
François Ozon m’énerve.
Voilà, c’est dit. Ça fait 20 ans que j’avais ça sur le cœur. Chaque fois que la critique l’encense et que le public s’ébaudit, ça me hérisse le poil. Pourtant, je n’ai jamais vraiment trop su pourquoi… Son style (indéniable) ? Sa réussite (là aussi incontestable, vu le conformisme de certaines propositions et la platitude d’autres dans le paysage cinématographique français) ? Sa production (pléthorique, quasiment un film par an) ? Pourtant, je ne vais pas me laisser aller à verser dans la jalousie maladive face à l’ambition. Non, les sujets de ses films m’agacent. Tout simplement.
Et ce n’est pas L’amant double, son dernier opus, qui va me faire mentir. Bien au contraire, c’est même lors de la projection de celui-ci que j’ai mis le doigt sur l’os.
Chloé (l’ex-mannequin Marina Vacth, déjà vue dans Jeune et Jolie) est une jeune femme fragile, plombée en permanence par de terribles maux de ventre.
NDLR. Pour la simplicité de la lecture, les deux protagonistes des dialogues qui vont égayer cette chronique seront prénommés Fran, le réal et Philou, le scénariste.
Fran : Allez, on se bouge un peu ! Comment bien lui faire comprendre, au spectateur de province, qu’elle est psychologiquement fragile, la meuf ?
Philou : Ben, on n’a qu’à la montrer en train de se faire couper les cheveux, et sa frange, elle forme une rangée de barreaux qui fractionnent son visage, un peu filmé à la Haneke, super froid.
Fran : Super ça, Haneke, coco ! C’est dans la boîte !
Du coup, elle décide d’aller voir un psychiatre.
Fran : Alors, le psychiatre, c’est une sacrée démarche dans la vie hein, mon Philou ?
Philou : Ah ben, pour y aller, on n’a qu’à la faire monter par un escalier en colimaçon très très trèèèèès long, un peu à la Hitchcock.
Fran : Ah ouaiiiiis, très bon ! Ce bon vieux Hitch ! Super !
Bon, et puis, là, en fait, Chloé, elle le trouve mignon, Paul le psychiatre. Normal, me direz-vous, c’est Jérémie Renier. Du coup, le psychiatre, déontologie oblige, et vu qu’il n’est pas non plus insensible au(x) charme(s) de la jeune femme (normal, elle est taille mannequin et elle se sape super trendy), met fin à l’analyse. Le couple se forme. La jeune femme s’épanouit. Ils emménagent dans un nouvel appartement.
Fran : L’appartement… Mince ! On n’a pas pensé à l’appartement…
Philou : Ah ben là, fastoche ! Un appart en hauteur, vue pleine balle sur la skyline de Paris, avec des meubles bien neo-vintage-de-chez-made.com. Et hop, le provincial, il va la sentir bien passer à l’écran, la trentaine CSP+ de Paname !
Fran : Ha, mon Philou, t’es l’meilleur.
Sauf que le danger rôde. Leur voisine de palier est trop gentille pour être honnête. Elle aimait tellement son chat qu’elle l’a fait empailler. Elle a une fille, la vieille voisine chelou, mais elle a été envoyée en HP. La vieille dame parisienne quoi, typiquement passive-agressive. Et le beau psy a l’air d’avoir eu une ancienne vie dont il ne souhaite pas parler. Hum, étrange, tout ça. Mais bon, tout cela semble convenir à la belle. Et puis un jour, paf ! alors que tout marchait comme sur des roulettes – nos amoureux filent une parfaite romance (thérapeutique), Chloé a retrouvé un bon job, elle est gardienne dans un musée d’art contemporain plein d’œuvres ultra transgressives (ah oui, c’est vrai ! la femme conserve le sens caché des choses sans rien y comprendre, l’homme-thérapeuthe est heureusement là pour enclencher le signifiant) – voilà-t’y-pas que ma Chloé, en prenant le bus, observe de loin son bel amant en pleine discussion avec une autre femme. Prenant son courage à deux mains, entre la salade de kale aux cranberries et le tiramisu aux speculoos, elle confronte Paul qui nie en bloc. Pas niaise, la jeune femme revient sur les lieux de la crapulerie et découvre l’existence d’un jumeau. Tadaaaaa. Et pas n’importe quel jumeau. Un autre psy, adepte des théories comportementales et cognitives. Un jumeau maléfique.
Fran : Ptin, comment on fait pour bien montrer qu’il est super méchant ?
Philou : Ben, comme dans les films de De Palma : le décor. Bien lourd, bien baroque, avec des couleurs super denses. Des miroirs qui font des effets chelou. Faut que ça suinte l’angoisse, le malaise. Et puis le type, sous une apparence stricte et autoritaire, c’est une brute épaisse.
Fran : Nickel ! Là, je dis nickel ! ÇA. VA. DÉ-CHI-RER.
Ça pourrait durer comme ça des plombes. Vous avez compris. Pas la peine de vous faire un dessin. Ozon en fait des caisses. Pour quelqu’un qui n’a de cesse depuis son premier film (le rigolo-trash Sitcom) de travailler sur la transgression, sur les obsessions et sur la psyché en général, on dirait qu’Ozon a peur de ne pas être assez clair. Ou, moins classe, que les spectateurs ne soient pas assez malins pour comprendre sa démarche artistique. Alors, il sur-signifie par l’image, par le cadre, par la mise en scène, alourdissant à gros traits biiiiien marqués, une idée souvent très élégante et alléchante sur le papier. Las, on finit par prendre un petit papier et cocher, là une référence (Visconti, Sirk, Minnelli et les autres cités plus haut…), ici un gimmick de stylisation, tous et toutes à forte connotation sexuelle. Lorsque l’on devrait célébrer l’ambiguïté et la subversion, teintées d’un onirisme vénéneux, on assiste au final à une baston bien balourde entre Éros et Thanatos, entre la fÂme et les hÔms. Ben oui, en plus, il en faut 2, bien typés – l’un très papa gentil et sécurisant et l’autre bad boy très très méchant et transgressif – pour que cette gourde comprenne ce qui ne va pas chez elle. OK, bien sûr que le cinéma n’existerait pas sans la psychanalyse. Mais on peut montrer les névroses et les non-dits sans tomber dans l’exercice de style porno chic. Sinon, on fait une pub pour un parfum. Tout le monde n’a pas la classe de Bonello.
Mais s’il n’y avait que ça, je vous accorde que vous pourriez aisément vous dire que ce n’est qu’une simple querelle de cinéphile. Ça n’a jamais tué personne de ne voir AUCUN film de Fassbinder, par exemple. Mais, en 2017, est-il encore nécessaire de montrer le plan d’un spéculum sortant d’un vagin ? Est-il besoin de montrer une femme, alors qu’elle vient de montrer le plus clairement possible son refus face aux demandes insistantes de l’homme, malgré tout se faire violer sous prétexte que cela fait partie du “traitement” du médecin ? Il n’est pas viable intellectuellement de traiter, dans son cinéma, de la condition d’une femme dans la société patriarcale contemporaine et, sous couvert de symbolisme, de verser dans une forme rampante de sexisme en utilisant TOUS les stéréotypes de la fémininité chez le beauf moyen, et convoquer ainsi les vieilles rengaines phallocrates du cinéma français des années 60. À force d’effets visuels racoleurs qui finissent par agir sur le récit comme un éteignoir à bougie, le spectateur, usé par tant d’effets d’épate gratuits, se disperse et s’ennuie.
À trop oser, Ozon s’est tu.
Réalisé par François Ozon
Scénario de François Ozon, avec Philippe Piazzo,
Librement inspiré du livre Lives of the Twins de Joyce Carol Oates
Sortie le 26 mai 2017
Marine Vacth : Chloé
Jérémie Renier : Paul Meyer / Louis Delord
Jacqueline Bisset : Mme Schenker / la mère de Chloé
Dominique Reymond : la gynécologue / Mme Wexler
Myriam Boyer : Rose, la voisine
Fanny Sage : Sandra Schenker
Texte : Jimmy Kowalski
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