en fond), où nous nous sentons perdus et cherchons un soutien, que le groupe semble ici apporter à travers sa douceur, mais aussi les paroles de Rou “You’re down on your luck, you’re down But that don’t mean you’re out”. Et la fin des paroles nous conforte dans cette idée : “Remember this insight / That’s the optimal condition / For birds to take flight / Now the wind’s against you / Don’t give up the fight”.
C’est après cela que “Rabble Rouser” nous ramène au Enter Shikari que nous connaissons, avec son côté “Gandhi mate, Gandhi” et “Anaestetist” de par son aspect plus electro moderne, son rap, et son break. Plus rassurant, plus pêchu, nous retrouvons ce sentiment de bouillonnement en nous, d’excitation, d’envie de danser, de se bouger, de faire quelque chose plutôt que de se laisser porter simplement. Nous sommes sortis de ce sentiment de générique.
C’est ensuite un enchaînement de retour aux sources, à ce que l’on connaît. Des morceaux plus expérimentaux, mais cependant portant bien leur pâte. Les morceaux suivant nous parlent du futur, du transhumanisme, de post-apocalytisme, sur des airs aux accents de jeux vidéo, ponctués de trompettes, d’un rap exquis dans “Undercover Agents”, jusqu’au morceau final qui monte en puissance et dont la trompette nous rappelle “Fanfare For The Conscious Man” ou “Dear Future Historians…”, avant de redescendre doucement puis nous faire vivre une explosion finale, organisme, comme ils savent si bien le faire, avant de terminer sur une outro similaire à l’intro.
Au final, c’est un album qui demande plusieurs écoutes et il faudra sûrement un effort à certains pour lui donner une seconde chance en le réécoutant pour l’approfondir et en saisir l’entièreté car The Spark est un album initiatique, un exercice à faire, que le groupe nous semble indiquer être celui à faire dans notre vie de tous les jours aussi : arrêter de se laisser bercer par la société et ses illusions, arrêter de se laisser manipuler, et trouver un appui, en plus du courage que cela demande, pour pouvoir se révolter contre tout cela, et enfin donner lieu à un avenir dans lequel nous sommes davantage maîtres de nos vies, mais tout en restant vigilants car nous savons que tous les projets autour du futur et des dérives transhumanistes qui peuvent être dangereux “It’s the revolt of the atoms / From London Town to Ancient Athens / Eliminate all traces of human life / They plan to wipe us out / Everything is crumbling”. Car, comme nous le rappelle la splendide et intense chanson finale, “And I tried to defend our castle walls But the attack came from within the halls” : l’humain est le premier destructeur de sa vie et de son monde. Mais ce n’est pas en faisant disparaître l’humain que tout changera, ce sera en changeant sa façon de penser. Et c’est en partie grâce à ce chemin initiatique que nous faisons en écoutant cet album que nous en prenant conscience. Mais la fin est optimiste est joyeuse, “We’ll cope somehow”. Nous allons nous en sortir, car nous finirons par être légion, nous finirons par prendre conscience de tout cela avant que ce soit trop tard. Et plus nous serons à être touchés, plus nous serons à pouvoir le faire partager. Et quoi de mieux d’un concert pour cela ? Rendez-vous le 02 décembre à L’Elysée Montmartre pour résister !
Enter Shikari, The Spark, Hopeless Records, sortie le 22 septembre 2017
Enter Shikari, 2 décembre 2017 Elysée Montmartre, places en vente ici
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